Paru fin avril 2018, « Avel Azul » est le très récent et 6e album de Nolwenn Korbell et plus exactement, dans ce présent et nouveau contexte de création, le 1er du « Nolwenn Korbell’s Band » , puisqu’il s’agit, ici, d’un projet musical, réellement, collectif. En effet, la remarquable chanteuse douarneniste, Nolwenn Korbell est, entre autres excellents musiciens, accompagnée du célèbre guitariste, producteur, romancier, rennais, Frank Darcel, notamment, créateur des groupes Marquis de Sade (1977-1981 et Republik (2010).
C’est cet artiste qui a, de plus, initié, piloté artistiquement et réalisé l’album, agissant, de fait, au-delà de l’auteur, compositeur, arrangeur, comme un véritable producteur, directeur artistique, le tout dans un esprit, totalement… groupe !
Une autre façon de travailler, très enrichissante, pour notre multiple Nolwenn, auteur, compositrice, instrumentiste, chanteuse, comédienne, « traductrice-doubleuse » dans l'audiovisuel breton, toujours en constante recherche de diverses et novatrices expériences.
Il faut dire que cette formule « groupe » ne pouvait que séduire Nolwenn qui, par exemple, pour sa tournée « Skeud ho roudoù » était, déjà, accompagnée sur scène, par, pas moins, de 6 musiciens, placés sous sa direction artistique ! (voir le site)
Dans un climat pop-rock, rock indé, ce sont, donc, en près de 37 minutes d’énergie parfaitement maitrisée, parfois de sous-jacente mélancolie, 10 titres chantés en anglais, breton et français qui vous sont proposés, choix linguistique traduisant une quotidienne réalité de vie et de goûts musicaux des deux artistes qui puisent leurs inspirations dans les différentes cultures anglo-saxonne, bretonne et française.
A l’écoute complète et attentive du programme, vous pourrez, globalement, remarquer que les titres les plus pop sont, plutôt, interprétés dans la langue de Shakespeare, les plus rock dans celle de Théodore Hersart de La Villemarqué et les mélodiques ballades, dans celle de Molière.
Vous découvrirez, ainsi, trois textes en anglais, cinq textes en breton et deux en français, inspirations, conjuguées de Frank et de Nolwenn.
Tous sont publiés dans un livret de 10 pages avec quelques belles photos du groupe et de Nolwenn qui accompagne le Compact Disk. Nous regretterons, toutefois, du moins pour les textes écrits en breton, que leur traduction en Français n’y figure pas, laissant, selon la note interne, à la page Facebook du groupe le rôle de les proposer. Mais tous n’avons pas envie de fréquenter, de souscrire, voire de s’inscrire au réseau, dit social, de Monsieur Mark Zuckberg.
Pour en revenir à cette diversité d’expression, celle-ci avait été mise en évidence au cœur des deux derniers disques de Nolwenn, « Noazh » - 2010 (voir le site) et "Skeud ho roudoù" - 2015 (voir le site) en offrant, déjà, à l’auditeur, ce triptyque stylistique et textuel.
Après avoir fait appel au financement participatif en ligne, le CD, enregistré durant l’été et l’automne et mixé à l’hiver 2017 au studio Near Deaf Experience (voir le site) de Saint-Jean-du-Doigt (29), sous la houlette de l’ingénieur du son Sébastien Lorho avec des prises additionnelles réalisées par son associé Eric Cervera et Jean-Anaël Aubaux, ce disque est paru sous le label L.A.D.T.K. Records.
L.A.D.T.K, Les Amis Du Tuchenn Kador, est un label associatif créé en 2012, notamment éditeur du livre ROK 2 racontant l'histoire de la musique amplifiée en Bretagne et, entre autres, producteur des albums de « Republik » et, paru fin 2018, du live de « Marquis de Sade » , formations de Franck DARCEL.
« Avel Azul » est distribué par Caroline International, basé au Royaume-Uni, une division indépendante de l'artiste et des services d'étiquettes d'Universal Music Group.
En ce qui concerne les musiciens, nous retrouvons aux côtés de Nolwenn Korbell aux chant et guitare :
- Xavier Geronimi (Etienne Daho, Alain Bashung, Alan Stivell) : guitare.
- Roberto Briot (Bernard Lavilliers, Françoise Hardy) : basse.
- Pierre Marolleau (Ex-Fordamage, générant, en partie, Fat Supper) : batterie.
- Ronan O’Luasa : claviers.
Et, bien entendu,
- Frank Darcel (Marquis de Sade, Republik) : guitare et chœurs.
A cette fort riche et référente formation, viennent s’ajouter, ponctuellement, les invités :
- Cédrick Alexandre, Marcel Aubé : basse.
- Mickaël Bourdois : batterie.
- Nicolas Hild : percussions.
- Brieg Guerveno : chœurs et guitare.
- Stéphane Kerihuel, Hélène Brunet : guitare.
- Patrick Moriceau, Robin Poligné: claviers.
- Eric Le Lann : trompette.
C’est Frank Darcel qui a proposé le projet à Nolwenn Korbell, exprimant ainsi son vif désir de créer un nouveau groupe où, placée au cœur de la formation, Nolwenn chanterait, en majorité, des textes et compositions signées de la main du célèbre musicien et producteur de musique breton. D’autres chansons, en breton, sur des musiques de Frank seraient écrites par cette excellente locutrice défenseuse et colporteuse de la langue bretonne qui a, par ailleurs, composé et écrit deux titres sur les dix.
« C'est la première fois que j'écris des paroles sur des musiques d'un autre ! » , confiera-t-elle au Télégramme.
Les textes en anglais et français sont de Frank Darcel.
Cette idée avait germé, lors d’un précédent duo Korbell-Darcel réalisé pour le groupe « Republik » , interprétant, ensemble, « That kid is different » , chanson parue, en septembre 2016 sur une compilation imaginée par Jérôme Sevrette, dénommée « Terres Neuves » . Ce titre est, par ailleurs, repris en dernière plage 10 de ce présent disque.
Dès le premier titre, « Your best mother » (Ta meilleure mère), le ton est donné :
La rythmique basse et batterie de Roberto Briot et Pierre Marolleau pèse de tout son poids sur les mélodiques lignes de guitares de Xavier Geronimi et Frank Darcel dans l’esprit même de la magnifique et ténébreuse photo de Jérôme Sevrette qui illustre, en façade, la jaquette du CD.
« Dark news comes down the way,
I wish you were there tonight » .
« Les nouvelles sombres descendent le chemin
Je voudrais que tu sois là ce soir » .
Mais, comme sur cette « peinture » de couverture, une lueur perce les lourds nuages, la voix douce et ample de Nolwenn soutenue par les chœurs de Frank et de Ronan O’Luasa, également, aux claviers, domine le propos, comme la voix d’une sage venue d’un ciel profond.
« Brittany is getting cold
You'd better hold her tight
Dark skies come down the way
Stay there and cancel your flight » .
« La Bretagne a froid
Tu ferais mieux de la tenir serrée
Le ciel sombre arrive sur le chemin
Reste là et annule ton vol » .
Après un très bel égrènement de notes de guitare de Xavier qui persistera tout au long de la pièce, suit ce qui a été le premier single extrait de l'album "Avel Azul", la superbe « Da Belec'h » (Vers où), musique et paroles en breton de Nolwenn, sur ces gens qui marchent vers une vie espérée meilleure.
Un thème d’une évidente actualité et une interrogation existentielle, plus large sur nos propres destins.
Un très beau pont de vocalises aériennes de Nolwenn semble évoquer un plus heureux « point de fuite » possible...
O vont da belec’h ‘mañ an holl
O tec’hout rak pe’ra ‘maint holl
Kaset digaset war un tu pe un all
Heñchet diheñchet ‘giz e-barzh ur millendall
O vont da belec’h ‘mañ an holl
O vont da c’hounid pe da goll
Sklapet ha flastret huñvreoù gwechall
Skarzhet, disoñjet an nozioù
war ar menez moal
Sevel bep mintin ha mont gant an deiz
Gortoz ur vag ‘penn ar c’hae
Heuliañ panelloù pe hent sant Jakez
Chom sac’het el lonktraezh
O vont da belec’h ‘mañ an holl
O heuliañ ar soner a-stroll
Sachet ha beuzhet e don du an dour dall
Lonket, dislonket war aodoù ur vuhez re sal
O vont da belec’h ‘mañ an holl
O vont da belec’h emaomp holl
Ils vont où, tous ?
Ils fuient quoi, tous ?
Envoyés, renvoyés d’un côté ou d’un autre
Dirigés, déroutés comme dans un labyrinthe
Ils vont où, tous ?
Ils vont gagner ou perdre ?
Jetés, écrasés, les rêves d’avant
Balancées, oubliées, les nuits
sur la montagne chauve
Se lever chaque matin, et aller avec le jour
Attendre un bateau au bout du quai
Suivre des panneaux ou la voix lactée
S’enliser dans le sable qui avale
Ils vont où, tous ?
Ils suivent en groupe le sonneur
Attirés et noyés dans le profond noir de l’eau aveugle
Avalés, vomis sur les plages d’une vie trop salée.
Où vont-ils, tous ?
Où allons-nous, tous ?
Nous vous ferons grâce d’évoquer tous les titres de cet enregistrement qui nous ont, réellement, captés, mais nous ne pourrons pas éluder, en plage 4, « Les lettres du front » , texte en français de Frank Darcel qui débute par un profond duo basse guitare où celle d’Hélène Brunet, entre autres, ex-élève de Soïg Siberil) rejoint celles de Xavier et Frank.
« j’ai lu tes lettres du front,
J’espère que tu tiendras bon
j’ai lu tes lettres du front
J’ai éclairé la maison » .
Un superbe moment, chers lecteurs, à vous signaler, aussi, lorsque le voluptueux cuivre du légendaire compositeur et trompettiste de jazz costarmoricain, Eric Le Lann vient se lover dans les plaintes distordues des guitares qui déroulent une magnifique ballade « Sometimes Lovers Don’t Meet » (Parfois, les amoureux ne se rencontrent pas).
Là, encore, la voix assurée mais nuancée de Nolwenn domine parfaitement une ample orchestration aux sonorités jazzy, bluesy. C’est l’une des deux plages les plus longues de l’opus, mais on en redemande… alors « on boucle le titre » .
« In my place everything is made to share
Every day l hear the sound of your despairs
Sometimes lovers don’t meet » . (bis).
« Chez moi tout est fait pour partager
Chaque jour j'entends le son de ton désespoir
Parfois, les amoureux ne se rencontrent pas » . (bis).
Comme une signature à ce projet, comme pour finir où cette aventure a vu le jour, vous écouterez avec un très vif intérêt le dixième titre qui conclut le programme et dont nous vous parlions en début de chronique, « That kid is different » .
Dans ce bouquet final, les voix des deux artistes Nolwenn Korbell et Frank DARCEL, se répondent, puis communient à merveilles .
Les chants, identiquement « calibrées » s’unissent, sublimement, dans le tempo et le phrasé, tandis que les guitares de Franck et, cette fois, de Stéphane KERIHUEL, appuyées des rythmiques qui marquent fermement le pas, viennent mourir sur le suspens des dernières notes.
« Here comes the day whan one of us
Will have to say goodbye
The one that stays will have to care
About the precious son » .
« Voici le jour où l'un d'entre nous
Devra dire au revoir
Celui qui reste devra s'en soucier
A propos du précieux fils » .
Finalement, assez éclectique mais fort cohérent, grâce à une évidente unité de ton, cet enregistrement très réussi, produit avec grande minutie que nous aurions, toutefois, souhaité plus long, semble cheminer entre délicatesse pop, rock anglais, ballades mélancoliques, parfois presque noirceur semblant refléter certaines couleurs de notre monde actuel.
La langue bretonne, précisément chantée par la talentueuse et passeuse Nolwenn se marie, chaque fois, plus étroitement avec le rock qu’elle propulse, en franchissant, après le folk, le blues, la world des disques précédents, un pas nouveau, déjà bien amorcé, au travers de son album « Noazh » .
Présenté dans un élégant Digipack cartonné qui nous fait découvrir en sa double face interne l’ensemble des « acteurs » tout de noir vêtus, cet opus demeure, globalement, rock, mais les guitares restent rondes et mélodiques, racées, courtoises.
Elles respectent et portent cette belle et spécifique voix féminine de la Bretagne qu’est celle de Nolwenn Korbell dont les émotions qu’elle suscite franchissent, aisément, le mur du son, fut-il volumineux.
Encore un nouveau volet artistique qui vient s’adjoindre aux multiples talents de cette artiste qui, décidemment, inclassable (et c’est très bien, ainsi), nous étonnera et nous ravira toujours.
Nous vous invitons à vous procurer cet excellent opus, pour découvrir ou redécouvrir une artiste qui chante entre autres, en breton, sans chanter du kan ha diskan ou des gwerzoù, des guitaristes rock, mais non celto-rock, qui n’associent à leurs cordes aucune bombarde ou cornemuse, mais qui, tous, portent, également, au premier rang, la création musicale bretonne contemporaine diverse et variée que nous nous faisons, toujours, un grand plaisir de vous suggérer, lorsqu’elle est, comme ici, de grande qualité.
Gérard Simon
Illustration sonore de la page : Nolwenn Korbell's Band - "Your Best Mother" - Extrait de 01:05.
D'autres extraits sonores sur le site Culture et celtie, l'e-MAGazine :
CD Nolwenn Korbell's Band - Avel Azul
Parution : 20 avril 2018
Edité chez : LADTK records
Distribution : Caroline international - Réf : 6753119
Page Facebook du Nolwenn Korbell's Band : (voir le site)
Les titres du CD "Avel Azul"
01 - Your Best Mother - 02:55
02 - Da Belec'h - 02:57
03 - Boud dieub - 03:59
04 - Les lettres du front (Avec Hélène BRUNET, à la guitare) - 03:58
05 - Pevare - 03:20
06 - An Alc'hwez - 03:29
07 - Sometimes Lovers Don't Meet (Avec Eric Le Lann à la trompette) - 04:05
08 - Où sont les nôtres ? - 03:35
09 - Luskell - 03:45
10 - That Kid is Different - 04:35
© Culture et Celtie