Rédaction Maryvonne Cadiou
Jeudi 12 se tenait à Nantes le procès des six jeunes Nantais qui avaient barbouillé des sigles Pays de la Loire sur des Trains Express Régionaux et goudronné des parties de l'Hôtel de la région des Pays de la Loire.
Il a été reproché aux prévenus d'avoir volontairement dégradé des biens publics de la SNCF et du Conseil régional de Loire-Atlantique. Maître Erwan Le Moign, avocat de la défense relève aussitôt l'erreur du parquet : « Le Conseil régional de Loire-Atlantique n'existe pas ». Rectification donc.
La procureure expose les faits constatés et finit en décrivant des tags « PdL = poubelle », « 44=Bzh » en orange fluo. L'assistance applaudit. Alors la procureure déclare « Je ne veux pas que cette audience serve de tribune à un mouvement quelconque, ou je fais évacuer la salle ». À ce moment, la porte vers le hall étant restée ouverte, on entend le début du Bro Gozh, l'hymne national breton, en choeur. « Dites à ces personnes de se calmer », ajoute-t-elle, puis elle continue. Ils déclarent être tous d'accord sur le déroulement des faits et ont reconnu avoir participé à deux actions à ce jour. Elle remarque qu'ils ont tous "des prénoms à consonance bretonne", après avoir, lors des déclinaisons d'identité, demandé à Maël s'il s'appelait "Maël ou Noël ?"
Les prévenus déclarent tous n'avoir rien à ajouter. La partie civile demande alors « quel lien ils font entre le combat idéologique, le symbole, et la dégradation, acte physique matériel ». Kevin Laquaine-Jakez, le porte-parole des six, répond : “la volonté populaire n'est pas prise en compte. Les pays de Loire nient notre culture et notre identité.” « N'y a-t-il pas d'autres endroits pour porter vos revendications ? » Kevin : “le barbouillage n'est quand même pas l'ensemble de notre action”.
Les prévenus, qui habitent tous chez leurs parents, dont cinq sont étudiants et un qui travaille a été licencié, ont tous individuellement et successivement déclaré à la présidente du tribunal qu'ils ne regrettent rien.
Maître Jérôme Maudet : « Pourquoi du coaltar ? ». Réponse : “C'est un moyen symbolique avant tout, les bâtiments sont faciles à nettoyer”. « Les entreprises mandatées pour nettoyer ont eu toutes les peines du monde. Il a fallu aussi remplacer du mobilier urbain, c'est indélébile. Pourquoi dites-vous que c'est facile à enlever ? » La procureure : « Pourquoi ces produits-là ? ». Réponse : “Cela permet de laisser la marque de nos revendications un certain temps...” « Que vous évaluez à combien ? » continue-t-elle. La salle manifeste. « Pour que les personnes de passage les voient ? ». “Oui”, répond Kevin.
La procureure : « Si quelqu'un taguait ma maison, je le considérerais comme un délinquant... »
Maître Le Moign à la cour : « Vous ne voulez pas de tribune mais les parties civiles ont eu droit à une tribune politique et militante. Pourquoi six jeunes lycéens et étudiants s'attaquent-ils aux symboles des Pays de la Loire ?" Et aux prévenus : "Y a-t-il un lien, à vos yeux, dans votre cursus qui vous a fait agir ainsi ? »
Kevin : “C'est très difficile d'être breton en Loire-Atlantique, d'exprimer et vivre sa culture, à cause de la partition. Par exemple, pour aller à un festival en Centre-Bretagne, il y a pour les jeunes des tarifs SNCF préférentiels en région Bretagne depuis n'importe quelle ville, mais de Loire-Atlantique le train c'est le tarif plein... Ou encore, en Pays de Loire, la formation professionnelle en breton n'est pas accessible, et aussi les journaux nous parlent de la Sarthe, de la Mayenne, rien sur le Morbihan, le Finistère ou les Côtes-d'Armor...”
La procureure : « J'ai vu des articles sur le projet de rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, et de la Vendée à la région Poitou-Vendée, alors pourquoi avez-vous fait cela ? » [maintenant].
Kevin : “L'évolution institutionnelle pour la réunification est permanente...” [il n'a pas ajouté que leur action s'est déroulée avant la soudaine accélération].
Les autres prévenus déclarent n'avoir rien à ajouter.
Tous témoins, non des faits, mais de personnalité. Sans parenté ni lien professionnel avec les inculpés.
– Gilles Servat, chanteur, à la Cour
— “Je suis venu parce que je partage leurs idées. Mes parents sont nés à Nantes, une de mes grand-mères est née à Fay-de-Bretagne en Loire-Atlantique. Je me souviens que mon père a été très choqué quand il y a eu la séparation. Il m'a écrit les paroles d'une chanson... Je pense que la Loire-Atlantique est en Bretagne, je ne me suis pas posé la question.
— “Nous avons une situation ubuesque et grotesque avec la Bretagne administrative et la Bretagne historique. Est-ce que la France accepterait une France historique et une France administrative qui ne soient pas la même ?
— “Je veux parler du traitement qu'ils ont subi, ils ont été menottés, perquisitionnés... Pas à cause de la peinture, à cause de la couleur de leur action... Si exprimer que la Loire-Atlantique est en Bretagne c'est être un terroriste, alors je crains d'être un terroriste moi-même.
— “J'ai participé à une enquête sur l'enseignement du breton en Loire-Atlantique dans les collèges. Il y avait plus de demandes pour le breton que pour le latin et d'autres langues. Et c'est à Clisson qu'il y avait le plus d'élèves en cours de breton.
— “Je suis très heureux de voir qu'il y a des jeunes qui ne se laissent pas faire et qui agissent.”
Il avait dit à ABP, avant l'audience : "Les choses ont été faites pour satisfaire des appétits personnels, ceux du premier président de région Guichard et les autres. Si la Bretagne est réunie, Auxiette se retrouvera dans le Poitou face à Ségolène et il perdra son fromage... J'admire le courage de ces jeunes, cela me fait plaisir de témoigner pour eux. Quand j'ai été sollicité j'ai accepté tout de suite. J'ai été très choqué de la façon dont ça s'est passé pour eux, menottés, en garde à vue jusqu'à 40 heures ! Ça dépasse les limites, ils deviennent des terroristes !"
– Émile Granville, enseignant, maire-adjoint de Redon et vice-président du Pays de Redon (la communauté de communes), à la Cour.
— “Je viens tout d'abord comme ancien président de l'association Bretagne Réunie qui agit pour la réunification depuis son origine. Le 14 juin 2005, à une réunion où se trouvait monsieur Auxiette, nous lui avons dit « Monsieur Auxiette, vous avez des compétences, mais vous ne devez pas utiliser votre pouvoir pour transformer les identités ».
— “Il semble qu'il n'ait pas compris le message. Le logo des pays de la Loire aussi grand qu'un car ? C'est de la provocation. On sent la volonté de détruire l'idée d'être breton en Loire-Atlantique, en particulier en direction des lycéens.
— "Dans le magazine de la région, maintenant on s'adresse aux enfants. On veut envoyer ce journal dans les écoles et favoriser, dès le plus jeune âge, une identité ligérienne. Depuis l'empire soviétique, c'est le seul exemple d'une tentative de destruction d'identité... "
— "En tant qu'enseignant" : les lycéens de Redon, à cause des deux académies, sont traités différemment : les Bretons, ceux qui habitent en région Bretagne d'un côté, les autres, qui viennent de Loire-Atlantique, de l'autre côté ; ils ne sont rien... La présentation est faite pour détruire leur identité. On ne peut pas se construire sans racines, sans repères. Dans ce contexte de crise économique, on a besoin de confiance en soi...
— “L'évolution se fait vers la réunification. Je rappelle les vœux de la région Bretagne et du Conseil général de Loire-Atlantique en ce sens. Ils ont été transmis au comité Balladur. Du côté des responsables de la région Pays de Loire, aucune réponse politique n'a été donnée. On se trouve face à un mur, il y a blocage complet. En Loire-Atlantique, les gens nés avant 1972 sont des Bretons, nés après 72 ce sont des Ligériens ! Dans cette théorie, rien ne tient. On peut considérer Jacques Auxiette et son équipe comme responsables du blocage qui a conduit aux dégradations.
Il avait dit à ABP, avant l'audience : "Le pays de Redon subit le découpage depuis trop longtemps. Il devient insupportable pour nous au quotidien. Nous sommes tiraillés par des mesures qui sont distinctes en fonction des régions d'appartenance, qui ont des politiques différentes. Il faut que ça cesse ! " Puis :
On s'y organise pour reconstituer la réunification de la Bretagne. La Communauté de communes comporte 55 communes. Les cantons de Guémené-Penfao, Saint-Nicolas-de-Redon et Plessé, en Loire-Atlantique, l'ont rejointe.
Dans l'enseignement (je suis professeur au lycée général et technique) : il y a 900 élèves. Environ 300 viennent de Loire-Atlantique, du bassin industriel Nantes Saint-Nazaire surtout, et sont pensionnaires. Il leur est insupportable de ne pas être dits Bretons quand ils ont des papiers à remplir, car les académies de Rennes et de Nantes fonctionnent différemment. Ils ressentent une frustration et même une grande douleur. Quand les professeurs leur disent qu'ils sont bretons, alors un sourire les éclaire, ils éprouvent une vraie joie : ils sont de quelque part, ils retrouvent confiance en eux...
Émile Granville sur le procès : « ces jeunes sont très courageux, ils défendent leurs racines et leur identité. Ils ont le droit d'être eux-mêmes. C'est pour dire cela que je suis ici ».
–Jean Ollivro, géographe, à la Cour
— “Ma présence ici n'est pas pour justifier les actes. Je viens pour faire comprendre l'exaspération de la jeunesse bretonne. Le découpage omet la réalité humaine. La région factice procède à une opération de propagande qui est de la provocation. La Loire-Atlantique est bretonne. Il faut de multiples ouvertures vers la Bretagne à 5 départements. La Cour d'appel est restée à Rennes, grâce aux juristes. Le pays de Redon témoigne d'un réel problème. Les sondages sont favorables à 69 % pour la Loire-Atlantique en Bretagne.
— “Avant-hier à Paris, tous les représentants de l'Économie bretonne étaient à Paris, ensemble, pour affirmer les enjeux d'une réunification. Le développement dépend de la cohérence. Les politiques, les scientifiques ont réaffirmé collectivement cet appel qui est lancé. La réunification est réclamée depuis de trop nombreuses années.
— “En tant qu'auteur d'ouvrages sur le sujet, je dis que la situation évolue, que la Bretagne doit retrouver son identité réelle...
Alors la procureure l'interrompt : "Ici vous parlez seulement à des magistrats. La presse est plus utile pour vous exprimer, au lieu de dégénérer...". Jean Ollivro réplique "Et les gens qui se rebellent dans des pays opprimés, qu'est-ce que vous en dites ?" L'assistance ayant manifesté contre la remarque de la procureure, puis pour celle de Jean Ollivro, il n'a pas pu continuer.
La partie civile pour la région fait remarquer que "Les prévenus suivent un cursus universitaire financé par la région" et déclare que "ses bâtiments sont la cible régulière de dégradations revendiquées par un ou plusieurs groupes". La présidente : "les faits sont connus. Quand les dégradations sont légères, la jurisprudence est versée aux débats, dès lors qu'elles sont indélébiles, c'est une infraction, une atteinte à la propriété publique. Sont versés aux débats alors, factures et devis".
Me Jérôme Maudet énumère les travaux, à hauteur de 22.200,84 €. Il rappelle que "pour l'Erika, la région a aussi suscité le préjudice. Aujourd'hui nous avons six prévenus : il n'est pas question de faire supporter les dépenses par les contribuables régionaux. Je demande donc réparation pour le préjudice matériel".
La partie civile pour la SNCF, Me Laurence Rousseau, revient parler doucement à 50 cm du micro pourtant allumé. "L'assurance des parents aurait pu jouer pour l'indemnisation, mais je crains que non, les dégradations des TER ne sont pas légères".
Elle poursuit, toujours aussi bas, "en ce qui concerne les débats je suis restée sur ma faim. Le troisième témoin n'a pas parlé des faits mais a énoncé des idées...
Je suis là pour demander réparation du préjudice subi par la SNCF à hauteur de 12.257,56 €.
J'espère sincèrement que les idéologues qui les soutiennent vont également songer à les soulager des condamnations".
La procureure précise que la garde à vue est normale, que la perquisition est normale. Elle énonce alors les frais de 22.000 + 12.000 € d'indemnisations. "En conclusion, j'ai la même observation que la partie civile. Monsieur Laquaine, vous êtes jeunes, dynamiques, tant mieux. Ils sont étudiants, sauf un, ils sauront utiliser leur temps libre pour travailler afin de rembourser les frais, et, plutôt qu'une amende, je requiers pour chacun 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 heures de Travaux d'Intérêt général".
— Dans le dossier il est dit "revendications polémiques politiques en connotation liées aux actes". Ils sont jeunes mais responsables. On les a dits "manipulés par un groupuscule" (...) Ils ont senti la nécessité d'agir face à un mur. Les pays de la Loire ne sont pas démocratiques. Quand on a vu 10.000 personnes à Nantes revendiquer la réunification, il y a une audience publique, mais ces actes ont été aussi un moyen pour eux de s'exprimer.
— "Si la garde à vue est légale, sa durée exceptionnelle jusqu'à 40 heures en hiver avec le froid l'est-elle ? Trois d'entre eux ont été interpellés à 1 heure du matin. Ils n'ont pas été interrogés alors, pas avant 9 heures du matin, jusqu'à 14 heures. Les noms des trois autres étaient connus à 15 heures. Pourquoi prolonger la garde à vue alors ? 24 heures plus 24 heures..., sinon pour les sanctionner, pour le contenu politique et la signification militante ? Ils ont été libérés le lendemain à 15 heures alors que tout était clair la veille. Ils ont reconnu les faits et ont donné les noms car leur action est une revendication collective".
— Elle est entendue souvent à Nantes et depuis longtemps. Elle semble archaïque. Dans ce monde globalisé, avec Internet, on pourrait leur dire "vous êtes jeunes, oubliez, pensez à votre avenir...". Des jeunes, en 2008, se sont levés, pas pour blesser... leur groupe n'est pas organisé, ce n'est pas une organisation clandestine non plus. Ils ont réagi à ce qui peut se définir comme une véritable propagande des Pays de la Loire :
"La région a du mal à exister depuis 1972, on n'arrive pas à l'imposer, il y a un déficit d'image, on n'arrive pas, on essaye avec des moyens énormes. Personne n'a demandé de changer le logo, personne n'a demandé de dire dans les écoles “vous serez des bons Ligériens”. Le président a fait fi des revendications. Il a dépensé l'argent des concitoyens pour assouvir un choix politique ».
— "L'association Bretagne Réunie remonte aux années 40. On nie la démocratie en imposant la région. En novembre le président de la République a parlé en ce sens. Il y a eu un repas à Paris, a dit monsieur Ollivro, où un appel a été lancé. Si les forces intelligentes unies font que l'avenir va dans ce sens, les pays de la Loire vont encore s'y refuser et continuer leur communication..."
— "J'ai du mal à comprendre. D'après votre dossier, vous êtes inculpés de faits délictuels sur bâtiments publics. Je vois frais de nettoyage. 3.000 € pour la SNCF, le devis pour frais de nettoyage des wagons. Il y a un chiffrage si récidive ! Le deuxième chiffrage est pour l'immobilisation des trains. Est-ce que les usagers ont souffert de l'immobilisation ? Non. Le nettoyage de l'hôtel des Pays de la Loire est à grands frais d'argent. Pour les panneaux vous avez fait le choix de les remplacer. Si ma maison est sale je peux choisir de la nettoyer ou de la repeindre. Ce n'est pas le même prix. Le choix des Pays de la Loire ce n'est pas le choix des jeunes. Ils n'ont pas cassé de matériel, pas cassé en deux. On a seulement des marques. Or c'est le chiffrage du traitement de la façade qui est donné. Je demande sur ce point que le jury reconnaisse que leurs actes n'ont pas constitué un délit mais un dommage léger. La même chose a été reconnue à Saint-Nazaire quand du coaltar a maculé la stèle d'Olivier Guichard à La Baule".
— "Aujourd'hui les jeunes s'expriment. Ils ne sont pas des délinquants, n'ont pas de casier. Aujourd'hui ils disent "la revendication politique n'est pas utile"[efficace], on l'a dit. "Cette jeunesse a le courage de ses opinions, de ses idées, elle les défend avec lucidité, avec courage. Je vous demande d'appliquer la clémence : le poing levé face à une idéologie, ce n'est pas acceptable ".
Il est 18 h 45. Les jeunes n'ont rien à ajouter pour leur défense. La procureure leur demande leur accord – ou non – si elle envisage qu'ils accomplissent un travail d'intérêt général non rémunéré au profit de personnes morales de droit public ou privé. Ils donnent individuellement leur accord pour le TIG. Le verdict sera rendu le 5 mars.
La salle de 120-130 places assises n'était pas pleine. Les pompiers auraient dit aux policiers de ne pas la remplir entièrement pour raisons de sécurité. Les policiers ont affirmé à ABP que c'est pareil pour chaque procès. "Il est regrettable que des personnes âgées et ma femme, enceinte, n'aient pas été autorisées à entrer s'asseoir, d'autant que dans ce grand hall, les sièges ne sont pas nombreux" confia un futur papa à ABP.
"Si les micros avaient été branchés, le fond de la salle aurait entendu les débats..." regretta une dame.
Mini sondage : les sympathisants venaient de :
– en Loire-Atlantique : Missillac, La Baule, Saint-Nazaire, Basse-Goulaine, Châteaubriant, Pornic, La Chapelle-sur-Erdre, Nantes...
– dans le reste de la Bretagne : Douarnenez, Vannes, Lorient, Rennes, Montfort-sur-Meu, Redon, Locoal-Mendon, Pontivy, Guingamp, Guidel...
– et aussi du Maine-et-Loire.
Outre les jeunes du Collectif 44=Breizh, étaient présents parmi les 200 sympathisants qui avaient pu se libérer en semaine, Pascal Laizé et Christian Georgeault, Gweltaz Adeux et Laurent Grippay, anciens d'EV, des membres de Bretagne Réunie, de Diwan, de Bretagne Plus, de l'Agence culturelle bretonne, de Bemdez, d'Atlantyka, de l'UDB, du Parti breton... ainsi que Jérôme Bouthier, président de Skoazell Vreizh,... et, parmi la presse, la chaîne de télévision Nantes7 était remarquée... après sa défection à la FestiManif de septembre dernier ...