Cette semaine les citoyens de l’Union européenne vont élire leurs nouveaux députés au Parlement européen. La responsabilité est grande car ces représentants vont prendre, pour le compte de 500 millions de personnes, des décisions importantes qui impacteront notre vie dans de nombreux domaines, non seulement pour les cinq ans qui viennent mais pour plusieurs décennies. L’espace et le temps sont, en matière européenne, à prendre en compte. Les temporalités ne sont pas celles d’une région ou d’un État, et l’espace est à la fois celui de la communauté des Européens et celui des relations que l'UE va construire avec le reste du monde.
En France, 34 listes se présentent à nos suffrages. La circonscription, redevenue nationale, fait que peu de personnes connaissent les candidats. Un éloignement entre parlementaires et citoyens est en train de se creuser.
Un double choix
Au moment de voter, et face à des candidats qui proposent des listes de projets dignes de catalogues de vente par correspondance, réduits à des outils certes parfois intéressants mais en aucun cas porteurs de lignes directrices d’un véritable projet de politique européenne, il s'agit de répondre, à deux questions fondamentales et aux valeurs partagées.
Elles interrogent sur deux plans et étaient déjà exposées en leur temps par les Fondateurs de la Communauté européenne.
Quelle Europe voulons-nous ? Une Union européenne « puissance » ou une espace économique, simple zone de libre-échange ?
Quelle gouvernance de l’UE voulons-nous ? Une gestion intergouvernementale comme c’est le cas aujourd’hui ou une gouvernance fédérale ?
Ce sont les questions fondamentales auxquelles les candidats devraient répondre. Seulement 11 listes révèlent un ADN européen. Or ces listes abordent la problématique européenne de manières très différentes ; en effet, on peut être pro-européen et vouloir une Union aux degrés variables d’intégration et/ou de coopération.
Le sens des mots
L’Union européenne, et non pas l’Europe, doit-elle être une puissance ? C’est-à-dire une construction de plus en plus approfondie et intégrée, « aux liens sans cesse plus étroits entre les peuples » disait Robert Schuman, et capable de développer une politique étrangère, et éventuellement de sécurité et de défense.
Si oui, cela implique que l’UE, sur ces questions, ne parle que d’une seule voix.
Dans le contexte de mondialisation qui nous concerne (économies, échanges, commerce, normes, politiques étrangères, lutte contre le réchauffement climatique, immigrations, intelligence artificielle, spatial, défense, etc.) cela suppose alors qu’aux compétences déjà transférées par les États membres et qui transcendent frontières, idéologies et mêmes continents (PAC, environnement, transports, monnaie, etc.) les domaines des relations avec les autres puissances et les continents-États (Chine, Russie, USA, etc.) se fassent au niveau de l’UE.
L’autre Europe, celle de la zone de libre-échange (vision des Britanniques), réduite au commerce et à la circulation des biens, sans citoyenneté et sans Europe politique, est sans conteste plus simple, mais moins ambitieuse.
Quant à l’Europe des nations, elle nous ramènerait à la situation connue avant la Seconde Guerre mondiale. À noter que l’UE est déjà une zone de libre-échange et un espace douanier commun.
La seconde question amène un choix électoral stratégique et politique tout aussi impératif. Une gestion intergouvernementale, celle que nous connaissons aujourd’hui et dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle ne fonctionne pas idéalement, est celle d’une Europe des États membres qui négocient en permanence. C’est l’UE des décisions prises par les chefs d’États et de gouvernements, préalablement négociées par les cabinets diplomatiques, le fameux Coreper dont aucun candidat ne parle. C’est pourtant le choix et le fonctionnement actuel des États.
Ce Comité des Représentants Permanents occupe une place centrale dans le système de prise de décision de l’UE. Il est à la fois une instance de dialogue de chacun d’entre eux avec sa capitale, et de contrôle politique (orientation et supervision des groupes d’experts). Il est ainsi chargé de l’examen préalable des dossiers qui figurent à l’ordre du jour du Conseil européen (propositions et projets d’actes soumis par la Commission).
Dans les faits, ce sont sont surtout les grands États à politique étrangère qui ont la main et laissent ainsi peu de place au Service d’Action Extérieure et à la Haute représentante aux Affaires étrangères dont le rôle est pourtant spécifié dans le Traité de Lisbonne.
S'il satisfait les États, ce fonctionnement empêche en même temps la réelle construction européenne et l’émergence d’un sentiment d’appartenance chez les citoyens. Il contrarie aussi l’exercice réel de la citoyenneté européenne. C’est l’Europe des chefs de gouvernement qui rentrent chez eux en disant « Voilà ce que j’ai obtenu pour notre pays » au lieu de « Voilà ce que nous avons obtenu pour notre Europe ».
Une troisième voie ?
Face à cette gestion de l’UE de façon intergouvernementale et insatisfaisante, il existe une autre méthode, sans doute plus adaptée au projet européen, à notre temps et à l’avenir de l’UE : c'est la gouvernance de type fédéral qui prévoit que la gestion des compétences transférées, et uniquement celles-là, serait de la responsabilité d’un gouvernement commun, dans le respect de la souveraineté partagée des États et en accord avec l’application réelle du principe de subsidiarité voté lors du Traité de Maastricht. Elle ouvre la voie à une modification des traités.
Voilà le choix des possibles. L’UE est notre devenir, dit-on. Encore faut-il en dévoiler les orientations et permettre un véritable choix aux citoyens de communauté de peuples et de nations.