Au moins 6.000 entrées “payantes”, déclarèrent les organisateurs pour la Fête des Chalands Fleuris au creux de la Brière, à 5 km du bourg de Saint-André des Eaux, précisant que, les enfants ne payant pas, « nous étions bien plus nombreux ». 5 euros c'était un vrai cadeau pour la richesse des spectacles, pour lesquels les organisateurs s'attachent chaque année à faire une programmation bretonne.
La verdure à perte d'horizon mais une pelouse rase et jaune, il n'a pas plu depuis longtemps... Dans cet oasis habituellement calme, après le concert de Louise Ebrel – elle restera écouter Gilles Servat – puis le spectacle historique de l'après-midi, en fleurs et en costumes, sur le canal proche, chacun rapporta sa chaise. Une marée humaine. Les plus gourmands s'assoient sur l'herbe juste devant la scène.
Le concert en concentré
Le pays proche, d'abord : Guérande, ses marais et son moulin, puis l'Irlande, l'Angleterre, l'Acadie et/ou Belle Île, Kemper après l'ouragan, la Bretagne quand on y revient, l'Île de Groix et son poète, Fougères et Clisson évidemment, un adieu émouvant et quatre nouveautés plus une énorme surprise. Une furieuse envie de le retrouver en concert ou au moins, de réécouter ses disques...
Le concert
Gilles arrive tout de noir vêtu, cheveux courts, bronzé, minci, magnifique. En formation légère, il est accompagné de son pianiste sur clavier Philippe Turbin, de Corlay dans les Côtes-d'Armor. Les hommes en noir prennent place. Claude-Bernard Laurent est à la technique. « Gilles est un ami de trente ans, je le sonorise quand il est dans le coin ». Le public est prévenu des essais sono. Mais il a bien du mal, Claude-Bernard : aux premières mesures de « Les Moulins de Guérande », Gilles voit le public de “l'orchestre” grimacer et grincer des oreilles. Stop. On refait des réglages et c'est reparti.
Un tout de force cette convivialité, avec peut-être 4.000 personnes en face et autour. De nombreux rangs sont debout derrière loin au fond. Bonne humeur, pas de stress, pas d'impatience. Il n'est que 19 h 45 et nous avons toute la soirée. Le chaud soleil reparaît, les fins nuages blancs s'éloignent. Le ciel est bientôt entièrement bleu. Et nous sommes hors du temps, toutes antennes dehors pour capter le maximum de poésie.
Après les Moulins de Guérande et la magnifique image du « manteau d'Arlequin » des marais salants (si, si, survolez-les en hélicoptère ou, plus facile et moins cher, regardez les cartes postales prises d'avion), il enchaîne avec Insouciance, « qui sera sur mon prochain CD, s'il sort... ».
"L'insouciance est de passage comme au ciel une éclaircie... L'insouciance ici se pose comme l'oiseau qui chante réjouissant les coeurs moroses".
Suit La maison d'Irlande, maison où Gilles s'était isolé à plusieurs reprises pour écrire les volumes 2 et 3 de ses Chroniques d'Arcturus ( voir notre article ), c'est une complainte.
"Chérissons les instants qui se meurent aussitôt
Et qu'on ne reverra plus jamais,
Chérissons les instants qui se meurent aussitôt
Et qu'on ne retrouv'ra qu'au cim'tière des photos...
Faut passer par un ch'min, à péter un essieu
Où l'on peut voir les nuages courir dans les flaqu's d'eau.
J'ai des amis là-bas j'leur ai laissé mon coeur.
Oui mais la dernière fois j'étais un peu perdu
Quand mes amis m'ont dit : la maison est vendue".
The Wild rover. Le titre de Gilles : Le cul cousu d'or. Il a traduit les 3 premiers couplets et a adapté le quatrième qui était vraiment trop hard ai-je cru comprendre... Il sollicite le public, ce qui plaît toujours beaucoup, pour le refrain :
"Et c'est non, non, jamais,
Non jamais non de non !
C'est pas cette nuit encore
Que je couch'rai dehors".
clap clap en tapant dans nos mains. Une répé ou deux et tout est calé. Une sordide histoire en effet... "J'ai traîné mes guêtres des années entières, j'ai claqué mon fric dans l'whisky et la bière"...
Le pays. Une nouveauté sur le thème du retour au pays. « Vous connaissez... Vous êtes bien placés pour... ». Ce vous êtes bien placés pour, un sous-entendu pour “vous êtes bretons ici en Loire-Atlantique” ? « Vous connaissez leur tempérament. Le Breton n'a qu'une envie, partir. Et quand il est au loin, il n'a qu'une idée... » – temps de silence, rires dans le public qui a deviné – « Faut aller loin pour se rendre compte... Ça m'est arrivé aussi ». Et il nous annonce « Elle sera dans le prochain CD, s'il sort ».
Il enchaîne une ancienne composition sur ce thème, certainement du vécu d'avant son installation définitive en Bretagne : Je dors en Bretagne ce soir
"Par chance et aussi par vouloir,
Je dors en Bretagne ce soir...
Les ajoncs de La Roche-Bernard,
Beauté prise dans un regard..."
Même si on peut ne plus passer dans la ville ni sur le pont suspendu, et que les ajoncs ont depuis longtemps disparu à la sortie du pont, pour élargissement de route, cette image a été vraie.
« Ralin Guevin, Ralin Guevin », répète Gilles... « À Belle-Île il existe une communauté acadienne » explique-t-il « installée après “le grand dérangement” » poursuit-il, avec un accent délicieux (le grin déring'mint, r roulés, vous voyez ?). « Les Anglais avaient tout brûlé chez eux. Ils ont dû partir. J'ai composé cette chanson à Belle Île, pour Roland Gauvin, chanteur acadien, et les siens ». Et il interprète Je pense à toi, je pense aux tiens.
Suit un grand classique composé après l'ouragan de 1987 Sur la route de Kemper où les canards sont bleus, coin-coin. "Sur les herbes jaunies, du Mont Frugy, d'autres feuillages poseront leurs ombres", avec un couplet-refrain en breton.
« J'ai écouté une émission scientifique, on a découvert un truc : le génome de la tulipe est plus complexe que celui de l'homme... ».
"Humblement je dis, en tant que fleur, cette fleur est à moi bien supérieure, et jamais, non jamais, je n'égalerai le poisson ni l'épi de blé..."
C'est Hiérarchie, une nouvelle chanson, une somme de réflexions à déguster sur la toute relative importance de l'homme dans l'univers et de la hiérarchie qu'il y instaure. Et à la fin, la photo à ne pas rater quand on est prévenu : un formidable bras d'honneur à la hiérarchie !
Le nain charmant. Un conte de fée revisité ?
Oui, il sera question des sept nains, de Blanche Neige... C'est le conte recomposé, décalé dans le monde moderne... Le chanteur pare le prince des vices et des vertus des nains à travers les saisons, comprendra-t-on... Perplexe, le public joue docilement le rôle que lui donne le chanteur. Blanche Neige a épousé le nain charmant mais... "Timide et Dormeur"... [clap-clap dans les mains], Ja-mais ! Parfois... Simplet..." http://www.gilles-servat.com pour les paroles.
Dirty Old town. Gilles précise « On croit que c'est une chanson irlandaise parce qu'elle a été popularisée par les Pogues, mais elle est de Ewan Mac Coll, chanteur d'origine écossaise ayant vécu en Angleterre. J'en ai fait Vieille ville de merde que j'ai eu la chance d'enregistrer avec Ronnie Drew de The Dubliners ». Et il enchaîne avec gouaille :
« Premier amour près de l'usine à gaz, premiers rêves près du vieux canal, premiers baisers près de la raffinerie... ». Nous avons droit en prime au premier couplet en anglais.
« En breton, une petite, la première que j'ai apprise, c'était à l'Île de Groix. Un poème de Kalloc'h ». En breton vannetais, comme il se doit. « Me zo ganet e kreiz ar mor, teir lev er-maez... ». Gilles chantera trois des onze couplets de ce poème autobiographique mis en musique par Jef Le Penven. La virtuosité du pianiste Philippe Turbin, qui nous emplit agréablement les oreilles de torrents de notes, est remarquable. L'auteur Yann-Ber Kalloc'h ou Jean-Pierre Calloc'h a été tué au front, à 29 ans en 1917.
« La chanson suivante est un peu spéciale. À force de la chanter, un jour je me suis aperçu que je pensais à autre chose. Ça ne vous est pas déjà arrivé, en voiture, après avoir traversé un village que vous connaissez bien, de vous dire « mais est-ce que je me suis arrêté au feu » ? Oui, je pensais à autre chose... Le lendemain pareil. La troisième fois, je la chante pas. Mais c'est qu'on est venu me voir après : Mais tu n'as pas chanté la Blanche hermine ? ».
Rires et cris dans le public !
« Ben, euh... » poursuit-il, « Mais nous, on a payé notre place ! » « Alors j'ai compris qu'il faut que je la chante – même en pensant à autre chose ».
Et nous y voilà. « Vive Fougères et Clisson » !
« Elle aura bien de la peine pour élever les enfants. Elle aura bien de la peine car je m'en vais pour longtemps ! »
Il laisse des plages de silence pour le refrain, mais, ou bien c'est que l'air porte peu ou bien il y a des trous de mémoire... Ou encore des gens en vacances découvrent la chanson !
Savent-ils qu'il avait 25-26 ans quand il l'a composée quasiment d'une traite à Paris chez Ty Jos – en tout cas c'est ce qui se dit et qui serait à vérifier – alors qu'il venait de s'éveiller à la conscience de sa bretonnitude. Savent-ils qu'elle est devenue un hymne breton plus connu que le Bro Gozh va zadoù parmi les Bretons ?
Avec Je vous emporte dans mon coeur, une sensibilité à couper le souffle. Composée vers Solliès-Pont au nord de Toulon pour un adieu à ces gens qui l'avaient si bien reçu, cette chanson est très souvent, en final, un adieu à son public du jour...
« Demain la route va me prendre
Par delà le temps et l'espace
Qu'importe demain la distance
Si j'ai laissé un peu de moi…
Peu ou beaucoup quelle importance…
On ne mesure pas son émoi…
Demain je m'en vais l'âme en fête
Vers la patrie de mes amours
Avec un chant de joie en tête
Avec pour vous, un chant d'amour ».
Gilles Servat “cantateur” breton !
...On dit bien cantatrice... « Je vais essayer un truc », lance-t-il en back stage après la fin officielle de son concert.
Son livret noir à la main pour les paroles, Gilles s'avance sur le devant de la scène, hors micro (il précisera plus tard que c'est « pour pas péter la sono »), et surprend avec, non un air d'opéra, précise-t-il, mais du bel canto napolitain...
A cappella avec juste un léger soutien au piano-clavier, c'est avec la magnifique voix puissante que nous lui connaissons mais poussée à un maximum que nous ne lui soupçonnions pas, qu'il attaque O Sole mio avec tous les couplets ! Stupéfaction, enchantement... Applaudissements nourris, cris, hurlements même ! Le public lui a fait une ovation plus géante que jamais.
Dès l'annonce d'une séance de dédicaces dans la petite tente à côté du podium, le public s'est précipité !
Propos de public conquis glanés après le concert
— Kova, de Grenoble, originaire de Yougoslavie : « Je le découvre, il est formidable ! Même si j'avais quelques problèmes à comprendre les paroles car j'étais trop sur le côté, j'aime beaucoup. Il a un blog ? J'y cours dès que je peux me rebrancher sur Internet à mon retour de vacances ».
— « J'ai été longtemps à l'étranger, mais j'en avais entendu parler par des amis bretons qui ne tarissaient pas d'éloges sur lui. Étant en vacances en sud Loire, dès que j'ai appris qu'il chanterait pas trop loin, je me suis précipitée. J'ai été très émue ! »
— Emmanuel, 40 ans, depuis 10 ans à Saint-Herblain, près de Nantes, est tellement enthousiaste pour la Bretagne de ses vacances d'enfant qu'il y a développé sa vie de Franc-Comtois devenu quasiment breton. « J'y pensais quand vous m'avez interrogé... J'ai découvert Gilles Servat il y a bientôt 30 ans en écoutant les 33 tours de ma mère et de mon beau-père. Ses disques étaient mêlés aux “10 ans, 10 filles” des Tri Yann, “Reflets” d'Alain Stivell, “L'espoir et la violence” de Francesca Solleville et autres Ferrat et Ferré sans oublier Ange. Pendant l'année, nous suivions les concerts sur Belfort-Besançon et l'été nous profitions des vacances à La Turballe, à Pont-l'Abbé, à Douarnenez... pour aller voir nos idoles. Ma mère, étant militante même en vacances, je me suis retrouvé en famille à Plogoff avec les Bretons anti-nucléaires pour la crémaillère d'une bergerie. Bref, notre affection pour la Bretagne est indéfectible. Mais curieusement je n'avais jamais vu Servat sur scène. Quant à la légende Servat qu'il est, j'ai pu mesurer ce soir qu'elle était intacte. Un stentor ! »
— Jean : « Non je ne connaissais pas. Je viens d'Aurillac. Il est d'une simplicité et d'une gentillesse incroyables ! Il met le public dans sa poche comme un rien. Très sympathique ! »
— Cécile : « J'ai tous ses disques ou presque. J'ai une furieuse envie de les réécouter, mais à huis clos, tranquille ! »
— Claude : « J'ai adoré l'histoire des nains et de Blanche Neige. Faut-il y voir un troisième degré ? »
— Aline : « O Sole mio ! Formidable ! Ce sera à travailler mais il nous a fait un beau cadeau. Il a le coffre pour ! Je connaissais “It's now or never” d'Elvis par coeur ». Nostalgique, Aline.
— Alain : « J'ai été bluffé, ma voisine connaissait toutes les paroles par coeur ! »
— Gwenola : « Ancienne Bretonne de Paris, je l'ai connu à ses débuts, je l'ai vu écrire ses premières chansons chez Ty Jos, le rendez-vous des Bretons de Paris. Je l'ai écouté chez “Pouzoulic” à Groix, où il était hébergé et dont il animait les soirées. Même si je comprends qu'il ne peut pas faire 5 heures de spectacle, je regrette de ne plus entendre ses chansons du début. Mais j'aime toujours autant. Il a de belles images poétiques. Pour ses traductions, je préfère toutefois les entendre en VO ».
— Martine : « Malgré la fraîcheur qui arrivait, je serais bien restée l'écouter quelques heures de plus ! »
Maryvonne Cadiou
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