Dans son dernier numéro d'août-septembre 2015, le mensuel BRETONS s'interroge en titrant "Les Bretons ont-ils toujours la Foi ?" Effectivement, la pratique religieuse en Bretagne "est en chute libre" sans parler des vocations en voie de disparition.
Dans son reportage, Maiwenn Raynaudon-Kerzerho, donne les chiffres : si 67% des Bretons se disent catholiques, ils sont juste au dessus de la moyenne française, mais en dessous des alsaciens (72%) ou des mosellans (80%) et le taux de pratiquants est tombé à 14,5% en région Bretagne.
Malgré tout, le patrimoine religieux du bâti reste extraordinaire. Les chapelles, même si la moitié ont disparu en particulier en Haute Bretagne (80% ont disparu en Ille-et-Vilaine et en Loire Atlantique selon Bernard Rio), sont le plus souvent maintenues ou restaurées par des associations locales.
Le phénomène religieux a un nouveau visage en Bretagne. Si Rome est en déclin, les aspects bretons de la foi sont en pleine renaissance. Philippe Abjean a réussi à relancer le Tro Breizh, un pèlerinage annuel autour des saints fondateurs dont la dernière étape est partie de Vannes samedi dernier. La ferveur autour de la Vallée des Saints, un projet aussi lancé par Philippe Abjean, montre que les Bretons, s'ils ne sont plus adeptes de la messe du dimanche, sont volontiers enclins à exprimer un christianisme un peu moins romain (catholique) et un peu plus breton, voire celtique. Le Tro Breizh en est un des exemples, comme le culte des saints fondateurs et autres missionnaires venus d'Irlande ou de Grande Bretagne, des cultes qui persistent.
Les pardons sont une spécificité bretonne, unique dans la chrétienté. Dans son excellent livre, aux éditions Le Passeur, Sur les chemins des Pardons et pèlerinages en Bretagne paru en 2015, Bernard Rio fait un recensement de cette tradition bretonne qui fait partie intégrale de notre patrimoine religieux. Comme Bernard Rio l'écrit dès le début de son livre "Le pardon breton n'a pas d'équivalent en France". Il est à la fois "religieux et profane, chrétien et païen , acte de piété individuelle et manifestation communautaire", explique-t-il.
Même si le mot de "pardon" en lui-même suggère les abus des indulgences qui ont donné naissance au protestantisme au XVIe siècle, il en est l'antithèse car, comme l'explique Bernard Rio, dans le pardon breton, ce n'est pas l'église via le prêtre qui pardonne mais bien le saint local lui-même, un saint protecteur souvent fondateur du village dont les aventures extraordinaires sont conservées dans une vita.
Bernard Rio va jusqu'à écrire que "Le pardon est l'une des clés pour la compréhension de la Bretagne" car pour lui les moines missionnaires irlandais arrivés en Armorique aux Ve et VIe siècles, ont opéré "un transfert mythologique". Bernard Rio voit dans les pardons, une adaptation d'anciens rites païens autour de divinité locales. C 'est d'ailleurs ce qu'avait démontré Donatien Laurent au sujet de La Troménie de Locronan qui n'est autre qu'une ancienne fête de lug, alors célébrée à Lugnassad , le 1er août, 40 jours après l'équinoxe. A Tréguier, le culte officiel de Saint-Yves Hélory de Kermatin, le saint catholique, est doublé d'un "culte officieux" de Saint-Yves-de-vérité, un culte beaucoup plus ancien d'un dieu justicier qui, lui, ne pardonnait rien [2].
Les pardons bretons sont loin d'être en voie de disparition : celui de Porcaro (voir le site) , une petite commune de 645 habitants entre Guer et Ploërmel, rassemble 20 000 motards tous les 15 août, le Tro Breizh, 1 500 marcheurs, et le grand pardon de Saint-Anne d'Auray (voir nos photos) entre 20 et 30 000 pèlerins.
[1] Donatien Laurent, « La troménie de Locronan : Rite, espace et temps sacré », in Saint Ronan et la Troménie : Actes du colloque international, 28-30 avril 1989, Brest, Locronan : CRBC, Association Abardaeziou Lokorn, 1995, pp.12-57.
[2] La notion de pardon semble une doctrine spécifiquement catholique. Les religions dites protestantes ne l'ont pas reprise. Pour les Protestants comme pour les anciens Païens, Dieu ne pardonne rien du tout. Dans les religions orientales, le concept de karma, prédomine aussi partout.