Loi Molac
L’Etat profond poussé dans ses retranchements
Derrière la nuque raide de Jean Michel Blanquer, on devine la cohorte de la haute fonction publique et de l’establishment jacobin qui monopolise le pouvoir dans les jardins de l’Elysée et de Matignon, dans les couloirs de Bercy et dans les bureaux de la place Beauvau. Il faut bien sûr y ajouter le tentaculaire ministère de l’Education nationale qui complète ce « quintet », véritable clef de voûte du pouvoir en France.
Cette « vitrine politique » s’appuie sur tout un réseau d’officines plus discrètes. Le Conseil Constitutionnel en est une, tout comme le Conseil d’Etat ou l’Académie française, le grand corps des Préfets, et toute une myriade de « cercles de réflexion » dont celui de Sciences-Po Paris, sans oublier l’intelligentsia des « grands journalistes » qui répercute sur l’opinion, dans une presse propriété de l’Etat ou des grandes fortunes qui lui sont liées, un discours formaté et bien rodé. Tout ce petit monde s’épanouit dans l’entre-soi, avec, comme ciment profond, les certitudes de « l’ordre établi ».
Comment la « Loi Molac » a-t-elle pu se frayer son chemin malgré une adversité aussi bien implantée ? C’est un vrai tour de force qui a été réalisé, et dont le récit mérite que l’on s’y attarde car il est riche d’enseignements politiques.
Au départ il y a la première élection de Paul Molac en 2012, comme aboutissement d’une séquence politique qui a rapproché à nouveau Verts et RPS lors des élections européennes de 2009. En est résulté ma première élection au Parlement Européen, vingt ans après Max Simeoni, puis des accords dans de nombreuses régions en 2010, puis l’investiture donnée à Paul Molac par EELV, dans un accord passé avec RPS, pour être candidat dans une des circonscriptions négociées par les Verts avec le PS alors vainqueur de l’élection présidentielle que François Hollande venait de remporter.
Paul Molac est un pilier du monde culturel breton, et il a cherché durant tout ce premier mandat la clef pour faire entrer les langues régionales dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Plusieurs tentatives ont eu lieu, mais, à la fin du mandat, il y a le constat d’un échec à faire aboutir un débat réel. Cependant, quelques relais se sont alors manifestés, comme Jean Jacques Urvoas à l’Assemblée Nationale, et ce premier investissement apportera incontestablement des effets positifs ensuite.
Mais pour qu’il y ait une suite, il fallait d’abord que Paul Molac soit réélu en Bretagne, ce qu’il a réussi grâce à son bilan et en surfant sur la vague macroniste lors des législatives de 2017 qui ont suivi l’élection à la Présidence de la République.
Dans cette nouvelle Assemblée, il fallait aussi qu’une niche parlementaire permette d’inscrire à nouveau la question des langues régionales à l’agenda du Parlement, et pour cela, il fallait disposer d’un groupe parlementaire. Or l’ex-groupe écologiste avait disparu du Palais Bourbon, alors que RPS, fort de l’élection de trois députés sur quatre en Corse, a pu engager les premières démarches en vue de la Constitution d’un nouveau groupe. Il a fallu un an pour y parvenir, mais le travail mené par Jean Félix Acquaviva et ses amis a fini par aboutir. « Libertés et Territoires » était créé, et, avec lui, la « niche parlementaire » dont Paul Molac a pu bénéficier.
Pendant ce temps, profitant à nouveau des accords entre EELV et RPS aux élections européennes, j’ai pu effectuer un retour au Parlement Européen, six ans après y avoir fait voter à la quasi-unanimité un rapport pour la sauvegarde des langues menacées de disparition, situation dans laquelle sont réduites toutes les langues régionales de l’Hexagone, y compris la langue corse. La réforme Blanquer du baccalauréat, décidée au printemps 2019, arrive en application dès la rentrée suivante. Avec les moyens du Parlement Européen, je peux prendre en charge l’organisation d’une réunion avec tous les acteurs de l’enseignement des langues régionales. Elle a lieu le 12 septembre et elle donne lieu à la création du Collectif Pour Que Vivent Nos Langues qui pilote depuis la mobilisation contre la réforme Blanquer et le soutien à la loi Molac : manifestations à Paris, puis dans toutes les régions, lobbying efficace auprès des parlementaires, etc…
Après avoir été vidée en première lecture de l’essentiel de son contenu par le Ministre et sa majorité, il fallait impérativement que la loi Molac puisse rebondir au Sénat. Par chance, les élections sénatoriales de septembre ont permis d’élire plusieurs sénateurs écologistes et un sénateur RPS en Corse. En tout ils sont douze élus et ils peuvent donc créer leur groupe (minimum de 10 sénateurs). Et à partir de là, ils ont pu relancer la proposition de loi de Paul Molac dans leur « niche sénatoriale ».
La suite est mieux connue : devant le Sénat, Jean Michel Blanquer échoue à faire rejeter les amendements préparés avec le soutien de sénateurs de différents groupes, dont le basque Max Brisson. Puis retour devant l’Assemblée Nationale et nouvel échec de Jean Michel Blanquer, encore largement battu, cette fois parmi les députés.
La loi Molac votée, il ne lui restait plus que ce recours en forme de coup tordu, avec une poignée de députés, devant le Conseil Constitutionnel qui, sans surprise, lui a donné gain de cause. Mais la protestation que cette décision provoque est immense et va bien au-delà de ce que l’on n’avait jamais vu.
Ce parcours de la mobilisation autour des langues régionales a donc été permis et favorisé par la mise en place d’une démarche politique alliant écologistes et régionalistes. C’est une illustration concrète des effets positifs de ce choix effectué sur le long terme.
L’Etat profond est désormais poussé dans ses retranchements. La mobilisation continue !