Selon le New-York Times, le Canada a déclaré samedi 21 janvier qu'il avait accepté de payer 2,8 milliards de dollars canadiens, soit environ 2 milliards d'euros, pour régler la dernière d'une série de poursuites judiciaires visant à obtenir des réparations pour le préjudice causé aux peuples autochtones (1) par le biais d'un système de pensionnats obligatoires qu'une commission nationale a appelé génocide culturel.
La décision de justice résout un recours collectif intenté en 2012 par 325 "Premières Nations" (1) qui demandaient une compensation pour l'éradication de leurs cultures et langues. Le gouvernement canadien a alors créé une commission, la Commission de vérité et réconciliation. Elle a produit un rapport accablant . Rozenn Milin cite amplement ce rapport dans sa thèse récente intitulée Du sabot au crâne de singe : histoire, modalités et conséquences de l’imposition d’une langue dominante dans sa section sur le Canada.
Le Canada s'engage à réparer les préjudices collectifs causés par le système des pensionnats et la perte de la langue, de la culture et du patrimoine - communiqué le ministère des Relations Couronne-Autochtones du Canada.
Des milliers d'élèves autochtones éduqués dans environ 130 pensionnats du XIXe siècle aux années 1990 se sont vu interdire, parfois par la violence coercitive, de parler leurs langues ancestrales et de pratiquer leurs traditions un peu comme en Bretagne où l'on mettait un sabot autour du cou d'un élève surpris à parler breton (le symbole). Les enfants travaillaient aussi dans les établissements. Ils maintenaient les lieux propres et fonctionnels, travaillaient en cuisine, dans les buanderies, faisaient le ménage, etc. Des emplois non-salariés que l'on peut assimiler à de l'esclavage. Le froid, la faim, la violence et les abus de toutes sortes semblent avoir été la règle. Les punitions étaient le plus souvent corporelles. Les enfants étaient fouettés avec une lanière de cuir.
Le gouvernement canadien semble blâmer les institutions religieuses mais les auteurs du rapport ont retrouvé une déclaration du Premier ministre du Canada datant de 1883. Il déclare « pour soustraire autant que possible les enfants sauvages à l’influence de leurs parents, le seul moyen d’y réussir serait de placer ces enfants dans des écoles industrielles centrales, où ils adopteraient les habitudes et les façons de penser des blancs ».
Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages ; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser, restent celles des sauvages. En un mot, c’est un sauvage capable de lire et d’écrire. On a fortement insisté auprès de moi, comme chef du département de l’Intérieur, pour soustraire autant que possible les enfants sauvages à l’influence de leurs parents. Or, le seul moyen d’y réussir serait de placer ces enfants dans des écoles industrielles centrales, où ils adopteraient les habitudes et les façons de penser des blancs - le premier ministre du Canada, sir John A. Macdonald, s’adresse ainsi à la Chambre des communes en 1883.
Les enfants autochtones étaient parfois enlevés de force à leur famille et envoyés dans ces écoles. Selon le rapport, les pensionnats indiens au Canada étaient principalement financés et gérés par le gouvernement du Canada, l'Église catholique, les Églises anglicane, méthodiste, presbytérienne, et l'Église unie.
Beaucoup d'enfants ont été maltraités ou mal soignés et sont décédés dans ces établissements, les corps n'étaient pas rendus aux familles. Plus de 1300 tombes auraient été identifiées. Dès leur arrivée les enfants n'avaient plus le droit de parler leur langue maternelle. Ils ne devaient parler qu'anglais et dans certaines écoles le français. Si on les entendait parler leur langue ils étaient battus ou on leur lavait la bouche avec du savon. La plupart ne connaissaient pas un mot d'anglais ou de français en arrivant.
Alphonsine McNeely fréquentait l’école catholique d’Aklavik dans les années 1940. À un certain moment, une sœur les a entendues, elle et son amie, s’enseigner leurs langues respectives : Elle m’a pris... je ne sais pas pourquoi elles étaient toujours contre moi. En tout cas, elle m’a menée à l’évier, elle a pris ça, le savon Sunlight qu’ils avaient, une sorte de grosse barre, elle a pris une brosse, une brosse à plancher, j’ai pensé qu’elle allait me faire frotter le plancher ou quelque chose comme ça. À la place, elle, elle m’a tirée par les cheveux et elle a commencé à me frotter la bouche avec--Dans "Les survivants s'expriment", un des rapports de la Commission.
Pour Marcel Guiboche, de l’école de Pine Creek, l’expérience a été effrayante : Une sœur, une religieuse a commencé à me parler en anglais et en français, et elle criait après moi. Je ne parlais pas anglais et je ne comprenais pas ce qu’elle, ce qu’elle demandait. Elle est devenue très fâchée et elle a commencé à me frapper partout sur le corps, sur les mains, sur les jambes et dans le dos. J’ai commencé à pleurer, à crier, et j’ai eu très peur, et ça l’a rendue encore plus furieuse. Elle a pris une ceinture noire et m’a frappé encore plus. -Dans "Les survivants s'expriment", un des rapports de la Commission.
En juillet dernier, alors en visite dans l'Alberta au Canada, le pape François avait présenté des excuses historiques aux peuples autochtones au sujet "des abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels" qui ont eu lieu dans ces pensionnats. Il a demandé pardon.
Oui, les écoles peuvent être aussi des lieux d'ethnocides, voire de génocides culturels. Elles ne servent pas uniquement à l'éducation, elles sont aussi des lieux privilégiés de politiques d'assimilation menées par les états qui incluent des minorités nationales ou des peuples conquis. Quant aux églises, elles ont rivalisé de zèle. Ce fut à qui convertirait le plus à sa version du christianisme, bannissant toute forme de spiritualité qui existait parmi les peuples autochtones.
L'école peut devenir le lieu de rupture entre un peuple et une nation dominante. Certes ces enfants apprenaient de petits métiers , mais la commission a reconnu que le Canada a « séparé les enfants de leurs parents en les envoyant dans des pensionnats. Cela n’a pas été fait pour les éduquer, mais principalement pour rompre leurs liens avec leur culture et leur identité. ». Si la culture est ce qui est transmis d'une génération à une autre, ces pensionnats étaient des lieux de transculturations, c'est-à-dire du passage forcé d'une culture à une autre.
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