Lors de la deuxième session du conseil régional de Bretagne, Nil Caouissin co-porte-parole du groupe “Breizh a-gleiz – autonomie, écologie, territoires”, a pris deux fois la paroles. Une première fois pour prononcer le discours de politique général. Ensuite pour parler de la situation difficile des filières bilingues en Bretagne.
Keneiled kaer,
Setu amañ kentañ prezegenn politikerezh hollek ar strollad dilennidi Breizh a-gleiz, e penn-kentañ ur respetad a vo pouezus-kenañ evit dazont Breizh. J’aurais aimé pouvoir faire cette intervention en breton mais la traduction n’est pas assurée, et un discours de politique général bilingue risquerait de nous prendre un temps déraisonnable. Je passe donc en français en espérant que dès le début du mandat, nous installerons un système de traduction instantanée, comme cela se pratique au Pays de Galles notamment, afin de permettre à celles et ceux d’entre nous qui le souhaitent de s’exprimer en gallo ou en breton.
Chères/Chers collègues,
Le mandat dans lequel nous nous engageons correspond à un moment de bascule pour la Bretagne. Les évolutions auxquelles nous sommes confrontées sont rapides, et appellent pour certaines des réponses urgentes. Sur le front du climat, chaque année d’inaction nous rapproche de la catastrophe et amplifie la gravité des drames qui se produiront ; l’actualité tragique en Allemagne et en Belgique vient encore de nous le rappeler. La biodiversité fait face à la même urgence. Il s’agit de sauvegarder la possibilité de la vie humaine dans le monde, et pour ce qui nous concerne, en particulier en Bretagne. Le Conseil régional peut et doit en prendre la mesure en annonçant dès le début du mandat des réorientations fortes, au niveau du foncier, de l’agriculture, des mobilités, du type d’économie que nous voulons soutenir.
Plus les transformations seront rapides et profondes, plus elles devront se faire dans la justice.
13 % de la superficie de la Bretagne est d’ores et déjà urbanisée. Et nous sommes, avec l’Ile-de-France et les Hauts-de-France, la région en France où le rythme d’artificialisation des terres est le plus rapide. L’attractivité accrue de la Bretagne après les périodes de confinement ne peut qu’amplifier le problème si nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent. Stopper l’artificialisation des sols ne pourra se faire que si le droit au logement est garanti, ce qui suppose, en plus d’une politique de l’offre sobre en terres et en matériau, une politique de régulation et de priorisation de la demande, dont les outils font largement défaut aujourd’hui, et qu’il nous faut construire. La lutte contre la spéculation, la protection des résidents permanents face au pouvoir d’achat supérieur des futurs résidents secondaires, sont des sujets que nous n’avons plus le droit d’esquiver à l’heure où les Bretons de toutes origines peinent à se loger, n’osent plus déménager, et où les nouveaux arrivants, s’ils ne sont pas beaucoup plus riches que la moyenne, risquent de ne pouvoir accéder ni à la propriété ni à la location. Alors qu’on continue à détruire des champs pour construire des lotissements, combien de ces nouvelles maisons seront dédiées aux locations touristiques de courte durée ? A-t-on bien pris au sérieux l’enjeu de la sécurité alimentaire alors que les discours officiels continuent de proclamer la vocation exportatrice du complexe agricole breton ?
Cet enjeu se pose bien à moyen terme, en raison de la consommation de foncier bien sûr, mais aussi du bilan énergétique et climatique de notre secteur agricole. Réorienter la production agricole pour la rendre autonome et efficiente, adaptée aux possibilités de l’environnement breton, ne sera tenable que si les travailleurs de ce secteur reçoivent une juste rémunération pour leurs efforts, et si la possibilité même d’installer massivement de nouveaux agriculteurs est garantie. Là aussi, la régulation et la protection sont indissociables de la transformation.
Dans la même logique, réduire la consommation d’énergie de nos transports ne se fera pas par la culpabilisation ou la « responsabilisation » des automobilistes, mais par le déploiement massif d’alternatives, sur tout le territoire, incluant une reconquête ferroviaire que justifie d’ailleurs l’augmentation de la population bretonne, la généralisation des possibilités effectives de déplacement en vélo, et surtout, plus profondément encore, la réduction des mobilités contraintes, dont un aménagement équilibré du territoire est la clé. Nous le savons, les villes moyennes et leurs bassins de vie sont ceux qui génèrent les déplacements les moins longs ; à l’inverse, la métropolisation et le processus de résidentialisation sur nos côtes poussent les actifs à allonger leurs trajets domicile-travail.
Quant à la sobriété en carbone et en énergie de notre économie, elle suppose évidemment une approche territorialisée et une rationalisation des échanges mondiaux. L’hyper-spécialisation des territoires est incompatible avec l’écologie, du fait des déséquilibres qu’elle entraîne. La situation de notre secteur agro-alimentaire en est une illustration permanente. Reterritorialiser les circuits de production dans une logique d’économie circulaire et diversifier l’économie sont deux impératifs pour créer et maintenir durablement des emplois en Bretagne. A ce sujet, nous appelons à ne pas baisser la garde sur le front de l’emploi, car le taux de chômage relativement bas de la Région cache l’émigration de milliers de jeunes Bretons, et cette émigration n’est pas toujours choisie. Quand l’État cofinance et dirige un projet de Grand Paris, d’un budget de 42 milliards d’euros, visant explicitement à drainer la population active des autres régions de France, quitte à augmenter les déplacements pendulaires quotidiens sur plusieurs centaines de kilomètres, notre institution devrait porter un combat politique pour en finir avec le centralisme économique et garantir un juste partage des investissements stratégiques. Il faut presque mendier pour maintenir en état les lignes ferroviaires bretonnes qui n’ont pas encore été fermées, alors que des dizaines de gares s’ouvrent en Île-de-France. Cette réalité-là, la Bretagne doit la dénoncer car elle est contraire à l’idéal républicain. Le plus absurde dans cette affaire, c’est que la moitié de la population francilienne déclare vouloir vivre dans une autre région !
Nous entendons donc contribuer à ce que le Conseil régional de Bretagne affirme des ambitions de transformation forte dès le début du mandat, à ce qu’il ne rate pas son rendez-vous avec l’Histoire, et qu’il se projette résolument vers la construction d’un pouvoir régional à la hauteur des attentes de la population. Rappelons que la majorité de la population attend que plus de compétences soient exercées par le Conseil régional, et qu’un bon tiers souhaite même que lui soit dévolu un pouvoir législatif afin que les compétences officiellement transférées correspondent à un réel pouvoir d’action.
Le pouvoir régional en Bretagne fait en effet bien défaut, quand quelques anciens présidents et hommes politiques désignés par le pouvoir central pour siéger au Conseil constitutionnel décident, sur la base de leurs convictions personnelles, d’interdire l’enseignement immersif du breton dans l’école publique, d’interdire l’usage des prénoms bretons comprenant des signes exotiques à leurs yeux, ou quand un ministre en mission décide de saboter les filières bilingues publiques et l’enseignement immersif associatif, au mépris des engagements signés par l’État, au mépris aussi du principe démocratique de séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Nous voulons ici souligner un scandale en cours qui passe largement au-dessous des radars médiatiques. En ce moment même, de nombreuses filières bilingues sont menacées de suspension, sous divers prétextes, suspensions annoncées bien sûr en juillet pour que les familles n’aient pas le temps de s’organiser et de rechercher une autre offre d’enseignement bilingue. Ce cas plaide à lui seul pour l’autonomie interne de la Bretagne, si la situation de notre réseau ferroviaire ou la gestion de la crise sanitaire ne vous en avaient pas déjà convaincu.
Là se trouve la clé d’un renouveau démocratique. Quand la participation électorale aux récentes régionales atteignait à peine un tiers en région Bretagne, et moins encore dans la région artificielle des Pays-de-la-Loire, elle était de 60 % en Corse. Or, en Corse, une Assemblée unique réunit les anciens départements et la région dans une collectivité à statut particulier, et la majorité politique y mène un long combat pour construire l’autonomie. Les forces qui défendent ce projet, avec diverses nuances, ont réuni 70 % des voix au second tour. D’ores et déjà – mais qui le sait en Bretagne ? Qui le sait en France ? – la Collectivité de Corse dispose d’un budget de 3 880 euros par habitant quand celui de la Région Bretagne plafonne à 520 euros, soit un rapport de un à 7. Voilà l’exemple à suivre pour la Bretagne si nous voulons qu’elle redevienne un espace d’espoir démocratique, de débat et de mobilisation. La Bretagne entière, Loire-Atlantique comprise. Notre responsabilité est aussi de représenter les Bretonnes et les Bretons de notre département le plus peuplé, qui espèrent majoritairement voir leur pays réunifié.
Il nous faut plaider pour ce gain de compétences, de capacités budgétaires, de pouvoir et d’autonomie de la Bretagne, pour d’une part intéresser à nouveau les Bretonnes et les Bretons au mandat régional que nous exerçons, pour d’une part hisser notre région au rang des grandes régions européennes mais aussi et surtout pour prendre en charge avec efficacité le mur qui est devant nous : l’urgence climatique et la crise écologique.
Nous appelons à une région forte animant un cap de transformation avec les territoires locaux que sont les pays, qui doivent être aujourd’hui positionnés comme des lieux de résilience et de transition.
Keneiled kaer,
Chers collègues,
Anavezet hon eus er mizioù diwezhañ prantadoù tenn etre ar Stad hag hor strollegezh diwar-benn ar brezhoneg, heg ar c’helenn brezhonek dreist-holl. Goude ma oa bet nac’het gant ar ministr kadarnaat ur feur-emglev uhelek evit yezhoù Breizh, e oa bet nullet lod eus araokadennoù al lezenn Molac gant ar C’huzul Bonreizhel, diwar goulenn strollad ar Prezidant. Saviad Diwan en doa da gentañ desachet an evezh, gant gwir abeg, dre ma c’hallfe e bennaennoù bezañ bresket gant diviz ar C’huzul. Neoazh, n’eo ket gwarezet an hentennoù divyezhek publik kennebeut.
Ces derniers mois ont été traversés par des tensions entre l’État et notre collectivité au sujet de la langue bretonne, et en particulier de son enseignement. Après le refus du ministre de l’Education nationale de valider une convention ambitieuse pour les langues de Bretagne, les avancées de la loi Molac ont été partiellement censurées par le Conseil constitutionnel, à la demande de la majorité présidentielle. La situation de Diwan a d’abord cristallisé les inquiétudes, à juste titre, car son modèle pourrait être mis en cause par la décision du Conseil. Cependant, les filières bilingues publiques ne sont pas non plus à l’abri.
Merzomp da gentañ e vo difennet ar c’helenn dre soubidigezh enne, daoust d’ar pezh a oa bet votet gant ar gannaded, ar pezh a vo ur skoilh d’o efedusted pedagogel. Met un danjer mallusoc’h zo o tont war wel : e-kerzh miz Gouere eo bet embannet gant ar rektordi e vefe ehanet gant meur a hentenn divyezhek publik, diwar brizhabegoù liesseurt, ha d’un deiziad a lakao diaes ar skolidi evit cheñch skol. Talvezout a ra kement-mañ ne c’hallo ket skolidi zo kenderc’hel gant ar c’helenn divyezhek er skolaj pe el lise, ha lod anezho zoken, o doa dibabet mont d’ur skol pell diouzh o zi evit ar brezhoneg, a raio un hir a hent evit netra.
Notons tout d’abord que l’immersion y est interdite, contrairement au vote de la représentation nationale, ce qui constituera une entrave à leur succès pédagogique. Mais une menace plus urgente se fait jour : courant juillet, le rectorat a annoncé la suspension de nombreuses filières bilingues publiques, sous divers prétextes, à une date rendant difficile les démarches de changement d’établissement pour les élèves. Cela signifie que des élèves qui souhaitaient poursuivre leur scolarité bilingue au collège ou au lycée ne le pourront pas, et que certains mêmes, qui avaient choisi un collège relativement éloigné de chez eux pour y suivre des cours en breton, subiront chaque jour un trajet long sans aucune raison.
Dirak ar pezh a seblant bezañ un dagadenn a-enep an hentennoù divyezhek publik e Breizh, petra a vo respont ar Rannvro ?
Face à ce qui ressemble bien à une offensive contre les filières bilingues publiques en Bretagne, quelle sera la réaction de la Région ?
Nil Caouissin pour le groupe Breizh a-gleiz – autonomie, écologie, territoires.