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Photo de mariage des parents de Jean Rohou
Photo de mariage des parents de Jean Rohou
- Présentation de livre -
Le Plouc d'orgueil
On réfute dans "Le Plouc d’orgueil" les idées que Jean Rohou exprime dans "Fils de ploucs". Ce dernier invoque constamment la « supériorité » du français sur le breton. Rannou montre qu’on aurait pu promouvoir les Bretons en les instruisant aussi dans leur langue, nullement inapte à dire la modernité. "Fils de ploucs" a été écrit en réaction au "Cheval d'orgueil". Rohou critique Hélias pour sa nostalgie d'un passé où il a vécu pauvre, mais heureux, au contact de gens rayonnants. Peut-on le lui reprocher ?
Par Pascal Rannou pour Trikamar éditions le 16/02/24 11:11

LE PLOUC D’ORGUEIL

Pascal Rannou

« ... Tout se confond dans la grisaille des aliénés. »

Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, Points-Seuil, p. 15

Table :

Préambule

1)FILS DE PLOUCS 1, 2 et 3 : contenu

2)Au nom du réel

3)Un préjugé tenace : la supériorité du français sur le breton et l'incapacité qu'aurait celui-ci à exprimer les notions affectives et les termes techniques :

a)La langue bretonne et le vocabulaire scientifique

b) La langue bretonne et les termes spirituels

c)La langue bretonne et le vocabulaire affectif

d)La langue bretonne et l’abstraction

4)Quelle promotion ? Quelle égalité scolaire ?

a)Le français, vecteur unique de promotion ?

b)L’École de la république et ses prétendus mérites

5)Les Bretons responsables du déclin du breton ?

6)Culture, langue et civilisation bretonnes cibles d'une critique non argumentée :

a)Haro sur les faits de civilisation...

b)Haro sur les Bretons...

c)Haro sur les célébrités bretonnes...

d)La cible préférée : Pierre-Jakez Hélias

7)Des circonstances atténuantes

8)Partisan néanmoins de la langue bretonne

Annexe : Fils de ploucs, de Jean Rohou : le bonheur triste d’un aliéné (article tiré de la revue Hopala !, n°30, nov. 2008- fév. 2009)

Préambule

Dans le troisième tome de "Fils de ploucs" , Jean Rohou, légitimement fier du triomphe qu'ont connu les deux précédents volumes de son autobiographie, évoque les critiques que son travail a suscitées. « Contrairement à mes craintes, en dehors d’un article fielleux et absurde intitulé "Le bonheur triste d’un aliéné", les critiques ont été peu nombreuses », écrit-il, p.17.

Mais il n'a hélas pas eu le courage de nommer l'auteur de l'article, en l'occurrence moi-même, ni le support qui l'a publié, la revue "Hopala!" (n° 30, nov. 2008-fév. 2009). Cela m'a surpris et déçu, car si Rohou avait donné ces références, ses lecteurs auraient pu lire l'article en question et juger s'il méritait de tels qualificatifs.

Or, mon texte n'est nullement « fielleux », c'est-à-dire « méchant, acide, inspiré par la jalousie, acariâtre... » comme les dictionnaires des synonymes définissent cet adjectif. Il n'est pas non plus « absurde », autrement dit « dénué de sens »... J'écris depuis bientôt 50 ans, j'ai écrit des dizaines d'articles dans des revues très sérieuses, plusieurs essais dont on a en général salué la dimension argumentative. Si on a pu me critiquer, jamais on ne m'a qualifié mes productions écrites d' « absurdes ». Mais je pense que Jean Rohou est hélas incapable de comprendre ce que je dis, tout simplement parce que cela va à l'encontre de la vision du monde que son éducation a forgée et que lui-même a nourrie.

Dans l'article d'"Hopala", je manifeste, au contraire, beaucoup de sympathie, et même d'affection, pour mon ancien prof et collègue Jean Rohou, dont j'ai pu apprécier la compétence, l'intégrité et la chaleur humaine envers quelqu'un qui lui était statutairement inférieur : étudiant d'agrégation en 86-87, enseignant-chercheur non titulaire en 93-94 à Rennes 2, où il a travaillé une trentaine d'années.

Jean Rohou se dépeint dans ses ouvrages comme « brillant conférencier » (3, p. 253, entre autres). C'était le cas dans ses cours aussi. Spécialiste du XVIIe siècle, il maîtrisait à la perfection son sujet. Jean Rohou affirme avoir toujours soutenu les femmes, dans les campagnes de recrutement, et estime qu'elles faisaient en général mieux leur travail que les hommes et étaient moins carriéristes. Philogynie louable, mais qui me laisse sceptique : j'ai connu, dans les universités, collèges et lycées que j'ai fréquentées, des travailleurs et des travailleuses, des fainéant(e)s, des nullités et des profs très sérieux et efficaces qui étaient des deux sexes. L'appartenance à un genre n'induit aucune qualité intrinsèque, ni aucun défaut. Beaucoup de femmes sont carriéristes, à l'université comme ailleurs.

Le mot « brillant », que s'attribue Rohou, est d'ailleurs positif et négatif. Il emporte une idée de vernis, de brio. Un individu « brillant » fait un numéro avec aisance, sans modestie ni empathie avec son auditoire. C'est un(e) show(o)man qui maîtrise son sujet et n'entend pas être contredit : il n'imagine même pas qu'il puisse l'être.

Que m'a valu donc d'être qualifié ainsi ? J'ai lu "Fils de ploucs 2" avant d'avoir lu le premier. Le titre me rebutait. Je me disais qu'il donnait, une fois de plus, du Breton l'image péjorative que la France l'avait obligé à avoir de lui-même, qu'il avait intériorisée au point qu'il le brandissait avec un allant masochiste, comme le dernier de la classe exhibait jadis avec un rire jaune son bonnet d'âne, se moquant de l'image que les autres donnaient de lui, l'intériorisant. Je me souviens avoir vu, enfant, le « comique » Sim à la télévision chanter « Marie la Bretonne, putain de Montparnasse », affublé d'un rouleau de papier hygiénique sur la tête, qui représentait évidemment la coiffe bigoudène. Morvan Lebesque décrit cette scène dans "Comment peut-on être Breton ?" (Seuil, 1970, coll. Points, p. 122). Mon père, résigné, avait soupiré : « Eh oui, on est bien comme ça, nous les Bretons... » Bien que n'ayant, à l'époque, aucune conscience bretonne, cela m'avait turlupiné. Ma mère avait réagi : « Mais non, Raymond... on n'est pas que ça, quand même... » J'ignore comment la discussion s’était close. Mais cette scène est pour moi une scène primitive, au sens freudien : ma première confrontation à mon identité bretonne, dont je n'avais pas idée jusque-là, ne parlant pas la langue maternelle de mes parents – anomalie dont le caractère inacceptable ne m'apparut que bien plus tard.

Dans mon article, je félicite Jean Rohou pour l'affection qu'il témoigne envers la langue bretonne et ses défenseurs : Diwan, dont il loue l'action avec ferveur, TV Breizh, dont il déplore l'échec, l'estimant justement due au CSA qui lui a refusé une chaîne hertzienne, les militants dévoués qui doivent bien créer des néologismes, pour éviter que la langue ne soit truffée de mots français. Mais je déplore aussi qu'il persiste dans le cliché qui voir dans le breton une langue par essence inférieure au français, incapable d'exprimer des réalités spirituelles, affectives, technologiques... Il a donc fallu, estime Rohou, passer au français pour être « magnifiquement promus », véritable leitmotiv des deux premiers tomes de FP ! Je me suis appliqué à montrer qu'il a tort, ce qui ne lui a pas plu.

Autre erreur : Rohou ne cesse d'affirmer que la France pratique depuis Jules Ferry un égalitarisme démocratique en matière, notamment, de scolarité... Mais il ne cesse aussi de dire que son admission au collège a été un « miracle » (mot peu laïc!), que, fils de paysan pauvre, il n'aurait jamais dû faire des études longues, qu'il n'en a fait que parce que son directeur d'école voulait qu'il accompagne son fils à l'internat... Il compare son sort à celui, affligeant, de son petit frère. N'ayant pas bénéficié d'un tel concours de circonstances, ce dernier est resté à la ferme, plouc, aigri, mort avant Jean, après avoir été ruiné et être devenu chômeur (FP2, p. 135) ...

Alors, logiquement, je souligne la contradiction flagrante que Rohou ne cesse d’exposer : si la France avait pratiqué l'égalité en matière scolaire, un petit paysan pauvre comme lui aurait dû aller au collège ! Lui comme son frère, et tant d'autres auraient dû y aller... Cela semble évident ! Et incroyable que personne, avant moi, n'ait relevé un « raisonnement » aussi dénué de raison – absurde, pour le coup. « C'est celui qui dit qui est », disait-on, jadis, dans les écoles primaires de mon coin de Bretagne...

Je révèle donc à Jean Rohou qu'il est aliéné : rendu autre à sa culture, fier d'en avoir été dépossédé au point de ne pas la transmettre à ses enfants (comme Hélias, qu'il vilipende si souvent), parce qu'il estime à tort qu'il le fallait pour être promu... Or, les Bretons auraient pu et dû accéder à l'instruction en français et en breton, langue capable d'exprimer toutes les réalités, comme je le prouve – après d'autres.

Jean Rohou, qui prétend constamment parler au nom de la « rigueur », du « réel » contre ceux et celles qui vivent dans les « mythes », ne parle en fait qu'au nom de ses préjugés, d'une aliénation qui transforme son asservissement et sa cécité mentale en émancipation voulue, alors qu'il a été manipulé. Mais le « brillant conférencier » n'a pas aimé être contesté, ni surtout pris en flagrant délit d'incohérence intellectuelle. Fréquemment il nous dit qu'il essaie de « faire réfléchir » son lecteur : jamais (sauf une fois, pour la forme) il n'envisage qu'il pourrait penser de manière erronée, ni que son lecteur pourrait l'amener à réfléchir, à se remettre en cause : ce que j'ai essayé. Il écrit comme il enseignait : avec l'assurance tranquille et moustachue qu'il ne peut se tromper, inaccessible au doute – élément pourtant fondateur de toute pensée digne de ce nom. Je peux me tromper aussi, mais dans les points que je conteste, il m'étonnerait qu'on puisse me contredire.

L'aliéné ne peut se remettre en cause, sinon c'est son système mental qui s'écroule. Et celui sur lequel s'est bâti Jean Rohou a plus de 80 ans d'âge... Alors, il vaut mieux qualifier d' « absurde et fielleux » l'article d'un contradicteur qui argumente avec respect, sans violence, à laquelle Rohou affirme être allergique. Or, résumer mon argumentaire en deux mots aussi expéditifs et injustes est faire preuve d'une certaine forme de violence verbale.

J'ai dit l'essentiel. Depuis, j'ai lu les deux autres tomes de FP, avec le plus vif intérêt souvent, souvent aussi avec agacement et consternation. Je vais développer ici les points énumérés plus haut, en m'appuyant sur les textes de celui qui « pense dans le réel » mais ne fait que répéter, fier de lui, les clichés les plus éculés sur la langue bretonne et l’Éducation nationale.

1) "Fils de ploucs" 1, 2 et 3 : contenu

Passons d'abord en revue les contenus des trois tomes de FP. Je commencerai par le dernier, qui ne prête guère à la discussion, car l'auteur n'y parle que très peu de débats relatifs à la langue et à la culture bretonnes, sujets qu'il a abondamment traités dans les volumes précédents. Je l'ai même trouvé passionnant, excepté le bref dernier chapitre, sur la création des IUT, sujet peu exaltant à mes yeux, mais qui intéressera ceux qu'intéresse l'histoire du monde éducatif. Jean Rohou poursuit sa biographie, depuis ses études, entreprises dans les années 1950, jusqu'à ses dernières années à l'université de Rennes 2. Un passage très intéressant évoque ses deux années d'enseignement en Tunisie. L'auteur, qui a eu la chance d'échapper à la conscription en Algérie, montre bien que la France, en guise de mission civilisatrice, s'est surtout préoccupée de spolier les nations colonisées tout en laissant ses habitants dans l'ignorance (96% d’analphabètes en Algérie!) et l'absence de soins. Jean Rohou parle ensuite de ses premières années d'enseignement en fac, à une époque où les mandarins donnaient les sujets des copies que leurs assistants corrigeaient ! Les étudiants se levaient quand entrait un prof... C'était avant mai 68, dont l'auteur décrit les événements avec allant. Rohou affirme sincèrement qu'il n'était pas trop compétent au début, quand il lui fallait enseigner auteurs et genres de différentes époques. Deux passages forts intéressants évoquent son travail auprès d'étudiants chinois, et auprès de détenus. Il rappelle la rivalité entre Raymond Picard et Roland Barthes, qui a agité le petit monde des spécialistes de Racine, qu'il rejoint après sa thèse. Il explique les raisons de son engagement au PCF, qui a duré une vingtaine d'années. Quelques pages curieuses évoquent un conflit entre Pêr Denez et Christian Guyonvarc'h, sur lequel je reviendrai.

Reprenons la chronologie. FP1 n'est pas qu'une autobiographie. L'auteur y brosse certes les portraits précis des membres de sa famille : son père, prisonnier de guerre de 40 à 44, sa mère-courage, travailleuse héroïque qui devait affronter des propriétaires hautains, son frère : peu de gens à vrai dire, car le hameau où la famille vivait ne comprenait que peu d'habitants. Dès le début de son livre, Rohou écrit que son travail se veut une réaction à la lecture du Cheval d'orgueil, dont il trouve la vision du passé « beaucoup trop idéalisée. » (p. 15), « passéiste » (p. 26). Il reproduit l'erreur selon laquelle "Le Cheval d'orgueil" a été « traduit en dix-huit langues » (p. 26) : or, il n'a connu que deux traductions : en anglais et en galicien, comme l'a précisé Mannaig Thomas dans sa thèse .

Dommage que Jean Rohou ait mis tant de temps à réagir. Il est vrai que son travail ne lui en laissait guère le temps. Si Fils de ploucs, publié quinze ans après la mort d'Hélias, avait été publié de son vivant, cela aurait pu donner lieu à de savoureuses passes d'armes entre Rohou et celui qu'il désigne, non sans prétention, comme son « frère ennemi » (1, 685) – alors qu' Hélias n'a vraisemblablement jamais entendu parler de Jean Rohou. En effet, qui le connaissait, avant la parution de FP1, sinon sa famille, ses amis, ses collègues et étudiants de Rennes 2, ses camarades du PCF, et le cercle étroit des spécialistes de Racine ? J'ai rencontré plusieurs fois Hélias, notamment à Rennes, lors des Rencontres poétiques du Mont-Saint-Michel, en 89 ; du colloque Bretagne-Québec-Maghreb en 94, de la soutenance de thèse de Thierry Glon en 93... J'ai discuté avec lui au salon du livre de Trévarez, et en quelques autres circonstances : jamais je ne l'ai entendu parler d'un « frère ennemi » nommé Jean Rohou...

Ce dernier vise donc à donner du monde de son enfance une vision plus brute, plus conforme à la réalité selon lui, celle d' « Une Bretagne paysanne, sans électricité, chauffage, eau courante ni WC, sans tracteurs ni voitures, sans journaux, radio, télé ni téléphone, sans cadeaux ni argent de poche, sans langue française en dehors de l’école » (p. 16). Mais c'était aussi celle que décrit Hélias qui, à Pouldreuzic, vivait dans de telles conditions, comme la plupart des familles rurales d'avant 1950. Peut-on dire que les extraits suivants du Cheval d'orgueil donnent du passé une vision idéalisée ?

Au Pays Bigouden, la misère était encore le lot de bien des gens au début du siècle. C'était une calamité comme une autre et contre laquelle on ne pouvait pas grand-chose. Le moindre coup du destin suffisait à y faire tomber ceux qui étaient déjà en prise au diable sans le loger dans leur bourse ni le tirer par la queue, comme on dit en français. Le naufrage, l'invalidité, la maladie sur les hommes ou sur les bêtes, le feu dans la paille, une mauvaise récolte, un maître trop dur ou simplement les sept malchances quotidiennes vous jetaient pour un temps sur les routes, vous obligeaient à tendre la main au seuil des portes, la prière entre les dents et les yeux fermés sur votre humiliation. Quelquefois, les hommes choisissaient de se pendre et il y avait toujours, dans l'appentis, une corde qui ne demandait que cela. Les femmes préféraient se noyer et il se trouvait toujours un puits dans leur cour ou un lavoir au bas de leur champ. (...)

Il y a dans l'année une date qui fait se retourner bien des ménagers sur leur couette de balle d'avoine à longueur de nuit. C'est la Saint Michel à la fin de septembre. Ce jour-là ou le jour suivant il faut trouver assez d'écus pour payer ce qu'on doit, locations et fermages. S'il n'y a pas "de quoi" dans l'armoire il faut quitter. On charge le ménage sur une charrette à ridelles, les lits, les tables, les bancs, les ustensiles, les humbles trousseaux ramassés dans une grosse serpillière. On juche les enfants sur le tas, on attache la vache derrière quand elle n'a pas été vendue et l'on part en silence vers un autre logis plus misérable que le premier. On part de bon matin, entre nuit et jour, pour rencontrer le moins de gens possible. Encore heureux quand on ne croise pas une autre charretée, celle des gens qui vont prendre votre place et qui rameutent tout le monde sur leur passage, les fumiers, pour faire savoir qu'ils grimpent l'échelle tandis que vous la descendez.

Hélias jette certes souvent un regard nostalgique sur son passé familial, « passéiste » sur un monde disparu, mais il a en effet été heureux, au contact notamment de ses deux grands-pères conteurs et aimants. Peut-on le lui reprocher ? Il évoque néanmoins bien souvent le caractère misérable de l’existence d’autrefois. Un chapitre entier de son livre, intitulé « La vie dure », décrit sur soixante pages la vie précaire des mendiants, « pauvres parmi les pauvres », le triste sort des femmes réduites à vendre leurs cheveux pour survivre, celui des filles-mères, les expédients auxquels on recourt pour tromper la faim (chaparder des fruits, cueillir des nèfles...), les ravages de l’alcoolisme... Il évoque aussi la vie d’esclave de sa mère, véritable fourmi qui s’active aux tâches ménagères et agricoles avant le lever du jour et bien après la tombée du soir :

Ma mère se levait avec le jour d’été et bien avant celui d’hiver. Elle commençait par mettre soigneusement sa coiffe, opération qu’elle avait apprise à réussir dès l’âge de six ans, faisait la pâtée du cochon, trayait la vache, préparait le déjeuner des petits, les faisait se lever, les envoyait à l’école, menait la vache au champ qui était à une demi-lieue, revenait en tricotant, faisait le ménage, lavait les frusques, s’occupait du repas de midi, retournait au champ en battant du crochet, travaillait la terre selon ses forces, revenait avec sa vache au bout de sa corde et un faix d’herbes sur le dos ou un lourd panier à la main, retrouvait les enfants, maintenait la discipline du petit monde, faisait faire les devoirs, raccommodait les hardes, tempêtait ou riait à pleine gorge selon l’occasion, gavait de nouveau le cochon, trayait une seconde fois la vache, cuisait la bouillie ou les pommes de terre, faisait la vaisselle, couchait la troupe, rangeait tout, reprenait son crochet ou son aiguille à la lueur d’une lampe-pigeon, attendait son père et ne gagnait son lit qu’après lui.

Ainsi de onze à vingt ans sans arrêt. Le samedi, elle frottait ses meubles à tour de bras, astiquait un par un les clous de cuivre. Tous les trimestres, munie d’une procuration, elle allait toucher le mandat de son père à Plonéour. Cela ne faisait que dix-huit kilomètres pour aller et revenir à pied et ce n’était pas du temps perdu. En trottinant, elle faisait de la dentelle au crochet qui lui rapportait quelques pièces blanches pour s’acheter des mouchoirs et des tabliers quand elle avait réussi à joindre les deux bouts ... »

On ne peut pas dire que ce soit là un tableau idéalisé ! La femme, vouée aux tâches ménagères, n’a même pas, comme son mari, le loisir d’aller au bistro de temps en temps pour jouer aux boules ou aux quilles, ni de s’asseoir pour savourer sa pipe.

Jean Rohou nous signale aussi qu'il va écrire en breton selon son orthographe, celle qui correspond à la façon dont on le prononçait chez lui : « La Bretagne n’étant pas un État, il n’y a pas de pouvoir officiel pour unifier sa langue ni codifier sa graphie. Ceux qui l’ont fait ne sont pas d’accord entre eux – bien qu’une tendance dominante se dessine ».

En effet, l'orthographe dite KLT est pratiquée par 95% des écrivains bretonnants : c'est plus qu'une « tendance dominante » ! De plus, « un pouvoir officiel » existe, qui a adopté le KLT : l’Éducation nationale. Tous les ouvrages destinés à l'enseignement du breton sont, en effet, écrit en KLT. Je trouve regrettable que Rohou complique les choses. « Les bretonnants s'y retrouveront », écrit-il : pas si sûr. Il choisit ainsi d'écrire ãn tãn, mãmm et non an tan (le feu) ou mamm (mère), pour mieux montrer que ces mots ne se prononcent pas ann tann, mamm mais nasalisent la voyelle. Or, le lecteur lambda ignore l'écriture phonétique, ne sait pas que la lettre ã se prononce comme la préposition « en »... Alors, pourquoi lui compliquer la vie ? Rohou graphie ta-koz car on ne prononce pas le « d » de tad-kozh. Pourquoi alors ne pas écrire « gran-père » en français? Je ne suis pas fou du tilde, qui oblige à une frappe compliquée. De même, je préférerais écrire piw ou piou, comme on le prononce en général, plutôt que piv (qui). Mais il faut bien accepter une norme, même si elle n'est pas parfaite, surtout quand elle est officielle. Et on peut l'améliorer : elle n'est pas immuable.

Ce caprice graphique me semble donc oiseux, comme la distinction que Rohou fait entre « bretonnant » et « brittophone » (2, 24): entre le locuteur authentique, rural, très souvent né avant 1950 ; et le néo-bretonnant. Or, les deux mots sont synonymes. Un bretonnant qui parle le breton de jadis n'est pas moins bretonnant que celui qui a appris la langue dans les écoles Diwan, ou en suivant des formations chez Stumdi, Roudour ou Skol an Emsav – même si l'accent entendu chez ces derniers est hélas trop souvent l'accent français. Mais c'est un breton quand même...

FP1 évoque donc la vie, les gens, la famille, le village, les mœurs du hameau de Lannurien en Plougourvest. L'autobiographie alterne avec de nombreux passages plus historiques et sociologiques, sur la façon d'enterrer les morts, dans les églises vite surpeuplées puis dans les cimetières où, parfois, on danse. L’auteur va du général au particulier : les trois grandes parties s’intitulent "Ar Vro" (le pays), "An dud" (les gens), "Ar Vuhez" (la vie). A l’intérieur de chaque ensemble, la progression est également centripète. Dans "Ar Vro", après une introduction où Rohou explique la démarche qu’il va suivre et ses motivations, il aborde le « pays des beaux enclos », puis "Va farrez" (ma commune) et "Duman" (Chez moi). Il interroge l’origine des noms, se demande comment définir ce qu’est un Breton, puis un Léonard. Il rappelle la toute-puissance du clergé en Léon, qui a forgé le caractère austère de ses habitants. Jean Rohou cite abondamment quantité d’auteurs qui ont jadis visité la Bretagne : Brizeux, Cambry, Villeneuve, Arthur Young, Brousmiche... Et il montre qu’il les a très bien lus, contrairement à beaucoup d’universitaires qui citent avec certitude des livres qu’ils n’ont pas lus : j’en ai fait la découverte en lisant, chez certain(e)s, des propos que je n’avais jamais tenus et qu’ils m’attribuent, me faisant dire parfois le contraire de ce que j’écris. Au moins J. Rohou ne sombre-t-il pas dans ce travers. De la part de mon ancien prof et collègue, c’est une preuve d’intégrité qui ne m’étonne pas : elle lui correspond parfaitement.

L’auteur accomplit un impressionnant travail d’historien en évoquant les différents types de culture, l’économie de jadis mise à mal par Colbert (p. 88), la navigation, l’industrie textile, les célèbres juloded (paysans enrichis) léonards... Cela rappelle parfois Quand les Bretons peuplaient les mers, d’Irène Frain. Il rappelle que, bien qu’habitant à quinze kilomètres de la mer, il n’est pas allé la voir avant ses seize ans, pas plus que lui ni sa famille n’ont visité le célèbre château de Kerjean ni les chapelles bretonnes... Dans une vie vouée au travail, pas de place pour le tourisme. Un passage fort intéressant (p. 101-113) décrit l’utilisation des églises, où l’on se bat parfois, où l’on juge, où l’on enterre jusqu’à satiété, avant d’occuper les cimetières vite pleins aussi. "Va farrez" retrace l’histoire de Plougourvest, bourg natal de l’auteur, les chicanes qui ont marqué la vie locale, l’agriculture et l’élevage, avec force pourcentages et tableaux. Duman (qu’il faudrait écrire du-mañ : de ce côté-ci, chez nous) décrit la route pour aller au hameau familial de Lannurien, le train, le manoir local et les nobliaux qui l’ont habité, la maison et les bâtiments, les matériaux utilisés pour leur construction, les outils et les ressources de la ferme, les meubles, la façon de manger. Le chapitre s’achève sur un passage exclusivement autobiographique, puisqu’il concerne les relations de la famille Rohou avec des propriétaires hautains et peu délicats.

"An dud" interroge longuement la notion de « celtitude », et ce dans un chapitre joliment intitulé « Ma celtitude est-elle une certitude ? » (p. 217-241). Celle-ci laisse l’auteur dubitatif. Je suis assez de son avis : étant Breton par la langue de mes parents, leurs noms, leur origine, je ne me sens pas Celte. J’ai eu l’occasion de voyager en stop en Irlande, au pays de Galles, en Écosse, entre 1976 et 1980. Chaque fois que je disais fièrement à un autochtone que nous étions de la même famille celtique, je rencontrais perplexité ou incompréhension... Dans son roman "La Prison maritime", Michel Mohrt narre les aventures assez piteuses de nationalistes bretons qui croient trouver de l’aide en Irlande, mais échouent lamentablement à convaincre leurs « cousins » qu’il faudrait leur prêter main forte. Rohou montre bien tout ce que cette notion a de subjectif et d’impressionniste, en citant nombre d’auteurs qui cultivent, pour la définir, le flou le plus artistique qui soit : « quelque chose qui vous rend heureux » (Morvan Lebesque), « sens religieux », « caractère qui les porte aux excès en tout » (Hélias), « certitude de l’être », proximité avec la nature (Markale), « goûts artistiques » (Michel Tréguer), « délicatesse de sentiment » (Renan), « capacité de rêve et de créativité » (Jean-Yves Cozan)... L’auteur évoque plaisamment les délires des Celtomanes comme Le Brigand ou La Tour d’Auvergne. Contre le flou romantique, Rohou rappelle le verdict des marqueurs génétiques, en concluant avec le préhistorien Pierre-Roland Giot : « il y a deux mille ans, un Armoricain, un Gallois ou un Irlandais avait moins de chance d’être génétiquement et même culturellement celte qu’un qu’un Champenois, un Tchèque ou un Bavarois. (p. 222) »

Alan Stivell, né à Riom par les hasards dus à la guerre, ne dit rien d’autre : « Ce n’est évidemment pas pour me déplaire que l’Auvergne ait quelque liens avec la celtitude, à travers Vercingétorix, le poids de l’histoire, mais aussi son paysage de montagne et son habitat évoquant l’Écosse.» ("Stivell par Alan", éd. Ouest-France, 2024, p. 18).Sa celtitude, qu’il revendique pourtant si fortement, n’est donc nullement britto-chauvine ! J. Rohou rappelle aussi les propos du directeur du Festival Interceltique de Lorient : « l’interceltisme n’est qu’une "famille mythique". Mais j’ai profité de la réputation des Gallois, Écossais et Irlandais, dont la plupart "ne savaient même pas que la Bretagne existait", pour "exister au-travers d’eux" (p. 235). » J’aurais toutefois aimé que Rohou donne le nom de ce directeur, et les sources précises de ce propos... Il reste que la langue bretonne est indubitablement celtique. Le reste importe peu : que les gens s’estiment Celtes s’ils le veulent, cela ne nuit à personne, et crée des liens. Est Breton qui veut l’être, disait Xavier Grall, et Celte aussi !

L’auteur analyse ensuite l’image du Breton à laquelle il apporte sa « contribution personnelle » avant d’aborder deux thèmes sensibles : l’alcoolisme et le matriarcat. Puis, toujours en allant du général au particulier, Jean Rohou évoque « les gens de Lannurien » et des environs. Un chapitre émouvant intitulé « le héros de la famille » brosse le portrait douloureux du grand-père mort à la guerre, et dont l’auteur apprend qu’il s’est pendu. Il s’interroge sur le pourquoi de cette fin tragique, mort « honteuse » au regard de ceux qui tombaient au front, et ne trouve pas de réponse. Plus émouvant encore est le chapitre suivant, intitulé « Orphelin ? ». Le père de Rohou, mobilisé, est déclaré disparu avant qu’on apprenne qu’il est prisonnier en stalag, où il restera quatre ans. Cette situation terrible fait du petit Jean, âgé de six ans, l’homme de la ferme. L’auteur donne un portrait affectueux de sa mère, qui a affronté pauvreté et aléas avec fermeté et amour pour ses enfants.

"Ar vuhez" décrit les façons de s’habiller, le manque d’hygiène général à l’époque, les repas, la nourriture. Le chapitre 16 montre un auteur curieusement coi quand il s’agit de traduire en breton « se distraire ». On verra plus loin ce que j’en dis. L’enfant Rohou garde les vaches, va à la messe, ne connaît que de très humbles jeux. On décrit l’abattage du cochon, la tyrannie toujours absolue du clergé, qui condamne les plaisirs. Rohou évoque le service militaire, l’arrivée du cinéma, du monde moderne, qui signe « la mort d’une civilisation » (p. 601), sans envisager la possibilité que celle-ci aurait très bien pu accompagner le progrès si on ne l’en avait pas empêché. Il décrit les animaux de la ferme, le rituel de la mort ; achève son livre en causant plaisamment de sexualité, puis plus gravement d’avortement, en signalant les violences propres à une société fruste et fermée. Les statistiques abondent encore, comme auparavant : extraits d’archives, pourcentages. L’évocation du passé de l’auteur s’accompagne de plongées dans l’histoire.

"Fils de ploucs 2" interroge la langue, "Ar yez", et l’école, "Ar skol". C’est surtout la première partie, la plus courte (150 pages) qui m’a amené à contester les propos de J. Rohou, tant j’y vois de préjugés, de clichés, d’affirmations non argumentées exprimées au nom de la « rigueur » de l’universitaire au-dessus de la mêlée, et qui estime de son devoir de contester les « mythes » dans lesquels croupissent les pauvres qui n’ont pas atteint son degré de lucidité. Le dernier chapitre d’"Ar yez" montre toutefois un Rohou partisan de la survie du breton et qui défend ses militants. Mais la réelle affection qu'il montre pour une langue bretonne en danger n’efface pas les erreurs qu’il accumule par ailleurs, et qui conforteront dans leur ignorance ceux qui, surtout parmi les anciens, estiment qu’il fallait abandonner le breton pour passer au français, prétendue langue du progrès et de la promotion. "Ar skol" retrace sur 400 pages l’histoire de l’école de l’ancien régime à nos jours, brosse le portrait des maîtres d’autrefois, évoque la réussite des Bretons en matière scolaire, la rivalité entre public et privé. Le dernier chapitre jette un regard critique sur le monde universitaire, où il faut « se taire afin d’être promus » (p. 554). Les tableaux relatifs à la scolarisation, à l'illettrisme, à la réussite au bac abondent.

2) Au nom du réel

Une des constantes des trois tomes de FP est que l'auteur s'y présente comme parlant toujours au nom du réel, avec rigueur, contre les pauvres gens qui naviguent dans les idées fausses :

« Mon livre n’est pas une autobiographie, mais un témoignage et une réflexion sur la Bretagne, les Bretons, les paysans, la vie de jadis... Il est animé par deux combats : celui du plouc contre toute sorte d’injustice et d’oppression, et celui et celui de l’intellectuel contre les affirmations générales qui soumettent à nos préjugés réducteurs la diversité du réel et sa complexité. (1, 26) ». On verra pourtant que la pensée de Rohou abonde en « affirmations générales » non argumentées.

De plus, se désigner lui et sa famille comme « ploucs » abonde dans le sens de l'injustice qui les a désignés comme tels. Aucun paysan, aucun être humain ne mérite d'être qualifié de « plouc », ni dévalorisé à cause de sa condition sociale. Il y a une violence extrême à qualifier ses parents de ploucs plutôt que d'écrire Fils de ceux qu'on appelait ploucs. Car cela semble signifier que, ploucs, les parents de Rohou le sont toujours restés: merci pour eux ! Hélias avait prévu d'intituler son livre "Mémoires d'un plouc". Jean Malaurie, directeur de la collection Terre humaine, aux éditions Plon, l'en avait dissuadé, trouvant les mots trop durs... Les éditions Ouest-France ont d'ailleurs publié, deux ans avant Fils de plouc, "Les Mémoires d'un péquenot", de Louis Levesque, qui n'ont pas eu de succès.

Comment justifier ces mots : « Non seulement notre vie était rude, mais nous avions intégré le mépris dont nous étions l’objet, au point d’avoir plus ou moins honte de nous-mêmes. » (1, 19) ; « Aujourd’hui, c’est un honneur d’être breton. Mais jusqu’aux environs de 1970, nous étions un antimodèle usuel pour tout le monde (…) Le pire, c’est que nous avions intériorisé cette vision de nous-mêmes. » (1, 22). En persévérant à revendiquer le titre de plouc, Rohou montre qu'il a toujours en lui la vision péjorative que la France lui a inculquée, à lui et aux siens. Peut-on prétendre que quelqu'un qui intitule ses mémoires Fils de ploucs vibre de l' « honneur » d'être breton et a liquidé le « mépris » qu'on lui a appris à ressentir pour sa culture ? On verra que non, Rohou persistant à penser que la langue bretonne est inférieure au français.

Rohou auteur ressemble en fait au Rohou universitaire. Il dispense avec une indulgence bienveillante et généreuse son savoir à des béotiens béats, tout heureux de se voir enrichis grâce à lui. Ce savoir est forcément indiscutable, car il ne semble pas ressentir le moindre doute quant à ses capacités de distinguer le vrai du faux. Citons, parmi des dizaines d'autres, ces phrases qui le confirment :

"Fils de ploucs" (tome 1) « passe aujourd’hui pour un classique qui a le mérite de l’authenticité alors que la présentation de la Bretagne est souvent encombrée de mythes. (2, 15) »

« ...il faut toujours relativiser sa vision. Non pas pour verser dans le scepticisme, mais pour penser dans la rigueur. (1, 254) »

« Il y a trois sortes d’affirmations qui prétendent au nom de vérité : celles de l’idéologie, qui justifie l’ordre établi ; celles des mythes et des légendes, qui correspondent à nos désirs ; celles de la science, qui constate, analyse et explique la réalité... (2, 16) »

« J’ai été initié à la réflexion critique, à la liberté de pensée par ma mère, qui examinait les affirmations au lieu de s’y soumettre ... (2, 17) »

« Or, de la réalité, nous ne percevons d’abord que l’apparence et non pas les causes ni les significations. Nous devons reconstruire celles-ci avec une rigueur critique : sinon, nous sommes emportés par notre subjectivité et nos préjugés. (3, 236) »

« Enfin, mon but principal est de pousser mes lecteurs à réfléchir. (2, 16) »

« Au lieu d’opposer le verbiage des proclamations antijacobines d’aujourd’hui à celui des proclamations jacobines d’hier, je vais m’appliquer à retracer l’histoire dans sa complexité... » (2, 49)...

Mais l’universitaire n’envisage pas qu’il pourrait se tromper. Il n’écrit pas : « Je vais essayer de retracer une histoire complexe telle que je pense qu’elle s’est déroulée » : il va donner de l’histoire une vision par définition incontestable, puisqu’elle vient de lui... Certes, Jean Rohou nuance aussi parfois son propos :

« Chacun perçoit nécessairement les choses de son point de vue (c’est-à-dire à partir de sa situation et, du coup, peu ou prou, selon ses préjugés, désirs et intérêts) (…). Personne n’a jamais vu les Bretons dans leur totalité (…) Mais nous avons tendance à parler des Bretons et de la bretonnité comme s’il y avait là une nature, une essence, une identité permanente et universelle. (1, 27) »

« On parle souvent au nom « de l’idéologie, qui justifie l’ordre établi », voire « des mythes et légendes, qui correspondent à (no)s désirs. (2, 16) »

« Je ne parle donc pas au nom des Bretonnes et des Bretons. Je ne dis pas la vérité sur la Bretagne. Je veux seulement apporter mon témoignage et proposer mes réflexions. (...) Sans nulle supériorité de principe sur personne, bien qu’avec plus d’arguments que beaucoup. (1, 69) »

Une fois, une seule fois il semble saisi par le doute : « Je ne témoigne que pour moi: souvenirs fragmentaires et subjectifs, dévalués peut-être par mon esprit critique. » (1, 572) Mais il n’envisage pas la possibilité qu’il pourrait être lui-même victimes de ses propres « mythes ».

De fait, les affirmations tranchées qu'il lance sur l'infériorité de la langue bretonne et l'égalitarisme scolaire républicain infirment ces propos nuancés. Et que Rohou pense parler « sans supériorité de principe » me paraît de la fausse modestie, tant son propos ressemble à un cours magistral donné à des lecteurs qui vont, grâce à lui, trouver le chemin de la lumière. Car l'auteur estime clairement faire œuvre de rigueur, d'authenticité, parler au nom de « la science, qui constate, analyse et explique la réalité », de cette « liberté d'expression » qu'il tient de sa mère sans envisager que cette expression lui est commandée par son aliénation, et ce contre « les mythes et les légendes ». Or, il parle aussi en fonction de ce qui correspond à ses désirs, non à la réalité. 

3) Un préjugé tenace : la supériorité du français sur le breton et l'incapacité qu'aurait celui-ci à exprimer les notions affectives et les termes techniques

« Donc les langues ne sont nées d’elles-mêmes en façon d’herbes, racines et arbres, les unes infirmes et débiles en leurs espèces, les autres saines et robustes, et plus aptes à porter le faix des conceptions humaines : mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels. Cela (ce me semble) est une grande raison pourquoi on ne doit ainsi louer une langue et blâmer l’autre »

Du Bellay, "Défense et illustration de la langue française", chapitre I : De l'origine des langues

« ...toutes langues sont d’une même valeur (…) Mais il se devrait faire à l’avenir qu’on pût parler de toute chose, par tout le monde, et en toute langue. »

("Op. cit.", chapitre X : « Que la langue française n’est incapable de la philosophie, et pourquoi les anciens étaient plus savants que les hommes de notre âge » )

a) La langue bretonne et le vocabulaire scientifique

« Les ruraux étaient en retard ; les langues locales, et surtout le breton, étaient liées aux traditions, au passé. » (2, 63) écrit Rohou, estimant donc le breton incapable d'exprimer les réalités du monde moderne. Il évoque le « breton de (s)on enfance, qui parl(ait) de choses et d’habitudes dont certaines n’existent plus, et qui n’avait pas le vocabulaire nécessaire pour désigner les réalités et techniques modernes, ni pour exprimer la pensée scientifique et philosophique, la création artistique et même la vie affective. » (2, 160)

C'est faux. Les langues comme le français ou l'anglais étaient aussi des langues rurales, ce qui ne les a pas empêchées de créer, entre des milliers de vocables, le mot télévision, "television" en anglais, qui peut se dire "pellwelerezh" ou "televizion" en breton... "Pellwelerezh" n'est pas du breton chimique (il y en a, certes) : il rappelle l'allemand "Fernsehen" : qui voit au loin. Le breton n'a simplement pas eu le droit de créer et de répandre de tels mots, car son usage était proscrit à l'école, dans les rapports avec l'administration, dans les examens et concours... Il n'était pas intrinsèquement « lié aux traditions du passé » : il n'a tout simplement pas eu le droit d'aborder la modernité dans son usage courant – alors même que les intellectuels de la revue "Gwalarn" créaient des mots dont beaucoup auraient pu et dû être connus des Bretons grâce à l'école, si le breton y avait eu droit de cité.

Rohou déplore qu’on emploie en breton les mots "oto, trakteur, post" (2, 161). Mais en allemand, on dit "Auto", en anglais "post-office" et "tracto"r : où est le problème ? Les termes techniques ou scientifiques ont, en général, une origine grecque ou latine, que les langues adaptent en fonction de leurs affixes. Philosophie se dit "philosophy" en anglais, "filosofia" en espagnol, "Philosophie" en allemand (avec majuscule initiale, et en diphtonguant la dernière syllabe) – et peut se dire "filosofiezh" en breton, ou "prederouriezh" à partir de "preder" (réflexion). Dans un cas, ce sont des mots universaux, pas du "brezhoneg ar veleien" (breton des prêtres), copié du français. Dans l'autre, on a un néologisme qui n'est nullement barbare : l'usage choisirait, comme il le ferait entre "douaroniezh" et "jeografiezh". On a écrit des récits de science-fiction en breton, comme "Enez ar rod" ("L’Île sous cloche"), de Langlais, traduit par lui-même.

b) La langue bretonne et les termes spirituels

Voilà pour le vocabulaire technique et scientifique. Qu'en est-il de celui de la spiritualité? Le recteur de Guiscriff, rappelle Rohou, déplorait jadis qu' « il n’est pas facile de prêcher "dans une langue aussi pauvre" en vocabulaire abstrait (2, 50). « Les termes abstraits de la théologie n’avaient jamais existé en breton » (2, 51), ajoute-t-il. Hélias « se livrait à des analyses abstraites, dont notre langue n’offrait guère les moyens. » (1,72), dit ailleurs Rohou sans donner de preuve pour étayer cette assertion. Mais le breton des prêtres, dont Rohou cite des échantillons tristement savoureux, était plus dû à leur incompétence qu’à l’incapacité de dire en breton des mots abstraits. Dans "Exerciçou ar vuhez spirituel", un prêtre moyennement compétent en breton aurait remplacé « spirituel » par "speredeg", breton courant – même si l'anglais dit "spiritual", ce que nul ne lui reproche. De fait, théologique se dit "theological" en anglais et peut se dire "teologel" en breton. Enfin, je ne suis pas sûr qu'on ait eu besoin d'un lexique théologique et métaphysique très abondant pour prêcher dans les campagnes, jadis...

De plus, beaucoup de cantiques et de prières contiennent un vocabulaire abstrait. J'ai sous les yeux les "Kantikou brezounek eskopti Kemper ha Leon" (Cantiques en breton de l'évêché de Quimper et du Léon), publié en 1908. J'y lis des mots comme "gouiziegez" (connaissance, p. 21), "zilvidigez" (salut, au sens spirituel, p. 20), "ar Spered-Gla"n (l'esprit « pur », saint, p. 31), "kimiada, pinijenn, diboell, leziregezh" (faire des adieux, pénitence, insensé, paresse, p. 39), "drouk-spered" (esprit malin, p. 42), "gourdrouz" (menace, p. 44), "finveza" (finaliser, p. 45), "anke"n (angoisse, p. 57), "gounidegez" (gain, p. 58), "truezus" (pitoyable, p. 59), "trugarezus, madelezus" (miséricordieux, bienveillant, p.159)... Cela nous fait pas mal de vocabulaire abstrait ! Certes, on y trouve aussi parfois (pas si souvent) des "konsolasion, vanite, joa et gloar" : de même dit-on "consolation, vanity, joy et glory" en anglais, sans qu'on lui reproche d'être truffé d'emprunts au français. Le célèbre "Kantik ar Baradoz" (p. 78-83) ne contient qu'un "troumpluz" (trompeur) douteux, dans un ensemble très homogène et d'un breton clair et populaire. Le "brezhoneg ar veleien", qui sévissait du XVIe au XVIIIe s., était dû à des clercs ignorants, ou qui parsemaient leurs œuvres de mots français pour faire joli – comme dans les chansons sur feuilles volantes. Il fallait montrer qu'on savait le français !

C) La langue bretonne et le vocabulaire affectif :

Qu'en est-il de l'affectivité, dont le champ lexical rejoint souvent celui des notions abstraites, relatives aux sentiments ? Ici encore, la sentence rohouienne tombe, implacable :

« Le Nantais et Parisien Morvan Lebesque célébrait aussi le breton qu’il ne savait guère : sa "syntaxe merveilleusement agile, bondissant au-devant de la pensée, idéale terre d’accueil de l’inexprimable". Je lis ce beau verbiage avec surprise. La syntaxe peut-être. Mais le lexique ? N’ayant pas, comme le français, bénéficié de siècles de philosophie, de littérature et de vie de salon, le breton était beaucoup moins équipé pour les nuances de la pensée et de l’affectivité. » (2, 139) et encore : les langues régionales, « langages de travailleurs manuels (…) ne permettaient guère les subtilités du cœur et de l’esprit. » (2, 88)

Le breton serait donc pour Rohou une langue de brutes, de travailleurs sauvages et butés fermés à tout ce qui fait que l'être humain n'est pas un animal... Heureusement qu'il a renoncé à la honte d'être breton et au mépris de lui-même inculqué dans l'enfance ! Mais Jean Rohou a-t-il seulement jeté un œil sur les classiques des festoù-noz ? Les chansons d'amour y abondent : "Metig, Nozvezh kentañ ma eured" (La première nuit de mon mariage), "An durzhunell" (La tourterelle)... Les paroles de cette dernière sont d'une délicatesse qui vaut largement les mignardises de Ronsard et les préciosités des salons. "Kenavo Langonnet" chante avec mélancolie le retour du conscrit qui, arrivant chez lui après sept ans de guerre, survient en pleines noces de sa promise qui en a fait son deuil... "An emzivat" retrace le destin tragique d'un orphelin a qui la vie a tout pris. "An dizertour" est le chant ultime d'un déserteur qui va être fusillé et écrit des mots poignants à sa famille. Il y a des centaines de chansons d'amour, de tendresse, de nostalgie, dont le superbe "Kimiad ar soudard yaouank" (Adieu d'un jeune soldat), de Prosper Proux. La plupart sont anonymes, composées par des poètes venus du peuple. Alors, affirmer que « Quand les paysans bas-bretons en avaient entendu parler (de l’amour), c’était généralement dans une langue qui n’était pas la leur. » (1, 495) participe du non-sens absolu. On ne savait pas dire « Je t'aime » en breton (1, 501): c'est possible, vu la pudicité imposée par l'église, mais cela n'empêchait pas les mots et gestes tendres, ni les périphrases moins directes.

Rohou prétend donc parler au nom du réel, penser dans la rigueur : il n'aligne que les clichés et les a priori les plus effarants sur une langue qu'il a fini par aimer pourtant, mais dont il ne connaît pas les capacités ni les textes. Mais le « beau verbiage » n'est évidemment pas de son fait : Morvan Lebesque divague... Et il y a quelque perfidie à le traiter de « Nantais et Parisien », comme il souligne ailleurs que Jean Rouaud, né en Loire-Inférieure, « a quand même fait l’effort de s’exiler à Montpellier » (1, 79), comme Rohou lui-même ! Faut-il alors le qualifier de « Plougourvestois et Montpelliérain » ?

Le breton est pourtant d’une grande beauté lexicale. « Libellule, écureuil pic-vert, chauve-souris, lézard, arc-en-ciel » se disent : "nadoz-aer" (aiguille de l'air), "kazh-koad" (chat des bois), "gazeg-koad" (jument des bois), "askell-groc'henn" (aile de peau), "kazh-radenn" (chat des fougères) "gwadig ar glav" (petit ruisseau de la pluie)... Il y a des centaines d'autres exemples : si ce n'est pas de la poésie, qu'est-ce c'est ? Rohou s'avoue incapable de traduire « se distraire » en breton : "kaout plijadur o..." (trouver du plaisir à...), "n’em ebatal, n’em diduañ, kaout fent" ne sont quand même pas difficiles à trouver : quelle mauvaise volonté de sa part ! Le breton est plus périphrastique que le français. Rohou rappelle des images comme "beg ar wezenn" (la cime des arbres : le bec), "penn an hent" (le bout du chemin : la tête, en breton), "troad ar bal" (le pied de la bêche), que cite Mona Ozouf (2, 156) : elle et lui auraient pu en trouver de bien plus originales. Mais comment les « travailleurs manuels » qu'étaient les bretonnants ont-ils quand même pu les inventer? D'ailleurs, personne n'a conscience d'en faire en disant ces mots ; il s'agit de catachrèses, de métaphores figées, comme le français dit « les bras d'un fauteuil » ou « les pieds de la chaise ». Si je dis à mon garagis te que « j'ai froissé mon aile », il ne me dira pas, extasié : « Quel poète vous êtes ! »

La langue bretonne, de plus, ne peut être rendue pour responsable d’un retard qui avait des causes sociologiques et politiques. Ce n’est pas la faute du breton si, jusque dans les années 50, beaucoup de paysans n’avaient pas d’eau courante, de WC, de chauffage central, d’électricité, de téléphone, de journaux. Le pouvoir en place les délaissait. Le réseau routier était médiocre. Ils étaient analphabètes dans leur propre langue, par volonté d’État. Beaucoup de francophones ruraux étaient aussi dans la pauvreté, en Wallonie, en Suisse romande (voir les récits de Ramuz), dans le Val d’Aoste ou au Québec, sans que la langue française pût en être jugée responsable. Rohou semble penser que la langue bretonne était une sorte d’entité qui a, malencontreusement pour eux, rencontré les Bretons, qui sont restés arriérés parce qu’ils avaient eu le malheur de l’adopter... Les langues que parlent tous les paysans pauvres du monde entier ne sauraient être tenues responsables de leur situation. La majorité des paysans pauvres d’Amérique latine parle espagnol, langue du dominant et du dominé, en plus d'une langue locale comme le quechua ou le guarani.

Autre préjugé : Jean Rohou associe constamment paysannerie et misère, celle-ci étant donc due à la langue bretonne. « Les bretonnants de ma génération et de celle d’Hélias avaient deux solutions : rester dans la pauvreté, le mépris et même la honte ou s’en sortir par la réussite scolaire francophone. » m’écrit J. Rohou dans sa réponse à mon article d’"Hopala!" .

Mais tous les paysans ne vivaient pas dans la pauvreté. La ferme de mes grands-parents paternels, à Kerliou, près de Saint-Herbot, était relativement prospère. Il est vrai qu'ils en étaient propriétaires, ayant travaillé quatre années aux USA pour pouvoir l'acquérir. Ils n’avaient aucunement honte d’être paysans, et n’étaient méprisés par personne. Rohou prend son cas pour une généralité. Sous l'occupation allemande, les ruraux ne souffraient pas toujours de la faim. Mona Ozouf écrit dans "Composition française" qu'elle en a souffert quand elle a quitté la ferme pour aller vivre à Saint-Brieuc . De plus, on aurait pu et dû leur proposer la réussite scolaire francophone et brittophone.

d)La langue bretonne et l’abstraction

Continuons : « De plus, contrairement au breton, langue populaire, concrète et imagée, le français est une langue abstraite et intellectuelle. » (2, 516) Mais le français est aussi une langue populaire, parlée par le peuple en France et dans l’aire francophone. Quand je lis ou entends « On ira boire un pot après le match avec les potes ! », je ne pense pas entendre des philosophes qui cultivent l’abstraction et sarclent le concept... Heureusement : comment vivraient les millions de locuteurs francophones qui ne lisent pas ou peu, ou n'ont pas fait d'études, ou peu, s'ils n'avaient à leur disposition que la langue de Racine ? Il y a une riche langue verte en français, et beaucoup d'argots des métiers. Jean Rohou, prof de lettres, dira-t-il que Rutebeuf, Villon, Rabelais, Montaigne, Voltaire, Hugo, Zola, Corbière, Queneau, Céline... se morfondent dans l'abstrait ?

Rohou relève une « tendance » à la raillerie » chez les gens qu’il a connus : « ...le français, langue plus rationnelle, plus distinguée, apprise à l’école, convenait moins à son expression. (1, 303) » Que dire encore de Rabelais, Voltaire, Diderot, Balzac, Maupassant, Flaubert, Céline ? On compte, en outre, des milliers de poètes de langue française, et des prosateurs, qui ont cultivé l'image et la raillerie, Hugo (celui des Châtiments, entre autres), Baudelaire et Corbière, parmi tant.

L'universitaire persuadé de parler au nom de la vérité affirme que « ...l’interdiction (du breton à l'école) n’eut aucune efficacité au-dehors jusqu’en 1930 ou 1950 selon les endroits. Elle ne pouvait pas en avoir sur des communautés qui vivaient en autarcie, avec une langue appropriée à leurs besoins, tandis que le français de l’école n’y correspondait pas du tout » (2, 47-48).

Mais avec quel support apprenait-on le français ? Dans la célèbre méthode Boscher, par exemple, utilisée jusque dans les années 60, dont les leçons portent les titres suivants: « le déjeuner de bébé » , « la poule appelle ses petits », « René cherche des nids », « Émile soigne les lapins », « le coq est le roi de la basse-cour », « la cabane du sabotier », « le cheval tire la charrue » (cf. ecolereferences.blogspot.com/2011/09/methode-boscher-en-ligne-consulter.html)...Voilà des sujets qui n'ont, en effet, rien à voir avec la vie rurale de jadis... De plus, chaque leçon est superbement illustrée par des images qui idéalisent la vie rurale d’alors, exemplaire et laborieuse. Et ce n’est pas le breton qui était approprié aux besoins des paysans, ce sont les paysans qui s’exprimaient leurs besoins dans leur langue, en breton comme dans les dizaines de variantes de la langue d’oïl en Normandie, en Suisse et en Belgique...

Rohou commet, en fait, l'erreur que dénonçait Du Bellay dans "Défense et illustration de la langue française". Ce dernier luttait contre ceux qui, au XVIe siècle, estimaient le français incapable d’exprimer les notions philosophiques et intellectuelles... Du Bellay rappelait aussi le combat de ceux qui, dans l’antiquité romaine, défendaient le latin contre les grammairiens qui l’estimaient incapables d’exprimer ces mêmes nuances, ce que seul le grec pouvait faire selon eux... C'est un cycle sans fin :

"Des fins des biens et des maux, fait par ce père de l’éloquence latine Cicéron, qui au commencement dudit livre, entre autres choses, répond à ceux qui déprisaient les choses écrites en latin, et les aimaient mieux lire en grec. La conclusion du propos est, qu’il estime la langue latine, non seulement n’être pauvre, comme les Romains estimaient lors, mais encore être plus riche que la grecque. Quel ornement, dit-il, d’oraison copieuse, ou élégante, a défailli, je dirai à nous, ou aux bons orateurs, ou aux poètes, depuis qu’ils ont eu quelqu’un qu’ils pussent imiter ?"

Défense... chapitre XII.

Donc, quand Rohou dit que les instituteurs « percevaient – non sans raison – les « patois » comme un handicap en tous domaines » (2, 88), on ne peut qu'être en désaccord avec lui. Le handicap venait, non des langues régionales, mais du fait qu'on ne leur avait pas donné l'occasion d'exprimer leurs possibilités dans tous les domaines que Rohou désigne comme apanage du français. En 1793, lit-on aussi, « ...il fallait de toute urgence informer le peuple souverain de ses droits et responsabilités » ; « Il fallait informer, éduquer, politiser les Français, leur apprendre les droits de l’homme et du citoyen, les lois et les règlements qui les concrétisaient. Or, les langues régionales n’avaient guère le vocabulaire correspondant. » (2, 56) On a vu qu'elle pouvait très bien l'avoir, d'autant plus que certains décrets révolutionnaires, ainsi que les appels à la mobilisation, ont été traduites en langues régionales et placardées, comme l'auteur le signale d'ailleurs lui-même (2, 59).

Le français, selon Rohou, est, par essence, « véhicule des Lumières, de la science, du progrès, moyen nécessaire de l'émancipation intellectuelle et de l'ascension sociale » (2, 104), « langue de la modernité.» (2, 81) La langue des Lumières, rappelle pourtant l’auteur « était aussi celle de Louis XV et de la traite des Noirs ; celle de la Révolution sera celle de la Restauration ; celle des droits de l’homme servira au colonialisme. » (2, 56) Ce sera aussi celle des Versaillais qui massacrèrent les communards, de Pétain et de la collaboration, de l’OAS... Pourquoi d’ailleurs évoquer Louis XV, et pas son successeur ? « En face (du breton) le français était "la langue de la liberté" (l’abbé Grégoire) et plus généralement la langue des Lumières... » Barère et Grégoire interdisent les idiomes au nom de la liberté, tout en oubliant que la langue qui diffuse les Lumières est aussi celle du roi qu’ils vont guillotiner... « Agricol Perdiguier veut que "le français se propage" (1854). Car ce menuisier autodidacte, devenu écrivain et député, veut libérer le peuple. » (2, 73) On aurait pu le faire en occitan, si ses locuteurs avaient été autorisés à savoir le lire et l’écrire.

« Le franglais d’aujourd’hui (est) dû à une supériorité économique et technique qui a moins de valeur que la supériorité intellectuelle qu’avait le français sur les langues régionales. » (2, 59) : Quelle preuve l’auteur peut-il avancer pour étayer cette affirmation non argumentée ?

Jean Rohou affirme donc sans cesse la « supériorité intellectuelle » (2, 59) du français sur le breton. Mais, victime de ses préjugés et de son ignorance, il ne connaît pas les capacités du breton à exprimer l’affectivité, visible dans les chansons populaires, à exprimer les notions abstraites, lisibles dans les cantiques, et la technologie moderne, dont les termes, qui existent depuis longtemps, auraient pu exister et être utilisés jadis si la langue bretonne avait été enseignée à l’école. Ce n’est pas « la pratique sociale » du breton qui lui imposait « un fâcheux handicap » (2, 56-57), c’est l’ethnocide : le breton n’était, pas plus qu’aucune langue, destiné à n’avoir qu’une pratique rurale.

S’étant ainsi convaincu que le breton est inférieur au français, Jean Rohou ne cesse donc, suivant sa logique, de dire qu’il était nécessaire de passer au français pour permettre notre « promotion ».

4) Quelle promotion ? Quelle égalité scolaire ?

a)Le français, vecteur unique de promotion ?

Les deux premiers tomes de "Fils de ploucs" égrènent un refrain qui tient de l’incantation :

« Mais en sixième, je suis devenu interne : enfermé dans la francophonie ; coupé de mes racines, de ma famille, de mon univers (…) mais déjà promis à une merveilleuse promotion, purement francophone. » (1, 73)

« Comme moi, Hélias ... avait adhéré à cette exaltante, à cette extraordinaire promotion (1, 72) »

« Je dois tout à l’école : elle a fait du fils de ploucs l’enfant d’une République démocratique, qui offrait la possibilité d’une promotion spectaculaire... » (2, 364)

« Jusqu’en 1940, tous les comptes-rendus des réunions de l’école de Plozévet – la commune française qui fournissait alors la plus forte proportion de diplômés par rapport à sa population – mentionnent comme premier point la lutte contre le breton, qui handicapait la promotion et l’émancipation des élèves par leur réussite dans l’école francophone. Les descendants d’élèves si remarquablement promus seraient mal venus de s’en plaindre. » (2, 88)

« Qu’est-ce qu’on serait devenus, si on n’avait su que le breton ? » disait en 1981 une Fouesnantaise née en 1923. Nous avions faim de culture française : c’est elle qui nous a libérés et promus. » (2, 139)

« Nous étions exactement dans la situation des travailleurs immigrés actuels. Apprendre le français était le seul moyen de nous en tirer. » (2, 133)

« Nous n’avions qu’une identité négative. (….) Pour échapper à la fois à la honte et à la pauvreté, la seule solution c’était la réussite scolaire, francophone. » (1, 74)

« Je dois tout à l’école de la république : elle m’a évité une vie difficile et offert une belle carrière où je me suis épanoui. » (2, 14)

« Petit paysan promu par l’école, (…) je me réjouissais de l’énorme chance d’avoir été formé dans un pays de liberté. » (3, 167)

« Si je devais employer des mots outranciers, je parlerais de suicide intellectuel plutôt que de génocide – étant entendu qu’on se suicide parce qu’on y est acculé par sa situation. Mais je refuse ces injures, car je me sens solidaire de ceux qui ont perçu cette transformation comme une émancipation salutaire. » (2, 130)

« Promotion merveilleuse, exaltante, extraordinaire, spectaculaire, remarquable, libératrice, épanouissante, salutaire... » Jean Rohou a presque épuisé le dictionnaire des synonymes ! On comprend que l’autoproclamé « fils de plouc » ait été heureux de quitter la misère pour accéder à la culture officielle, à des études secondaires puis supérieures, à une profession enviable... Mais fallait-il pour autant renier sa langue d’origine – qu’il n’a, comme Hélias, pas transmise à ses enfants (2, 138) –, en persistant à ne pas comprendre qu’elle n’aurait jamais dû être un frein à cette « promotion », mais au contraire l’accompagner ? Enseignée, la langue bretonne aurait pu, à égalité avec le français, véhiculer les notions techniques dont les bretonnants ont eu besoin pour désigner les réalités du monde moderne – sachant, on l’a vu, qu’elle était parfaitement compétente pour exprimer les réalités affectives et abstraites. Les lycéens de Diwan passent le bac en breton : cette langue est donc apte à exprimer la modernité.

Rohou et cette pauvre femme de Fouesnant rendent le breton responsable de leur ignorance et de leur pauvreté, alors que c’est simplement leur statut social de ruraux qui les faisaient naître dans cette pauvreté (relative, je l’ai dit, car pas universelle). Ils auraient été aussi pauvres s’ils avaient parlé le français des montagnards suisses que décrit Ramuz, ou celui des Auvergnats dépeints par Antoine Sylvère dans Toinou . C’est l’éducation qui entraîne la promotion – et celle-ci aurait pu et dû se faire dans les deux langues. « Je suis ignorant et inférieur parce que parle breton » équivaut à « Je suis paysan parce que je suis sale ». C’est ainsi que le mot "villaticum", qui habite la ferme, est devenu vilain au sens de « sale ». C’est inverser cause et conséquence. On est sale parce, paysan, qu’on n’a pas accès à l’hygiène. « Moi, j’étais un pauvre qui voulait échapper à son sort. » (1, 250). Son sort n'était pas d'être bretonnant, mais d'être pauvre : or, il confond les deux, prenant l'un pour la cause de l'autre. Le français n'est pas par essence langue de la promotion : elle ne l'a été que parce que c'était la langue d'enseignement, d'alphabétisation. En Louisiane, les francophones ont abandonné le français pour les mêmes raisons que les bretonnants ont abandonné leur langue naguère : les Cajuns sont passés à l’anglais, langue de la promotion.

On est ignorant parce que, bretonnant, on n’a pas eu droit d’apprendre à lire et à écrire sa langue, dès lors devenue un fardeau, car on ne peut l’utiliser lors des examens et concours, dans ses rapports avec l’administration la justice, etc. On n’ignore pas une langue que l’on parle, mais elle sera un boulet si elle ne permet pas d’accéder à l’alphabétisation et aux diplômes.

Le propos et l’attitude de Jean Rohou ressemblent à ceux de l’esclave ou du déclassé affranchis, tout fiers de parler le langage de leurs maîtres en reniant la couleur de leur peau ou leur statut antérieur. « Nous avions fait de culture française »... Il faudrait dire : « Nous avions faim de promotion, d’éducation, d’instruction d’alphabétisation », qui auraient pu et dû se faire aussi en breton. Comment, après cela, comprendre que Rohou écrive : « Nous étions fiers de notre langue » (1, 222) ? On ne dirait pas ! Et le « pays de liberté » qu'est la France a non seulement interdit et détruit ses langues régionales, mais amené leurs locuteurs à les renier, et à en être fiers...

On a donc été promu, autre refrain, grâce à une école égalitaire : Rohou évoque « une République démocratique » (2, 364), affirme que « l’école laïque, plus moderniste, plus égalitaire et plus favorable à la méritocratie qu’à la hiérarchie héritée, aidait davantage l’ascension sociale » (2, 448). Il écrit, évoquant son séjour comme prof en Tunisie : « Et la France s’est bien gardée d’apporter la liberté, l’égalité, la démocratie politique, économique et scolaire qu’elle développait chez elle à cette époque, notamment à l’initiative de ce même Jules Ferry » (3, 42)

Comment alors expliquer ces passages:

« Tu sais, lui ai-je dit » (à son petit-fils) "par exemple, j’ai été le premier de ma commune à entrer au collège public. –Mais pourquoi les autres ne voulaient pas y aller ?" m’a-t-il répondu. J’ai eu bien du mal à lui faire comprendre que le problème ne se posait pas ainsi, que la possibilité d’aller en sixième n’existait pratiquement pas pour un fils de petits paysans en 1945 – et encore moins pour une fille bien sûr. Que l’idée ne leur en venait même pas : c’est tout juste s’ils avaient entendu parler de collège. » (3, 12)

« On prétend justifier la hiérarchie sociale par une inégalité naturelle et des capacités, alors qu’elle vient du fait que les pauvres n’ont généralement pas la possibilité de développer les leurs, par exemple en fréquentant de bonnes écoles dès l’enfance. Je suis bien placé pour le savoir, moi qui ai fait de longues études, contrairement à presque tous les enfants pauvres de ma génération. » (3, 125)

« Cependant, je n’avais absolument aucune chance d’aller au collège : c’était exclu pour un fils de paysans, chez nous, à cette époque... » (2, 453)

« Un enfant né en 1934 dans une ferme de Plougourvest n’avait aucune chance de devenir professeur d’université. » (2, 507)

A propos de son frère : « Mais tandis que je suis resté au collège, il est resté à la ferme : c’est l’inégalité de moyens socioculturels qui a fait toute la différence entre nos vies. » (2, 511)

Le mot « inégalité » apporte une contradiction flagrante aux mots « égalité », « démocratie scolaire », cités plus haut. Et c'est Rohou lui-même qui se contredit ! Or, si l'école de la République avait été égalitaire, un paysan pauvre aurait dû et pu entrer au collège avant les années 60... « J’ai toujours pensé que ma réussite – la réussite de son double – lui a nui. Elle l’a rongé par le regret de n’avoir pas eu les mêmes chances. » (3, 283) dit-il de son frère. Ce pauvre homme a eu sous les yeux toute sa vie l'exemple d'un frère « entré par miracle au collège. » (1, 250). « Par un invraisemblable concours de circonstances, je suis allé au collège - ce qui aurait jamais dû se produire. » (3, 283) Il nous apprend, en effet, qu'il n’y a dû son admission, outre à ses capacités, que parce que le fils de son instituteur y allait, et avait besoin d'un petit camarade pour l'accompagner (2, 454)...

« Cela n'aurait jamais dû se produire » : mais si ! Cela aurait dû être une priorité pour une école « républicaine » prétendument égalitaire, ce que l'auteur infirme par ce mot fort peu républicain de « miracle ». Jovial, il enfonce le clou, et son rire sonne faux, surtout quand on pense à son frère mort frustré : « En vérité, je vous le dis, mon entrée à l’école du diable fut un cadeau salutaire de la divine Providence » (2, 519).

L'école républicaine a, avant tout, favorisé les bourgeois, jusque dans les années 60. Les autres allaient au cours complémentaire, comme mon père, pour devenir petits fonctionnaires : gendarmes, policiers, instituteurs, douaniers, agent des impôts, ou postier, ce qu'est devenu mon père. Peut-on parler de « magnifiques promotions » ? Mon père a fini receveur de classe exceptionnelle, mais il a toujours regretté de ne pas être resté paysan... A Saint-Herbot, un instituteur inscrivait d'office ses anciens élèves aux concours de la fonction publique ! Guéhenno ou Rohou étaient des exceptions. Rohou affirme que mon père a été promu : qu’en sait-il ? De quel droit parle-t-il en son nom ? Les auteurs « promus » étaient souvent de petits fonctionnaires qui tiraient le diable par la queue, comme mes parents : ma mère ne travaillait pas, mon père, qui triait le courrier, la nuit, à Laval-Gare de 1948 à 1964 touchait un salaire misérable. Ce travail épuisant, qu’il avait choisi car on payait mieux le travail de nuit, l’a même rendu momentanément aveugle... Devenu receveur, il a perçu ensuite un salaire modeste avant de conquérir la poste de Saint-Thégonnec, en 1973 qui, grâce à son travail, fit rapidement de meilleurs résultats, dans le domaine de l'épargne, que celle de Brest. Mais il a toujours dit qu'il se serait plus épanoui en restant à la ferme... Ce propos est, évidemment, l'antithèse de celui que tient Rohou.

b) L’école de la République et ses prétendus mérites

Autre incantation : celle qui fait dire à l'auteur et à beaucoup d'autres qu'ils « doivent tout à l'école de la République », comme si elle avait été la seule, au XXe siècle, à alphabétiser ses citoyens. Je connais des gens d'origine modeste qui, en Grande-Bretagne ou en Belgique, sont devenus universitaires : disent-ils qu'ils doivent tout à l'école de la monarchie ? Les Français ont bénéficié d'un processus de scolarisation qui a touché l'Europe, au début du XXe siècle, dans des républiques comme dans des monarchies ou des grands-duchés.

L'école de la République n'a pas fait preuve de beaucoup de tendresse pour les citoyens les plus humbles ! Jean Rohou cite lui-même Morvan Lebesque : « Un jour, en 1925, le professeur de latin de cinquième de Morvan Lebesque le retint après la classe. "Mon cher enfant, me dit-il, vous voyez bien que vs n'êtes pas ici à votre place. Qu'attendez-vous ? Que vos petits camarades vous fassent un affront ? Que diable, il n'y a pas de honte à être un ouvrier." Moi, je n'étais pas en 1925, ni dans le très distingué lycée de Nantes, où la riche bourgeoisie tenait soigneusement ses distances par rapport aux banlieues ouvrières . » (2, 520) Mais Rohou omet de rappeler que ce lycée « très distingué » était surtout un lycée républicain, donc supposé, selon lui, dispenser un enseignement égalitaire et démocratique ! Et c'est lui qui traite mon propos d'absurde !

L'auteur cite Michel Le Bris, rappelant que son propriétaire et sa femme entrèrent un jour dans la maison misérable que le futur écrivain et sa mère célibataire occupaient, puis s'installèrent à leur table et mangèrent leur pauvre repas (1, 206). Mais il ne rappelle pas cette scène :

« Je me suis retrouvé pensionnaire au lycée Hoche, le lycée de la bourgeoisie versaillaise. Le premier jour de classe, le prof fait remplir des petites fiches pour faire connaissance. Profession des parents : directeurs commerciaux, ambassadeur. Arrivé à moi : "Mais vous n’avez pas marqué la profession de votre père ? Je n’en ai pas". Et la salle éclate de rire. Le prof enchaîne : "Profession de votre mère : bonne à tout faire". Re-éclats de rire de mes petits camarades. Et du prof aussi. Quand on a 14 ans et qu’on est complètement perdu, ça secoue dur ! » (revue "Bretagnes" n°8. Disponible en ligne :

Cette scène ignoble eut lieu au sein de l'école républicaine, démocratique et égalitaire... Louis Guilloux décrit dans "Le Pain des rêves" (Folio, p. 91-94) l'instituteur public maltraitant avec sadisme un élève très pauvre, double de l'auteur, qui tente de dissimuler les traces de morsures que lui ont infligé les puces... Lebesque, Le Bris et Guilloux ne doivent rien à l'école publique, mais tout à leur rage de s'en sortir malgré les humiliations que celle-ci leur prodiguait parce qu'ils étaient pauvres...

5) Les Bretons responsables du déclin du breton ?

Poursuivant sa logique, Jean Rohou affirme que les Bretons eux-mêmes, bien plus que l’État français, ont mené à sa perte une langue qui n'était pour eux qu'un boulet : « Oui, ce sont les bretonnants eux-mêmes qui ont été les principaux agents du passage au français » (2, 129). C'est là faire preuve d'un manque de discernement effarant, qui prend les victimes pour des coupables.

Certes, les bretonnants des années 50 ont massivement cessé de parler breton à leurs enfants, mais pouvaient-ils faire autrement ? Humiliés, parfois frappés ou punis à l'école quand ils parlaient leur langue, parfois contraints de porter le « symbole », objet infamant qui stigmatisait le bretonnant surpris à parler sa langue, analphabètes dans une langue dont ils ne percevaient dès lors ni la richesse ni les subtilités lexicales et syntaxiques, moqués à l'armée (le mot « plouc» est de l'argot de 14-18), les bretonnants ont cru bien faire en ne transmettant pas une langue-stigmate à leurs enfants. Le même phénomène s'est produit dans toutes les régions de France où l'on parlait une langue différente du français normatif. J.Rohou parle du symbole, pour en minimiser l'emploi (2, 86). Il ne l’a pas connu, ni ses parents : soit. Hélias non plus, contrairement à ce que j’écris dans "Hopala!" (mea culpa !), mais il le décrit largement, et précise que beaucoup de ses camarades l’ont connu et en ont souffert. Il a subi une méthode différente : « ...les pions nous auront toujours punis, nous les bretonnants, jamais les autres. Nous auront punis par ordre du surveillant général, pourchassés dans tous les coins, les oreilles à l’affût des phrases bretonnes qui auraient pu nous échapper. Dans la cour du lycée la Tour d’Auvergne, à Quimper, en 1925, il est interdit de cracher par terre et de parler breton. La vache s’appelle la consigne. » C’est moins infamant que le port de l’objet, mais cela reste traumatisant. La vache est un « symbole » mental :

« Les longues cornes valent bien les longues oreilles. Est-ce pour cela que la punition infligée, dans tout le pays bretonnant, aux écoliers surpris à parler breton, s’appelle la vache ! Il y a bien d’autres noms, le symbole, par exemple, mais la vacherie l’emporte à tous les coups. » (Plon, 1975, p. 211-212)

On peut penser que les locuteurs de langues méprisées se sont laissé faire facilement... Mais le rouleau-compresseur de l'école unilingue et répressive, de l'interdiction de ces langues dans les administrations (N'oublions pas la célèbre affiche placardée « Il est défendu de cracher par terre et de parler breton », qui y était placardée) a créé un véritable lavage de cerveau qui a conduit ces civilisations au suicide apparemment volontaire. Les Bretons, manipulés, sont devenus aliénés – étrangers à eux-mêmes, partisans de leur destruction et, comme Jean Rohou, fiers de l'être.

« Ainsi, ce n’est pas tellement la tyrannie jacobine, (…) les diktats gouvernementaux ni même le zèle des instituteurs qui ont fait reculer le breton : il s’est effondré quand ils ont cessé de le combattre. » (2, 122) ; « C’est à partir de 1945-1950, alors qu’avait cessé la persécution linguistique, que le breton s’écroule : c’était la langue d’un monde rural en voie de complète transformation et de partielle disparition. » (2, 48) ajoute encore l'auteur. C'est faux. La persécution n'a pas cessé d'un coup : elle a suivi une courbe asymptotique jusque dans les années 70. Je me souviens d'un petit camarade de primaire, maltraité par notre maîtresse, à Saint-Sauveur, vers 1966-67. Il s'était levé sans demander la permission. A la virago qui lui demandait où il allait, il avait répondu "staotañ!" (pisser!) : sous les rires de la classe, il avait pris une bonne fessée...

Surtout, les persécuteurs avaient changé : dans les années 50 (et auparavant, selon le degré de francisation ou d'embourgeoisement), les parents prirent massivement le relais des instituteurs et parlèrent – plus ou moins bien – français à leurs enfants, interrompant tragiquement le processus naturel de transmission multiséculaire du breton. C'est le stade ultime de l'ethnocide : les partisans du français, comme Rohou, ont dès lors beau jeu d'affirmer que les parents ont été responsables du déclin de leur langue. C'est apparemment vrai, mais il faut approfondir.

Aussi l'auteur critique-t-il Patrick Le Lay qui évoque le « "génocide culturel de la langue bretonne". Ces affirmations sont gravement inexactes. Il y eut bien, de 1793 jusqu’aux années 1930, de multiples proclamations tyranniques contre le breton – encore plus que contre les autres langues régionales. Mais elles restaient purement verbales, sauf à l’école, qui, surtout de 1882 à 1950, s’efforçait d’imposer l’exclusivité du français, et interdisait assez souvent la langue régionale même dans la cour. (2, 47) ».

Jean Rohou rappelle pourtant peu après les propos des préfets et inspecteurs d’Académie qui le confirment : « Le breton est "à détruire absolument", proclame de préfet des Côtes-du-Nord en 1831. "Nos écoles dans la Basse-Bretagne ont particulièrement pour objet de substituer la langue française au breton", déclare son successeur en 1846 (p. 62). Ces déclarations ne sont pas restées « purement verbales », puisque Rohou ajoute lui-même qu’elles furent appliquées à l'école (Bien après 1950, ai-je dit.), endroit essentiel pour entamer un ethnocide et le parachever... « En revanche, je suis intellectuellement rigoureux et moralement sévère pour l’injustice. » (2, 16) se définit Rohou : mes lecteurs jugeront si cet auto-portrait laudatif (toujours!) se justifie.

Dans sa réponse à mon article, Jean Rohou me reproche d'utiliser le mot « ethnocide », qu'il définit comme le massacre d'une population : mais il confond ethnocide et génocide . Et comment comprendre ceci : « Les idiomes régionaux ont été victimes d’une subordination générale – économique, politique et culturelle – qui exerçait sur les provinciaux, dès qu’ils pouvaient s’élever dans la société, un attrait irrésistible. » (2, 49) ? Les provinciaux auraient été « attirés » par le fait d'être « inférieurs » (subordonnés) ? Il ne cesse de nous dire dans FP 1 et 2 qu'ils ont, au contraire, été attirés par les perspectives de promotion qu'offrait la connaissance du français, et l'abandon du breton. « Apparemment, nous avons grand besoin de mythes. » (3, 129), écrit-il, parlant de Staline : je ne le lui fais pas dire.

6) Culture, langue et civilisation bretonnes cibles d'une critique non argumentée

a) Haro sur les faits de civilisation...

Dans le premier tome de FP surtout – il se calme par la suite –, Jean Rohou minore constamment la culture, la civilisation et la langue bretonne, en des lignes qui ne semblent pas dénuées d'aigreur ni de mauvaise foi. Il tape aussi sur quelques têtes de Turcs : Hélias, bien sûr, mais aussi Michel Le Bris et, parfois, Jean Rouaud ou Gérard Le Gouic, ainsi que son voisin Xavier Grall, duquel il confie toutefois se sentir plus proche que d'Hélias (1, 252). Je le montrerai en commençant par les éléments les plus insignifiants.

Rohou ainsi affirme n'avoir pas eu jadis vent d’intersignes, de « superstitions parachrétiennes » (1, 516-518), ni eu peur de l'Ankou, entendu de légendes arthuriennes... Le Léon clérical et austère mettait-il sous le boisseau ces restes de paganisme ? Ma mère, habitant Loqueffret, village imprégné de religiosité chrétienne, vivait pourtant au contact d'un irrationnel peu catholique. Avant guerre, son grand-père avait acheté une vache qui devait assurer la prospérité de la famille. Le voisin a demandé à la voir, seul dans la crèche. Peu de temps après, la vache a commencé à dépérir, et son lait à manquer... Convoqué, le curé s'est livré dans la crèche à un rituel d'exorcisme. Un soir, mon trisaïeul, rentrant à la ferme, s'est trouvé aspergé d'un liquide que l'obscurité ne lui a pas permis d'identifier. Une fois chez lui, il s'est découvert couvert de crème ! Peu après, la vache a retrouvé sa forme, donné du lait... et le voisin malveillant, qui lui avait jeté un sort pour lui voler son lait, s'est tordu de douleur dans son lit !

Ma mère a perdu ses deux frères en Indochine, à un an d'intervalle, en 46 et en 47. Chaque jour qui a précédé l'annonce de leur décès, le chien du foyer a aboyé à la mort toute la nuit... Dois-je y croire ? Je ne sais... Mon côté rationnel rejette ces anecdotes, mais elles ont quelque chose qui m'intrigue et me fascine. Rohou évacue-t-il cet irrationnel parce qu'il est matérialiste, pour minorer la matière bretonne ? Mais peut-être en effet le triste Léon a-t-il évacué plus rapidement qu'ailleurs ces superstitions qui ont fait le miel des folkloristes.

Étant claustrophobe, le lit-clos ne m'inspire aucune sympathie. Petit, je craignais qu'on ne m'enferme dans celui de mes grands-parents, où ils ne dormaient pas : c'était déjà un meuble décoratif. Et j'imagine le réceptacle d'odeurs qu'il avait été... Rohou lui fait un sort. Il le désigne comme « pire souvenir d’enfance de (s)a mère. » (1, 195) « Comme bien d'autres choses, ce meuble n'est typiquement breton que parce que la Bretagne a pris du retard. (1, 194) » écrit-il. Cet humble meuble est-il un prétexte de plus pour critiquer Hélias, qu’il accuse de « revoir sa jeunesse avec la nostalgie de la vieillesse et la complaisance du conteur à succès » (1, 195) ? Précisons que, lorsqu’est paru "Le Cheval d’orgueil", Hélias n’était pas encore « un conteur à succès » : il ne l’est devenu qu’après la parution. Ce statut ultérieur n’est donc pour rien dans sa célébration de son enfance... Le lit-clos vient d'ailleurs, selon Rohou: c’est là un camouflet pour ceux qui y voient de la bretonnité ! Mais ce n'est pas tout : « Quant à nos clochers typiques, tout droit venus de Normandie... » (2, 200)

Étonnant, alors, que certains voyageurs en Bretagne notent la différence entre un pays Gallo peu différent des régions qui se situent de son côté Est et une Basse-Bretagne beaucoup plus riche culturellement : « Ce n’étaient plus ces maisons de boue des environs de Rennes ni ces croix de bois peint, ni ces mesquins clochers à la flèche d’ardoise, dont un coupe de vent courbe la débile charpente ; mais partout le granit, jusque dans les dentelures et les festons des élégants clochers de village... » (Alfred de Courcy, "Les Français peints par eux-mêmes", 1842 ; cité par Louis Elégoët : "Bretagne, une histoire", Rennes, CRDP, 1999) Comment « nos clochers typiques, tout droit venus de Normandie » ont-ils pu sauter le pays Gallo pour conquérir la Basse-Bretagne ? Rohou fait tout pour minorer la matière bretonne, sauf à partir du chapitre 5 de FP2, mais c’est tardif.

Lit-clos et superstitions ont disparu, mais pas la pluie, inhérente au décor breton, que Michel Le Bris, Jean Rouaud, P.-J. Hélias et Gérard Le Gouic apprécient. « Avis d’intellectuels, qui la contemplent de leur fauteuil » (1, 79) tranche Rohou. Mais est-ce « travestir la réalité » que de l'aimer ? Hélias a vécu lui aussi dans des maisons mal isolées, en proie aux rigueurs de l'hiver. Pourquoi lui dénier le droit d'aimer ce phénomène climatique ? Même Fañch Abgrall, poète né dans un misérable hameau des Monts d’Arrée, mort de tuberculose à vingt-quatre ans, avoue dans ses poèmes, un peu mièvres mais sincères, son amour de la Bretagne sous la pluie :

Pluie

Je m’ennuie, je m’ennuie / Sans la pluie.

Je déteste ce ciel où luit trop de soleil / Et ces rochers osant se teinter de vermeil,

Moi, j’aime voir courir éperdu le nuage, / Ténébreux chevalier dans sa course au mirage

Et fuir dans la bourrasque avec un grand cri fou, / Le courlis effrayé par le char de l’Ankou !

Allons vent, souffle un peu, ranime la montagne, / La Bretagne sans pluie est une autre Bretagne.

"Luc’hed ha moged" (Éclairs et fumées), poèmes, dans "Et moi aussi j’ai eu vingt ans", Rennes, Terre de Brume, 2000, p. 74

« Grall était plus proche d’Hélias que de moi », ajoute Jean Rohou. « Le chantre de la bretonnité future et celui de la bretonnité passée voguaient dans l’idéal, tandis que je persistais à barboter dans la médiocrité du réel. » (1, 252) Mauvaise foi : Hélias et Grall sont devenus célèbres, en 1975 pour l'un, peu après pour l'autre. Rohou était depuis dix ans universitaire et, si l'on en croit FP2 et FP3, ne considérait pas du tout son métier comme « médiocre »...

« Je n’ai jamais entendu parler de réunion pour aplanir une aire nouvelle ou un sol en terre battue en dansant dessus (…) : les dernières doivent remonter au XIXe. » (1, 583) lance l'auteur, comme si son but était vraiment d'évacuer d'un revers de main tout ce que les amateurs de culture bretonne ont signalé comme lui étant propres. Mon père a assisté à une séance de danse pour solidifier une aire, peu avant-guerre. J'ai enregistré son témoignage.

Plus désolant encore : « Quant à la danse, à la musique, à la lutte et aux jeux de force traditionnels, revenus aujourd’hui à la mode, ils avaient disparu sauf en quelques coins du centre de la Basse-Bretagne » (1, 578). Mes parents dansaient et entendaient pourtant des sonneurs pendant la guerre. C'était dans les Monts d'Arrée certes, mais je crois que cela existait partout... sauf dans le Léon à l'univers impitoyable. « Mais le temps des conteurs et des légendes était révolu » (1, 598) : l'association Dastum a pourtant enregistré des dizaines de conteurs et conteuses (dont ma mère) depuis sa création, en 1972...

Jean Rohou qualifie de « sottise lyrique » ces lignes certes dispensables d'un certain Mikael André, dont le nom est introuvable sur la toile : « Les sœurs Goadec sont de très grandes dames ; elles sont la politesse exquise que savent encore avoir les paysans. Elles sont allées à Bobino parce qu’on les y a invitées. Elles seraient de même allées chanter une messe de mariage dans leur village où à la cour d’Angleterre. » (1, 310) Cela valait-il qu'on le publie pour s'en moquer ? Quant à « la musique bretonne (elle) a tellement évolué en un demi-siècle qu’elle est aujourd’hui assez différente de ce qu’elle était en 1950. » (1, 227) L'art évolue forcément, mais le "kan ha diskan" qu'on entend encore aujourd'hui ne diffère pas de celui qui retentissait jadis. Le folk-rock celtique, par contre, est une invention des années 70. Et fallait-il dire que le fest-noz d'aujourd'hui est « payant, ouvert à tous, pratiqué surtout en ville » (…), et « ressemble au bal sinon à d'autres festivités de nos week-ends d'aujourd'hui », se distinguant de celui de jadis, qui se dansait sans « projos » ni « sono » ? (1, 227) Il faut bien évoluer.

b) Haro sur les Bretons...

Et que dire des Bretons ? « Encore plus que la géographie, ce sont les comportements et les affirmations des hommes qui donnent à la Bretagne son identité. Sa forte personnalité vient surtout du fait que les Bretons en parlent beaucoup, avec insistance... » (1, 45) Oui, mais il semble qu'ils et elles ne se contentent pas d'en parler, si l'on considère leurs multiples réussites culturelles (salons, festivals...), sportives et économiques.

« Le français est toujours leur langue principale, et dans leur écrasante majorité ils ne savent dire en breton que Breiz et kenavo » (1, 71) ; « De plus, cette langue, qui ne fut jamais celle de tous les Bretons, n’est plus que celle d’une petite minorité - le plus souvent à titre secondaire. La langue actuelle des Bretons est le français, et je ne suis même pas sûr que les écoles Diwan puissent transmettre à leurs élèves ni le vigoureux accent de jadis... » (1, 226) ; « Non seulement la langue, devenue très minoritaire (…) ne l’a jamais été : elle n’a jamais été parlée dans le tiers oriental de la Bretagne » (1, 218).

C'est faux : elle a été longtemps parlée en Loire-Atlantique, comme en témoigne la toponymie. Elle est devenue minoritaire : la faute à qui, sinon aux parents qui, comme Rohou, n'ont pas appris le breton à leurs enfants, même quand ceux-ci étaient demandeurs ? Il le dit : « ...je n'ai pas transmis ma langue maternelle à mes enfants ; j'ai même refusé d'initier ma femme et mon fils aîné, qui le souhaitaient (2, 138). « Je parle toujours fort bien ma langue maternelle, mais je ne la pratique guère, faute d’occasion. » (1, 81) : que ne l’a-t-il apprise à ses enfants et petits-enfants ? Cela lui aurait donné l’occasion de la parler ! « C’est trop difficile, leur disais-je (...). Mais il y avait une autre raison, que j’ai perçue plus tard : ils s’intéressaient à mes origines, et pour eux le breton était une nouveauté intéressante ; pour moi, c’était une vieillerie, un handicap, une infériorité à laquelle je n’avais pas fini d’échapper. », écrit-il (2, 138). C’est une justification qui se comprendrait chez des gens du peuple, mais il est étonnant qu’un intellectuel de haute volée comme J. Rohou en soit resté à cette vision. Le breton n’était pas un handicap : c’est la condition de paysan pauvre qui l’était, et le breton n’y était pour rien. Ce n’est pas parce qu’on parle breton qu’on naît paysan – pauvre ou prospère. On naît paysan et, selon la région où on habite, on parle breton, gallo, ou français.

"Demat", disent les militants. : « Mais c’est un mot que je n’avais jamais entendu et je crois qu’il n’était guère utilisé où que ce soit » (2, 24) Le dictionnaire "Dervi", somme due à Martial Ménard, donne pourtant sa première occurrence, suivie de nombreuses autres, en 1530...

Les Bretons de naguère sont des brutes. Pour l'historien Marc Bloch : « De bien médiocres guerriers, vieillis avant l’âge (…), déprimés par la misère et l’alcool... Leur ignorance de la langue ajoutait encore à leur abrutissement. » (1, 426) Quelle ignorance de « la langue » ? Ils savaient très bien parler breton... Et, quand on voit les listes de Bretons « morts pour la France » sur les monuments des moindres villages, on n'a pas l'impression qu'ils ont fui le combat.

« Les Celtes de jadis étaient des gens de leur temps. Je n’arrive pas à croire que nous leur devions "cette charmante pudeur" ni cette "infinie délicatesse de sentiments qui caractérise la race celtique" (Renan). Je ne les ai d’ailleurs pas remarquées chez les Bretons que j’ai connus. » (1, 229) Vers 1750, ajoute l'auguste censeur, « On devient tendre. Avec le romantisme, on le sera encore plus. Mais au fond de la Bretagne, cela reste relatif. » (1, 498) ; « Bien qu’ils fussent tous croyants, les Bretons que j’ai connus ne paraissaient guère idéalistes. » (1, 273)

Comment tant de lecteurs ont-ils pu acheter un livre qui les insulte tant ? Il faut croire que le masochisme est une composante majeure de « l'âme celtique ». Rohou donne l'exemple de sa grand-mère, qui pisse à deux mètres de la porte (1, 400). Il ironise en citant un fragment de Saint-John-Perse : « Les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe ». Mais on accepte moins d'une vieillarde ce qu'on accepte des jeunes. Je n'ai pour ma part jamais vu de ces « cultivatrices dont on voyait surtout la première syllabe », que célèbre Victor Hugo. J'avais une grand-mère paternelle assez fruste et rentre-dedans, mon autre "mamm-gozh" étant un modèle de discrétion, de gentillesse, et d' « infinie délicatesse de sentiments », n'en déplaise au ronchon de service. Et j'ai rencontré, dans mon entourage, ma famille, mes tournées d'étudiant-facteur, dans les Monts d'Arrée, de 76 à 81, bien plus d'anciens et d' « anciennes à la coiffe innombrable » (Saint-Pol-Roux), parfois bretonnant(e)s monolingues, que de créatures frustes et primitives. Une fois encore, Rohou prend son cas pour une généralité – qu’il érige en vérité universelle.

De plus, la notion de « délicatesse » est très subjective. On voit des gens déféquer dans la rue, en Inde, sans que cela choque les locaux. Je ne sais plus hélas dans quel épisode d'Apostrophes j'ai entendu un ethnologue raconter sa venue dans une tribu d'Amérique du Sud. Hommes et femmes lui avaient fait une haie d'honneur, lui tournant le dos, nus, avant de se baisser et de tendre leurs postérieurs pour lancer en sa direction de joyeux pets de bienvenue. C'était pour eux lui faire honneur, et avec, sans doute, leur conception maximale de la délicatesse.

« Ce sont les francophones qui demandent la signification des patronymes et toponymes bretons. Les bretonnants les comprennent d’emblée ou – plus souvent – ne s’en soucient pas. » (1,172). Mais c'est aussi le cas des francophones qui résident hors Bretagne. Qui se soucie du sens de Rouen, Orléans, Marseille et des toponymes locaux ? Et je connais beaucoup de bretonnants peu diplômés qui s'interrogent sur le sens des noms. Rohou érige toujours son opinion, non argumentée, en vérité générale, contrairement à ses principes.

Il minimise encore la matière bretonne en rappelant cette célèbre histoire, qui a connu de nombreuses variantes régionales: « Nous réagissions au dédain par des anecdotes vengeresses. Tout le monde connaissait l’histoire (imaginaire) du parisien qui, revenu chez ses parents bretons, affectait d’avoir oublié leur langue, jusqu’au moment où il marchait sur les dents d’un râteau posé à l’envers, dont le manche lui sautait à la figure. : « Gast ! Ar rastell ! Putain ! Le râteau ! » (1, 244). Le sociologue Fañch Elégoët rapporte une variante de cette anecdote dans « Nous ne savions que le breton et il fallait parler français ! », mémoires d’un paysan du Léon :

« C’est comme ce gars, de Kerlouan, qui est entré dans la Marine… Il est venu en permission au moment des battages et il y avait une rozell (note : espèce de râteau servant à ramasser le grain.) sur l’aire. « Mais qu’est-ce que c’est que ça, maman ? » « C’est la rozell, répondait sa mère. « La rozell ? » et il met son pied sur le côté et il reçoit le manche dans la figure ! « O rozell c’hast ! » (« Putain de rozell ! »)…Du coup, il avait su ce que c’était. Avant, il ne savait pas… ! » (Editions Breizh or Bro, 1978, p. 182-183, 1975).

Mais pourquoi Jean Rohou qualifie-t-il, sans preuve, ce récit d'imaginaire, alors qu'il considère d’emblée comme vrai celui-ci, sans prouver qu'il l’est : « Toujours très peu de poisson. Autour de Carhaix, les contrats des valets de ferme précisent qu’ils n’en veulent pas plus de deux fois par semaine. » (1, 541)

Nos collègues Corses en prennent aussi pour leur grade : les « autonomistes » y sont « très minoritaires », se félicite Rohou (1, 311) : gageons qu'il a dû grincer des dents, depuis qu'ils y ont pris le pouvoir à tous les niveaux.

Autre point sensible, et patrimonial : l'alcoolisme. L'auteur affirme que « la soûlerie des Bretons semble antérieure à leur honte. Il ne faut pas non plus exagérer l’importance de la dépossession linguistique. "Il y a un parallèle troublant entre la courbe de l’alcoolisme et celle de la perte du breton", dit Michel Abaléa. Peut-être. Mais en Haute-Bretagne, où on ne le parlait pas, l’alcoolisme a été longtemps plus important qu’à l’Ouest. » (1, 334) Comment diable Rohou ignore-t-il que le gallo a été lui aussi pourchassé à l'école, comme sa variante mayennaise et tous les parlers régionaux de langue d'oïl ?

L'auteur cite, pour critiquer leur romantisme de bourgeois, Renan et Anatole Le Braz (1, 229-230). Mais qui lit le premier aujourd'hui ? Quasiment personne. Quant au second, il survit grâce à La Légende de la mort, compilation de textes recueillis. Il compare leur vision lyrique de la Bretagne à celle, aigre et frustrée, de Déguignet qui « est resté parmi le peuple, auquel il se confronte hargneusement (…) : « je ne crois pas que jamais en aucun temps ni en aucun pays les prolétaires paysans (…) aient été aussi ignorants, aussi abrutis et aussi lâches que ceux que je vois aujourd’hui ». « Déguignet est un extrémiste, un révolté. (Il) s’affronte aux Bretons du réel, à un monde qu’il a voulu fuir lui aussi, dans lequel il enrage d’être retombé, contre lequel il se bat et dont il est lourdement victime (1, 249). »

Déguignet est, comme Rohou, un aliéné : il considère que leur langue est la cause de l'état d'infériorité économique et intellectuelle des Bretons. Ils dirigent leur révolte dans le mauvais sens : contre eux, et non contre l’État français qui les maintient dans l’ignorance écrite de leur langue et l’interdiction d’être promus par elle. Leur misère ne vient pas de leur langue, mais de l'absence d'éducation qui aurait pu se faire dans leur langue. « Il ne voit dans son idiome maternel qu’une "vieille langue barbare, composée de 36 charabias tous plus ou moins inintelligibles" : une prison d’obscurantisme (2, 92) » ajoute Rohou, qui partage manifestement ce point de vue. L'un et l'autre n'évoluent pas dans le réel, mais dans leurs préjugés d'aliénés manipulés.

Rohou confirme Déguignet : « Les bretonnants ont du mal à se comprendre quand ils se déplacent de plus de 50 km ; quand ils passent du Léon, du Trégor ou de Cornouaille en Vannetais, ils n’y arrivent plus du tout. » (1, 223). La mauvaise intercompréhension des Bretons vient du fait que, n'étant pas alphabétisés en leur langue, ils ne parvenaient pas à interpréter les différentes prononciations des mots. Difficile de voir arbre dans "wezenn" (en léonard) quand il s'articule "wenn" en cornouaillais. Si les Français n'étaient pas alphabétisés dans leur langue, un Marseillais aurait du mal à comprendre « chaipas » ou « kestenpenses ? »...

Cela dit, Rohou dit le contraire dans FP2 : « Selon certains dénigreurs des langues régionales, les Bretons ne se comprenaient pas d’une région à l’autre. Il y avait effectivement de différence de vocabulaire et surtout de prononciation et d’accentuation. Mais elles n’empêchaient pas tout à fait un Léonard, un Trégorois et un Cornouaillais de converser (…) comme le faisaient par exemple les marchands et autres itinérants. » (2, 39)

Il se montre, je l'ai déjà dit, beaucoup plus ouvert et tolérant dans ce tome que dans le premier. Le succès l'a peut-être adouci... Tant mieux ! Tel sera son visage aussi dans le tome 3 : en Mai 68, lit-on, « L’une des formes de cette révolution sociale et mentale fut leur volonté de promouvoir la langue bretonne, jusque là "victime du colonialisme français". Elle fut fortement soutenue par la tradition antijacobine des Bretons et leur affirmation identitaire, qui s’est répandue à cette époque. » (3, 222) Hélas, si les Bretons avaient été antijacobins, ils auraient peut-être protesté quand on les a forcé à renier leur langue.

c) Haro sur les célébrités bretonnes...

Revenons au tome 1 où, décidément bien grincheux, Rohou s'attaque aussi aux grands hommes de la Bretagne : « avant de devenir un symbole de la Bretagne, Alan Stivell s’y est fait siffler » (2, 66). Où ? Il faudrait des sources (c'est le cas de dire, vu le sens du nom Stivell!). J’ai demandé à Stivell si cela était vrai : il a formellement démenti avoir été sifflé dans sa carrière. Parfois chahuté, comme tout le monde, surtout lors de concerts en plein air, ou sous chapiteau en journée. J’ai moi-même assisté à un de ses concerts, organisé par l’UDB vers 1974 : le public était forcément plus remuant que dans une salle de concert classique !

« Le "Barzaz Breiz" serait un « recueil de chants populaires arrangés (et affaiblis) par La Villemarqué. » (2, 70) : quelle preuve Rohou donne-t-il à cette affirmation, lui qui avoue « Je ne me suis pas intéressé à la littérature bretonne, que je connais très mal. » (2, 137) ? Donatien Laurent a pourtant affirmé que, quand il disposait de plusieurs versions d’un chant populaire, La Villemarqué s’attachait à en donner la meilleure version possible.

Les celtomanes comme de Courson ou la Borderie « donnent dans l’idéalisme nationaliste. » (1, 240) Soit : et Mallet-Isaac ? Et Lavisse ? Ne donnent-ils pas dans l'idéalisme nationaliste français ?

L’auteur défrise, plus qu’il ne frise, la mesquinerie : « Pour certains, la bretonnité est surtout un engagement volontaire (…) c’est "quelque chose qui vous rend heureux", disait Morvan Lebesque. (…) « Est Breton celui qui choisit de l’être et de le dire », confirmait Xavier Grall. Peut-être avaient-ils besoin de ces proclamations d’adhésion spirituelle pour compenser leur situation réelle : ils étaient devenus parisiens. » (1, 219). Mais beaucoup de Parisiens ont des origines provinciales, que l'éloignement ravive, certes : en quoi peut-on le leur reprocher ? Et on peut habiter Paris pour y travailler, sans pour autant le devenir dans l'âme.

Au "Cheval d’orgueil", Grall « a répliqué par "Le Cheval couché" (tel un chien asservi) » (1, 252), écrit Rohou, insultant post-mortem un auteur dont il se sent pourtant proche. Mais ce titre a été imposé à Grall par l'éditeur : le livre aurait dû s'intituler "Les Chevaux couchés ne vont pas à la mer", ce qui était plus lyrique et plus explicatif. « "Je n’ai qu’un profond mépris pour cette caste fourbe et méchante (…) qui va prier à l’église", écrivait-il en 1948 à propos de la bourgeoisie de Landivisiau, dont il sortait » (1, 250), précise Rohou, non sans fourberie : mais peut-on reprocher à quelqu'un de renier sa classe d'origine ? Grall n'était pour rien dans le lieu de sa naissance !

Au haro aussi, le créateur d’Étonnants voyageurs : « "Je ne connais rien de plus beau et de plus confortable que ces vieilles fermes bretonnes !" écrit Michel Le Bris, emporté par son lyrisme nostalgique. (1, 201) » Le Bris exalte la plage où il vécut enfant tout en rappelant qu’il portait, enfant, sur elle, « le regard d’un esclave sur un champ de coton quand, rentré de l'école », il devait ramasser goémon et bigorneaux dans des seaux, rappelle son censeur. « Décidément, ajoute-t-il, l'intérêt des choses dépend de la situation où on se trouve par rapport à elles, et il faut toujours relativiser sa vision. Non pas pour verser dans le scepticisme, mais pour penser dans la rigueur. », tranche Rohou, impérial, du haut de sa chaire.

Mais Le Bris n'a-t-il pas le droit de regretter aussi les lieux où il a vécu, souffert, et rencontré des gens chaleureux, comme le voisin qu'il décrit dans la magnifique première page d'Un Hiver de Bretagne ? Nulle part il ne dit être « si malheureux d'être devenu un célèbre étonnant voyageur. (1, 253) » On peut vivre dans le confort et regretter le temps où on n'y vivait pas, heureux pour d'autres raisons : ce n'est pas incompatible. Est-ce faire preuve de rigueur et d'objectivité que de le reprocher à Hélias et Le Bris ?

Dans FP3, Jean Rohou se livre à une critique de son collègue bretonnant Pêr Denez. Rohou signale qu'il s'apprêtait à soutenir l'élection au poste de prof du celtisant Christian Guyonvarc'h, malgré son désaccord politique avec lui. Pêr Denez l'aurait alors pris à part pour lui révéler que Guyonvarc'h avait été membre du sinistre Bezen Perrot, troupe de supplétifs bretons de la SS. Rohou n'a donc pas soutenu le spécialiste du moyen-irlandais et ex-collabo. « De plus, j’ignorais qu’à l’époque que le comportement de Pêr Denez pendant la guerre avait été loin d’être exemplaire ; qu’il persistait depuis à célébrer certains héros du nationalisme breton sévèrement condamnés à la libération ; et que l’ICB (Institut culturel de Bretagne) lui servait pour utiliser contre la France l’argent d’institutions françaises... » (3, 225) Mais rien n'indique que Pêr Denez s'est compromis sous l'occupation. Sinon, des gens bienveillants se seraient fait une joie de l'indiquer, toutes griffes dehors, sur sa page Wikipédia... Et, si Pêr Denez avait été lui aussi collaborationniste, je vois mal pourquoi il aurait demandé à Jean Rohou de contrer un collègue proche idéologiquement...

d) La cible préférée : Pierre-Jakez Hélias

Mais la cible favorite de Rohou reste, évidemment, Pierre-Jakez Hélias, Fils de ploucs ayant été écrit en réaction tardive au "Cheval d'orgueil". On l'a vu, Rohou qualifie non sans prétention Hélias de « frère ennemi. » (1, 685) Il ne l'a rencontré qu'une fois, lors d'un examen, et l'a trouvé « dédaigneux. » (2, 143) Du succès du Cheval d'orgueil, Rohou écrit : « Mais ce sont surtout des citadins rêvant de retour à la nature et au bon vieux temps qui ont assuré son triomphe. » (1, 26) Qu'en sait-il ? Voilà encore une affirmation a-priori non argumentée, comme on en relève des dizaines dans FP1 et 2. Lors de mes tournées de facteur de Pleyber-Christ à Plounéour-Ménez en passant par Saint-Thégonnec, Guiclan, Loc-Eguiner et Sizun, j'ai vu pas mal d'exemplaires du Cheval d'orgueil décorer des buffets. A tort ou à raison, beaucoup de paysan(ne)s s'y reconnaissaient. Peut-être leur procurait-il une douce nostalgie, mais sans doute aussi reconnaissaient-ils et elles des aspects de leur vie d'autrefois, et des gens chaleureux qui n'étaient pas forcément les brutes que peint Rohou. Quant au public de Jean Rohou, il s’est surtout rencontré chez des gens de son âge ou un peu plus jeunes, si on en juge par celui qu’on rencontre lors de ses conférences : des gens acquis à sa cause, et qui trouvent dans son propos matière à confirmer leur conviction qu’il fallait abandonner le breton pour être promus, matière à nourrir leur aliénation. (Cf. ainsi « Le monde d’hier de Jean Rohou », compte-rendu de conférence par Éliane Faucon-Dumont, 19 juin 2017,

Hélias décrit avec sympathie et truculence la façon de manger des Bigoudens, peu raffinée, aux yeux d’un citadin : avachi sur la table, postérieur en arrière, mâchant et avalant sans discrétion. L'auteur bigouden s'en amuse (1, 563) : Hélias « était un as dans l’art de positiver » (1, 562) affirme Rohou, qui ajoute que ces manières étaient les mêmes chez lui, mais « La seule différence, c’est qu’il a l’art de conter et de tout justifier. » (1, 563) Il évoque « une bave grasse qui s'écoulait du coin de la bouche des hommes quand ils se régalaient de lard chaud », selon le témoignage d'une voisine, qui s'exclame « Quelle horreur ! » Je n'ai, quant à moi, jamais vu d'hommes s'agenouiller en mangeant, ni entendu parler de cette façon de faire (1, 198).

Hélias positive là où Rohou négativise, comme Déguignet. Qui a raison ? J'ai personnellement connu beaucoup d'anciens, dans les années 60, et jamais n'en ai vu aucun(e) se bâfrer comme le décrivent l'un et l'autre. Et on a vu que Rohou est lui aussi « un as dans l'art de positiver » l'action de la France contre la langue bretonne... Hélias décrit avec bonhomie, truculence et tendresse des comportements que raille son contradicteur. Il faut dire que la dureté du travail de jadis et l'absence d’hygiène due à la pauvreté justifiaient le manque de maintien bourgeois à table... Les ruraux de naguère ne vivaient pas chez Proust.

« Voici Jules de la verveine » continue Rohou : "Sans instruction aucune, n’ayant vu la maison d’école qu’en passant sur la grand-route, c’était un des hommes les plus fins qu’il m’ait été donné de rencontrer. Plus sage à lui tout seul que les sept philosophes de Grèce." Hélias regrettait-il de n’avoir pas été son disciple au lieu d’aller au lycée et à l’université ? Ces travestissements malhonnêtes ne sont pas le meilleur service à rendre à des gens estimables pour de toutes autres raisons. Flatteurs tant qu’ils sont portés par la mode, ils sombrent ensuite dans le ridicule (…). Sous-titré « Mémoires », Le Cheval d’orgueil se présente comme un authentique document sociologique. En fait, la réalité y est enjolivée par un habile conteur, digne héritier de ses grands-pères (…). Mais c’est bien une reconstruction idéalisée, et parfois du folklore nostalgique pour Marie-Antoinette de résidence secondaire. Même si Hélias a bénéficié d’une enfance merveilleuse, dans une famille exceptionnelle, son témoignage n’est pas généralisable. (1, 685) »

Mais d’autres ont vécu semblable enfance... Rohou balance des griefs qu'il n'argumente jamais : quelle preuve nous donne-t-il que les propos d'Hélias relèvent du « folklore », qu'ils sont « malhonnêtes », « idéalisés » ? Le brillant universitaire, qui s'attribue une pensée rigoureuse, se vautre dans l'invective sans jamais apporter d'arguments pour justifier ces emportements. Et Hélias peut apprécier avoir été le disciple de Jules, puis d’être allé à l'université : les deux ne sont pas incompatibles. Rohou rappelle qu' Hélias a été un « champion du breton » qui a « continu(é), à l’école normale de Quimper, à former des générations d’instituteurs destinés à remplacer cette langue par le français » (2, 173) : certes, mais Grall l’avait déjà dit dans "Le Cheval couché" (Livre de poche, p. 57).

« "Rien de plus facile (…) pour moi que d’écrire (…) un superbe chapitre sur la sexualité des Bigoudens. Je m’en suis bien gardé" disait Hélias. Quel dommage ! ( ...) Peut-être , s’appliquant à lui-même sa dialectique habituelle, transforme-t-il son ignorance en mérite ? » (1, 650) Je pense aussi qu'Hélias ne devait pas savoir grand-chose de ce sujet, vu la pudicité des Bretons en la matière. Mais j'ai montré abondamment que Jean Rohou érige lui-même souvent son ignorance en vérité universelle, sans qu'il s'en rende jamais compte. Il ironise encore sur « les admirables grands-pères d’Hélias, deux hommes du peuple revus et corrigés par leur brillant petit-fils. » (1, 248-249), mais sans prouver que ces personnages ont été « revus et corrigés » par l'écrivain bigouden : qu'en sait-il ? Il ne les connaissait pas... Et l'adjectif « admirable » est, on l'aura compris, antiphrastique. Rohou cultive à l’excès l’ironie, le sarcasme, voire l’insulte, et la raillerie, qualité pourtant peu française à ses yeux ! Aucun de ces procédés n’est un argument.

Il est possible qu'Hélias se soit laissé emporter par la « nostalgie de la vieillesse » et la « complaisance du conteur à succès. » (1, 195) Il est vrai qu'il aimait à cabotiner. Mais cela ne prouve pas que ce qu'il narrait était faux. La nostalgie fait aussi partie du réel. Elle peut transformer le regard porté sur le souvenir sans forcément modifier les souvenirs : Michel Le Bris n'oublie pas ses souffrances d'enfant travailleur, ce qui ne l'empêche pas d'apprécier les moments de bonheur qu'il a vécus en d'autres circonstances.

On me dira que je défends Hélias, que j'ai moi-même critiqué naguère ("Inventaire d'un héritage", 1997; rééd. sous le titre "P.-J. Hélias, l'homme et l'oeuvre", 2014, éd. Les Montagnes noires) . Mais j'ai surtout critiqué son idéologie : le fait qu'il se posait en défenseur d’une langue qu'il n'a pas transmise à ses enfants et dont il n'a jamais combattu le bourreau : l’État français. J'ai trouvé mauvais ses romans, sauf "L'Herbe d'or", célébré sa poésie et son théâtre, ainsi que l'art du conteur qu'il manifeste dans "Le Cheval d'orgueil". Hélias et Rohou tiennent un discours parfaitement identiques, quand ils affirment que le breton, langue du passé, ne pouvait s'adapter au monde moderne : « Les deux langues n'ont pas les mêmes outils du fait qu'elles ne travaillent pas sur les mêmes terres », écrit ainsi Hélias. Rohou aurait pu saluer son alter-ego sur ce point... Cela dit, il achève étonnamment FP1 en résumant très bien plusieurs pièces d'Hélias, qui y met en scène les conflits familiaux de jadis. Elles apportent ici de l'eau à son moulin, comme quoi la critique de son « frère ennemi » n'est pas négative in fine – et in extremis.

7)Des circonstances atténuantes

L'aigreur dont Jean Rohou fait preuve à l'encontre d'Hélias, de Le Bris mais aussi d’une culture bretonne qu'il voit s'épanouir sans qu'il l'ait prévu et sans qu'il y ait pris part a des raisons : « J’ai grandi dans le Léon, le Finistère Nord, parmi des gens sérieux, réfléchis, travailleurs, austères et dévots, pas rigolos pour deux sous, contrairement à leurs voisins cornouaillais ou trégorrois. » (3, 87) Il a hélas vécu dans un « Léon austère, dévot et inhibé. » (1, 492) La gaieté est un « tempérament rare par-là à son époque. » (1, 398), dit-il en parlant de sa grand-mère. « Le grave léonard fuit les plaisirs du diable » disait Brizeux : c’est à dire tous les plaisirs. » (1, 58) C'est sans doute la raison pour laquelle Rohou sèche quand il lui faut traduire « se distraire » (1, 564), ce que l'on peut rendre, ai-je dit, sans trop de recherches, par n'em diduañ, kemer plijadur, kemer dudi. Et pourquoi pas n’em amuziñ : l’anglais dit bien to amuse oneself... « Il y a donc ici moins de gaieté, de fêtes, de contes et de chansons qu’ailleurs et, depuis la fin du XIXe siècle, l’église a réussi à y supprimer la danse et la musique ». L’inflexible rigidité du clergé léonard semble, de plus, rejaillir sur la nature : « la production de cidre est encore faible à la fin du XIXe siècle (quasi nulle dans le Léon, réduit à la piquette) » (1, 322). La ferme de mes grands-parents, à Kerliou, Saint-Herbot, connaissait pourtant des vergers aux pommes variées, et d’autres fruitiers : cerisiers, pruniers, poiriers.

Les prêtres léonards furent donc des pré-Talibans ! C'est là une circonstance qui permet d'expliquer que Rohou ne comprenne pas ce qu'il lit chez Hélias ou Le Bris. Il n'a pas, contrairement à eux, rencontré de gens aimables, chaleureux, généreux... C'est triste, mais il ne faut pas reprocher à d'autres d'en avoir connus.

Plus douloureux encore : « Mon père est parti à la guerre en septembre 1939. Il n’était pas mort, mais prisonnier au fond de l’Allemagne. A six ans et demi, j’étais devenu pour ainsi dire l’homme de la maison ; presque un soutien de famille. » (3,89) ; « La captivité de mon père, les difficultés de ma mère pesaient sur moi. Une situation de responsabilité plutôt que d’insouciance infantile. Bref je n’ai pas grandi dans une joyeuse bande ni dans la frivolité. » (1, 572) Cela inspire la compassion, évidemment. Michel Le Bris, dont la mère célibataire était femme de ménage, a connu une plus triste enfance encore. La famille Rohou, de plus, n'était pas propriétaire de sa ferme, ce qui ajoutait à son infériorité sociale et rendait les lendemains incertains. Un propriétaire peut renvoyer ses locataires, surtout si le père de famille, prisonnier, ne peut travailler chez lui. Aussi l'auteur confie-t-il : « Je ne témoigne que pour moi : souvenirs fragmentaires et subjectifs, dévalués peut-être par mon esprit critique. » (1, 572) Dévalués plutôt par ses préjugés, dirais-je, qu'en bon aliéné il ne peut discerner. L'esprit critique ne vaut que s'il est pertinent, ce qui n'est pas le cas quand Rohou considère le breton inférieur au français, persiste à parler d’une république égalitaire au plan scolaire en donnant sans cesse les preuves du contraire, ou crache son fiel sur des auteurs coupables à ses yeux d'avoir été heureux malgré leur pauvreté, et de le dire.

Le premier tome de "Fils de ploucs" donne presque constamment des Bretons et de leur civilisation une vision péjorative. Le succès a-t-il adouci Jean Rohou ? Il se montre, dans le deuxième volume, plus tolérant, beaucoup plus ouvert, malgré les préjugés qui demeurent.

8) Partisan néanmoins de la langue bretonne

Jean Rohou manifeste dans FP2 et FP3 beaucoup de sympathie pour la langue bretonne et pour ceux et celles qui luttent pour elle. Il y met plus d’eau dans son vin et balance moins de jugements aigres et rapides. Je l'ai déjà dit plus haut, je le redis ici : « Diwan en particulier, c’est 30 ans de luttes dans l’enthousiasme et dans l’angoisse. » (2, 193) ; « Les difficultés de TV-Breizh sont venues du fait que le CSA lui a refusé un canal hertzien. » (2, 192) Les festivals bretons, très fréquentés, sont peu soutenus par l’État (2, 191). Rohou dénonce avec force le fait que la France n’a pas signé les différentes chartes relatives aux droits des minorités (2 , 171-176), estime sectaire « l’hostilité culturelle, politique ou idéologique à l’enseignement du breton » (2, 165), va même jusqu’à prononcer un mea culpa : « Propagateur et chantre de la littérature française, j’ai même participé, sans en avoir intention ni conscience, au colonialisme antibreton. » (2, 138). Il y a participé surtout en interrompant, comme presque tous les gens de sa génération, la transmission linguistique du breton à ses enfants.

Rohou défend avec la même vigueur Diwan contre les délires de ceux qui voient son origine dans la collaboration (2, 166). Après avoir loué Diwan , Rohou s'écrie: « Ah, si l’investissement de la population dans la pratique de la langue était à la mesure de cet encadrement... » (2, 145) Mais comment une population dont il a précédemment estimé qu'elle était responsable de la mort de sa langue changerait-elle aussi radicalement d'optique ? Il se félicite de « la remarquable défense de la langue bretonne. » (3, 121) : on ne va pas s'en plaindre !

Il critique par contre la bretonnisation des panneaux de villes et villages en pays Gallo (2, 35). Je suis assez d'accord, mais notons qu'aucun gallésant ne s'est offusqué qu'on baptise Roazhon park le terrain de football du stade rennais. Et ces traductions sont parfois demandées par les habitants eux-mêmes. Il y a beaucoup de bretonnants en pays Gallo, de Gallos en Basse-Bretagne, et beaucoup parmi eux se sont mis au breton, plus apte selon eux à exprimer leur bretonnité, le parler gallo étant tout de même très semblable au français. Je comprends les trois-quarts d'une conversation en gallo traditionnel.

L’auteur dénonce ceux qui ont raillé le breton en des termes parfois grossiers, comme Georges Duhamel, Mérimée, Edgar Morin dont il rappelle le voyage qu'il fit « chez les sauvages » de Plozévet (2, 131-132). Il dénonce les propos racistes d’Allègre et Chevènement (2, 153), de Christophe Barbier dans "L’Express" (2, 172) mais rend justice à certains préfets ou recteurs, certes peu nombreux, qui ont préconisé des méthodes d’enseignement du français qui passaient par le truchement du breton. En 1926, Poincaré défend même les langues régionales (2, 85), rappelle Rohou, qui commet une petite erreur en précisant qu’il était alors Président de la République, ce qu’il n'a été que de 1913 à 1920. C’eut été la meilleure façon de faire, regrette-t-il, comme Hélias naguère ("Le Cheval d'orgueil", Plon, 1975, p. 504-505), mais elle n’a pas été la plus adoptée :

« Cela dit, il est clair que si les autorités avaient évité leurs tyranniques proclamations contre la langue locale, si, au lieu de persécuter parfois les élèves, on avait systématiquement organisé leur instruction d’abord dans leur langue puis progressivement en français, la fréquentation et les résultats auraient été bien meilleurs. » (2, 69)

« On comprend à cette occasion que si on les avait instruits en parlant de leur langue, les progrès des Bretons auraient été beaucoup plus rapides : les leçons auraient été plus faciles pour les enfants ; elles auraient eu plus de sens pour eux ; parents, élèves et autorités auraient eu davantage confiance en l'école. » (2, 297-298) On est là aux antipodes des propos où l'auteur célèbre sans nuances la gloire de l'école publique, républicaine et démocratique... Il va même jusqu'à se contredire :

« Apprendre le breton, ça sert à quoi ? A rien, selon certains, et pour d’autres, c’est même un handicap (…) Si l’on juge la formation, des êtres humains selon la rentabilité, où allons-nous ? » (2, 153) Mais c'est pourtant en fonction de la rentabilité sociale, de la promotion, qu’il justifie le fait que sa génération a abandonné le breton ! Cela dit, cette nuance fait plaisir, et on ne va pas reprocher à Jean Rohou de défendre l'apprentissage désintéressé du breton, lui qui fut victime de l'apprentissage intéressé du français. Le très républicain Rohou affirme que le tort des républicains était « de croire que la langue est responsable des usages qu’on en fait, et qu’un idiome traditionnel ne peut pas servir au progrès. » (2, 63) C'est pourtant ce qu'il ne cesse de nous dire ailleurs, affirmant la supériorité du français, « véhicule des Lumières, de la science, du progrès. » (2, 104) Contre les jacobins que révulsent la défense des langues régionales, il lance : « Bref, les défenseurs du breton menacent le français et la République à peu près autant que les conservateurs de musée menacent la modernité. » (2,170) On lit encore cette remarque pleine de bon sens : « aujourd'hui, l'unité de langue est un fait dont nul ne doute, et qu'il est un peu ridicule d'ériger en religion d’État. » (2, 174, note 85) Et voici une réflexion qui ravale le français au rang de dialecte, qu'on dirait prononcée par Claude Hagège ou Philippe Blanchet : « Une langue nationale, c’est le dialecte de ceux qui ont pris le pouvoir ; c’est un patois qui a une armée. Ainsi, le français est le développement par la classe dominante (dans ses livres, ses salons, ses textes juridiques) du dialecte de l’endroit où s’était installé un pouvoir qui a peu à peu dominé la nation entière. » (2, 31)

Autre contradiction : la langue française est « pour le moment du moins – mieux adaptée » (que le breton) « au monde actuel, plus raffinée (en note : Non par nature et définitivement, mais parce que ses possibilités en ce domaine ont été beaucoup moins utilisées que celles de la langue de Rousseau et Voltaire.) pour l’expression des idées et des sentiments, et moins chargée de néologismes indigestes. » (2, 168) J'ai pourtant cité des phrases où l'auteur estime que le français est par essence supérieur au breton.

Rohou m’a reproché de ne lire dans son livre que ce que j’y cherchais : je n’y cherchais rien du tout, sinon le regard de quelqu'un dont j’apprécie les compétences intellectuelles et l’intégrité dans un domaine qui m’est cher : la littérature et son enseignement. Mais il dit une chose et son contraire. Il écrit que les langues « sont toutes égales devant Dieu et les linguistes. Mais elles n’existent que dans des pratiques socioculturelles qui introduisent entre elles de grandes inégalités » et font qu’elles peuvent avoir des « possibilités momentanément restreintes » (2, 63-64). Certes : Du Bellay écrivait la même chose au XVIe siècle. Mais pourquoi alors avoir écrit ce que je cite plus haut ? Et ce ne sont pas les pratiques socioculturelles qui nuisent à une langue : c’est la volonté politique de les éradiquer. « Ce n’est pas la langue elle-même qui avance ou recule, c’est (…) sa pratique » (2, 166) : Rohou me répond en avançant cette lapalissade. La pratique de la langue recule parce qu’on l’y force en ne l’enseignant pas, en l’interdisant et en l’infériorisant aux yeux de ses locuteurs.

Jean Rohou en vient à encourager ses compatriotes : « Si en 1990 la moitié des bretonnants se disait incapable de lire le breton, et les trois-quarts de l’écrire, c’est surtout faute d’avoir osé essayer, plus par réticente timidité qu’à cause de difficultés réelles, puisque, faute d’orthographe anciennement fixée, cette langue s’écrit à peu près comme elle se prononce. » (2, 128) C'est vrai, mais essayer seul ne suffit pas. Il faut quand même être guidé. En outre, il défend l'usage des néologismes pour éviter une langue « truffée de termes français » (2, 161) : « Ou bien se limiter (…) : c’est-à-dire garder une langue inadaptée, vouée à une mort prochaine. Ou bien l’enrichir de toute urgence pour lui permettre de parler de toutes les réalités d’aujourd’hui. » (2, 160) Mais n'oublions pas que beaucoup de mots nouveaux, ai-je dit, peuvent se créer à partir de racines gréco-latines. Il ne faut pas avoir peur de ressembler au français. Je lis facilement une page de journal en espagnol, moi qui n'ai jamais étudié cette langue. Une page d'anglais contient nombre de mots qui ressemblent à du français, malgré les nombreux faux-amis.

Le cinquième chapitre de FP2 (142-200) fait donc couler, pour les partisans du breton, un miel surprenant après le fiel déversé dans FP1 et la première parte de FP2 sur cette langue, les mœurs et la culture bretonnes, et certains écrivains dont surtout Pierre-Jakez Hélias.

Comment l'expliquer ? Seul l'auteur pourrait nous le dire... A l'aigreur rageuse du déclassé, de l'aliéné qui défend le bourreau de sa langue en rendant celle-ci et ses locuteurs responsables de son déclin, qui s'étale dans FP1, a succédé un penseur plus pondéré, plus affable, qui met de l'eau dans son vin et semble plus décontracté. Peut-être est-ce la pensée de P.-J. Hélias qui le met en fureur dans le premier tome ? Il n'apparaît plus guère dans le second.

Mon article « absurde et fielleux » s'achevait en ces termes :

« Le discours que tient Jean Rohou dans "Fils de ploucs" n'est pas neuf. Il est même hélas ! Répandu. Il flatte la bonne conscience des jacobins, dont les exactions paraîtront dès lors minimes. Il soulage les aliénés qui ne verront pas ici matière à douter. Son livre, attachant et sincère, inspire la sympathie et la désolation. "Enfin mon but principal est de pousser mes lecteurs à réfléchir", écrit-il (p. 16). Il m'a fait réfléchir. J'espère que ces quelques lignes le feront réfléchir aussi. A greiz kalon, Jean, ha gant un tamm tristidigezh ivez... »

Il me semble qu'il y a pire fiel... J'aurais dû, cela dit, signaler que le chapitre 5 de FP2 nuance les erreurs et aigreurs du premier. Mais la réaction de mon ex prof et collègue montre qu'un aliéné ne peut pas réfléchir : cela remettrait en cause tout ce sur quoi il a bâti sa vie mentale.

Une photo de Rohou publiée dans l'anthologie Balade en Bretagne nord, sur les traces des écrivains le montre jouant au théâtre devant des habitants de son coin. Il joue, en breton, le rôle d'un paysan astucieux, chafouin et mal dégrossi... Quelle pitié ! Rohou montre à des gens qui sont restés ploucs l'image d'un plouc, alors qu'ils savent très bien qu'il s'est libéré de ce statut. Et il fait rire. Les spectateurs rient d'eux-mêmes, flattés qu'un intellectuel de haut vol incarne leur balourdise. Mais est-ce le meilleur moyen de la leur ôter ? Il aurait pu élever ses compatriotes en leur jouant du Racine en breton – ou en français. Il rejoint là en tous points son « frère ennemi », Pierre-Jakez Hélias, qui, en compagnie de son compère Charlez ar Gall, faisaient rire les Bretons d’eux-mêmes, jadis, sur les ondes de radio Quimerc’h, en interprétant des bécassinades théâtralisées… Cette pitrerie est une façon de se moquer de lui-même et des siens, de montrer qu'il est resté, hélas, malgré sa sincérité indéniable, et une affection tardive, mais réelle, pour sa langue, plouc dans l'âme, et fier de l’être : un plouc d’orgueil.

Annexes : « Fils de ploucs, de Jean Rohou : le bonheur triste d’un aliéné » Revue "Hopala!", n°30, nov. 2008- fév. 2009

Malgré toute l’estime que je porte à Jean Rohou, je n’avais pas acheté le tome 1 de Fils de ploucs dont le titre, volontairement polémique, me semblai abonder dans le sens d’un discours trop connu : voilà encore, me disais-je, l’histoire d’un déclassé. Un bretonnant issu de la campagne et qui, apprenant le français pour s’extirper de ses origines, doit sans doute considérer celles-ci avec condescendance, au mieux avec attachement nostalgique.

J’ignore ce qu’on trouve dans "Fils de ploucs" 1, mais je me suis procuré le second. Sa lecture est plaisante. Jean Rohou écrit avec clarté, pédagogie, subtilité – qualités qu’il partage sans doute avec les écrivains du 17e siècle, dont il est un spécialiste reconnu. Le titre, à vrai dire, correspond peu au contenu, car il n’est guère question ici, sauf à la fin, d’autobiographie. Dans la première partie de cet épais volume, Ar yez, Jean Rohou s’intéresse à l’histoire de la langue bretonne, aux raisons de son effondrement, à ce qui peut encore motiver sa défense, à ce qui justifiait qu’on la combatte naguère. Ar skol, ensuite, retrace l’histoire de l’école publique depuis ses origines jusqu’à la fin du 19e siècle. On y apprend que les instituteurs étaient naguère souvent de pauvres diables, parfois illettrés, voire alcooliques et qu’ils vivaient misérablement. Cette partie est passionnante et s’étaie de faits et de chiffres précis. Les soixante dernières pages évoquent la carrière universitaire de l’auteur, qui y égratigne un peu un petit monde où les enseignants ont « besoin de se taire afin d’être promus » (p. 554).

C’est la première partie qui m’intéresse surtout. Jean Rohou y fait preuve d’une grande ouverture d’esprit envers les défenseurs de la langue bretonne. Il souligne leurs difficultés : « Diwan en particulier, c’est trente ans de lutte dans l’enthousiasme et dans l’angoisse », écrit-il ainsi, p. 193. Il affirme que les difficultés de TV-Breizh viennent du fait que le CSA lui a refusé l’accès au canal hertzien (p. 192), que les festivals bretons, pourtant connus, sont très peu soutenus par l’État (p. 191), pointe le fait que la France n’a pas signé les différentes chartes relatives aux droits des minorités (pp. 171-176), estime « sectaire » « l’hostilité culturelle, politique, ou idéologique à l’enseignement du breton » (p. 165), va même jusqu’à s’accuser d’avoir contribué à la disparition de la langue bretonne : « Propagateur et chantre de la littérature française, j’ai même participé, sans en avoir intention ni conscience, au colonialisme antibreton » (p. 138). On relève quelques erreurs : Jean Rohou écrit ainsi que « le breton n’était pas parlé depuis des siècles » en Loire-Atlantique (p. 194), alors qu’on le parlait Guérande et Batz-sur-Mer jusqu’au début du 20e siècle. Il évite le manichéisme : on connaît bien les noms des préfets ou des recteurs qui ont préconisé l’éradication du breton. Mais Jean Rohou nous apprend qu’au 19e siècle, certains parmi eux, certes minoritaires, ont appris la langue celtique, ou ont préconisé des méthodes d’enseignement du français qui passaient par le truchement de celle-ci. C’eut été la meilleure méthode, regrette l’auteur (p. 69), comme Hélias naguère , mais ce n’est pas celle qui a été le plus souvent choisie, loin s’en faut. Rohou évoque alors la pratique du « symbole », cet objet infamant qui servait à humilier les élèves surpris à parler breton, à l’école publique. Il en minimise l’emploi : « Hélias ne l’a pas subi, mon père ni ma mère non plus, ni celle de Jean Le Dû » (p. 86). Mais c’est faux. Hélias décrit clairement cette pratique, et affirme clairement qu’il en a été victime : « Les pions nous auront toujours punis, nous les bretonnants, jamais les autres. Nous auront punis par ordre du surveillant général, pourchassés dans tous les coins, les oreilles à l’affût des phrases bretonnantes qui auraient pu nous échapper. Dans la cour du lycée La Tour d’Auvergne en 1925, il est interdit de cracher par terre et de parler breton. (…) Et les pions qui nous persécutent sont aussi bretonnants que nous. » Le témoignage de Jean Le Dû est plus sujet à caution, celui-ci ayant été, toute sa carrière universitaire durant, un adversaire acharné de la langue bretonne qu’il enseignait pourtant, jusqu’à déclarer, en 1999 : « Personne, en Bretagne, ne croit à la possibilité de sauver le breton.» ("Langues et cultures régionales de France. État des lieux, enseignement, politiques", colloque des 11 et 12 juin 1999, université Paris V-René Descartes. Cf. Ouest France, 12-13 juin 1999).

Très vite, on voit où le bât blesse, dans "Fils de ploucs 2". Malgré la grande tolérance dont son auteur fait preuve pour l’Emsav, malgré son affection réelle pour la langue bretonne et sa volonté indiscutable de la voir renaître, malgré son regret de voir les Bretons si peu concernés par sa survie (mais comment le seraient-ils, ayant été victimes d’un tel lavage de cerveau?), Jean Rohou tient le discours typique de l’aliéné. Partout, il nous explique que si la langue bretonne agonise, c’est moins à cause des agressions dont elle a été victime que parce que le français avait sur le breton, comme sur les autres langues régionales, « une supériorité intellectuelles » (p. 59). « Les ruraux étaient en retard ; les langues locales, et surtout le breton, étaient liées aux traditions, au passé » (p. 63), écrit-il encore. Mais la faute à qui ? Pas à la langue bretonne... Celle-ci n’ayant jamais été enseignée, la langue bretonne ne pouvait exprimer d’autres réalités que celles du monde rural, là où on la cantonnait. Rohou qualifie le français de « véhicule des Lumières, de la science, du progrès, moyen nécessaire de l’émancipation intellectuelle et de l’ascension sociale. » (p. 104), de « langue de la modernité » (p. 81), mais comment se fait-il que ce ne soit pas le cas en Louisiane ? Pour s’en sortir, les pauvres paysans arriérés du bayou doivent adopter l’anglais, tout comme les bretonnants ont dû passer au français. Jean Rohou dira-t-il pour autant que le français « était lié aux traditions, au passé » ? « Dans les faits, la langue des ruraux, des marins-pêcheurs, du petit peuple des villes » (p. 70) : forcément, on ne lui a jamais donné le droit d’autre autre chose. Rendue officielle, la langue bretonne se serait développée sur tous les terrains, comme le gallois, dont elle est si proche, aujourd’hui. Elle n’est pas constitutionnellement rurale, pas plus que le français n’est génétiquement libérateur, comme le laisse entendre Rohou : « Agricol Perdiguier veut que le "français se propage" (1854). Car ce menuisier autodidacte, devenu écrivain et député, veut libérer le peuple » (p. 73). Mais on aurait pu le libérer en Occitanie, si ses locuteurs avaient été autorisés à apprendre à le lire et à l’écrire. Ce n’est pas l’occitan ou le breton qui embrument l’esprit des ouvriers, des paysans ou de Jean-Marie Déguignet, dont Rohou évoque aussi la haine pour sa langue maternelle : c’est simplement le fait qu’ils ont dû, par volonté d’État, rester analphabètes dans leur langue maternelle, traumatisme dont ils ne se sont pas remis. Le français étant pour eux la seule référence écrite, la seule possible pour accéder à la culture, à l’Administration, ils ont détesté leur langue maternelle, et l’on combattue eux-mêmes...

Les instituteurs « percevaient – non sans raison – les "patois" comme un handicap en tous domaines » (p. 88), mais cela ne venait pas du « patois » en question : uniquement du fait que, incapables d’écrire leur langue maternelle, ils étaient obligés de passer au français pour exprimer des concepts qu’ils n’avaient pas appris à nommer en breton. Citons encore : les langues régionales, « langages de travailleurs (…) ne permettaient guère les subtilités du cœur et de l’esprit » (p. 88) ; « N’ayant pas, comme le français, bénéficié de siècles de philosophie, de littérature et de vie de salon, le breton était beaucoup moins équipé pour les nuances de la pensée et de l’affectivité » (p. 139, voir encore p. 107). Or, le breton peut tout dire. Pas seulement à coup de néologismes plus ou moins artificiels : tout simplement parce que le vocabulaire affectif, intellectuel et technique a, dans toutes les langues, des racines gréco-latines. « Philosophie » et « télévision » peuvent se dire filosofiezh (outre prederouriezh) et televizion (outre pellwelerezh) en breton comme en anglais ou en espagnol. Les « termes abstraits de la théologie n’avaient jamais existé en breton » (p. 51) mais « théologique » se dit theology en anglais, et peut facilement se dire teologel en breton. Quant à l’affectivité, notion subjective s’il en est, elle n’a pas forcément besoin d’un lexique complexe pour s’exprimer.

On n’en finirait pas de relever les formules de J. Rohou qui abondent dans le même sens, soulignant la joie de passer au français et d’être « si remarquablement promus » (p. 88), promus aux dépens d’une langue qu’on a appris à mépriser, au prix du reniement le plus intime. « Nous avions fait de culture française : c’est elle qui nous a libérés et promus » (p. 134) : c’est là le discours typique de l’aliéné, la « grande idée simple » que dénonçait Morvan Lebesque dans Comment peut-on être Breton ? Les Bretons auraient pu et dû accéder à l’intellect et à la promotion dans leur langue. Elle était parfaitement capable de les y conduire, pour peu qu’on lui en eût donné la chance. Un telle cécité de la part de Jean Rohou étonne, m’invitant à suggérer que reconnaître à la langue bretonne ce qu’on accorde au français détruirait sans doute en lui trop de certitudes, sur lesquelles il s’est construit. Aussi ne devrait-il pas prétendre chercher la « vérité » au nom de la science : il le fait, malgré lui, et en toute bonne foi, au nom « de l’idéologie, qui justifie l’ordre établi », voire « des mythes et légendes, qui correspondent à (s)es désirs » (p. 16).

Cela le mène à de graves erreurs : « C’est à partir de 1945-1950, alors qu’avait cessé la persécution linguistique, que le breton s’écroule » (p. 48, idée reformulée p. 122). C’est faux. La persécution n’a pas cessé : elle a suivi une courbe asymptotique jusque dans les années 1970. Je me souviens d’un petit camarade bretonnant, maltraité par notre maîtresse, à Saint-Sauveur, en 1966-1967. et surtout, les persécuteurs avaient changé : dans les années 1950, les parents prirent massivement le relais des instituteurs et parlèrent français à leurs enfants, interrompant tragiquement le processus naturel de transmission multiséculaire du breton. Persécution « douce », certes, mais terrible : Jean Rohou n’a pas appris sa langue maternelle à ses enfants : il l’écrit, p. 138, sans la moindre trace d’émotion. Mes parents, qui ont son âge, ont fait de même pour moi. Quand on y pense, c’est effarant : jamais une civilisation ne se suicide ainsi aussi spectaculairement. Humiliés, battus à l’école, à l’armée, dans l’Administration, les victimes d’hier les bourreaux inconscients des années 1950. C’est là l’habileté cynique de l’ethnocide perpétré en Bretagne par la France : persuader ses victimes qu’elles en sont les actrices volontaires et conscientes. Jean Rohou ne prononce évidemment jamais les mots « ethnocide » et « aliénation », qui coulent pourtant de source : il n’évoque, et c’est pathétique, l’expression « suicide culturel » que pour la remplacer aussitôt par le mot « émancipation » (p. 130) ! Les Bretons se sont effectivement suicidés, parce qu’on les y a contraints.

Alors, il invoque d’autres raisons pour expliquer le déclin du breton. Elles sont connues, évoquées depuis longtemps par d’autres chercheurs, tels Jean Le Dû ou Fañch Broudic : « Chemin de fer, presse, tourisme, émigration » (p. 76). Mais une langue forte résiste à tout cela. Respecté, enseigné, rendu officiel, le breton n’aurait pas pâti de ces événements, pas plus que le gallois aujourd’hui.

Aliéné, Jean Rohou est fier de l’être : c’est le propre de l’aliéné authentique, persuadé d’avoir sciemment choisi le chemin qui l’amène à déclarer inférieure sa culture d’origine. « Je dois tout à l’école de la république : elle m’a évité une vie difficile et offert une belle carrière où je me suis épanoui » (p. 14). Or, Jean Rohou nous apprend, p. 454, qu’il n’a dû son admission au collège, outre à ses capacités, que parce que le fils de son instituteur y allait, et avait besoin d’un petit copain pour le soutenir... L’école républicaine a avant tout favorisé les bourgeois, destinés au lycée. Les autres fréquentaient le cours complémentaire, comme mon père, pour devenir petits fonctionnaires : Pompidou, Guéhenno ou Rohou sont des exceptions dans cette école élitiste qui a, cela dit, promu des gens qui ne l’auraient pas été cent ans plus tôt, mais à quel prix, Et d’ailleurs, je connais des gens d’extraction modeste qui, en Grande-Bretagne ou en Belgique, sont devenus universitaires : disent-ils qu’ils « doivent tout à l’école de la monarchie » ? Jean Rohou a bénéficié d’un processus d’émancipation qui a touché l’Europe au 20e siècle. La « République » n’y est pour rien. Il lui doit d’avoir renié ses racines et d’en être fier : c’est triste. J’ai entendu dire que Fils de ploucs était l’anti-Cheval d’orgueil. C’est peut-être vrai du premier tome. Mais l’idéologie de Jean Rohou est ici la copie conforme de celle d’Hélias, qu’il critique pourtant, l’ayant trouvé « dédaigneux » (p. 143) quand il a passé devant lui un examen de breton. Chez Hélias aussi on trouve ce sentiment que la langue bretonne, fixée au monde rural, ne pouvait dépasser le cap de la modernité, qu’incarnait le français : « Les deux langues n’ont pas les mêmes outils du fait qu’elles ne travaillent pas sur les mêmes terres. » On a vu ce que j’en pensais. Jean Rohou critique Hélias mais aussi Grall, coupable à ses yeux d’avoir été riche et de ne pas avoir parlé breton : peut-on lui reprocher le premier « défaut » ? Le second est plus gênant, mais il n’est pas facile d’apprendre le breton dans un pays où les locuteurs sont devenus adversaires de leur langue : j’en ai fait l’expérience, il y a trente ans. Parcourant la campagne pour parler breton, je me faisais traiter de Breiz atao... Jean Rohou relève à juste titre les contradictions d’Hélias, « champion du breton » qui a « continu(é), à l’école normale de Quimper, à former des générations d’instituteurs destinés à remplacer cette langue par le français » (p. 137), mais Grall l’avait déjà signalé dans Le Cheval couché ...

Le discours que tient Jean Rohou dans Fils de ploucs n’est pas neuf. Il est même hélas répandu. Il flatte la bonne conscience des Jacobins, dont les exactions paraîtront dès lors minimes. Il soulage les aliénés, qui ne verront pas ici matière à douter. Son livre, attachant et sincère, inspire la sympathie et la désolation. « Enfin mon but principal est de pousser mes lecteurs à réfléchir », écrit-il (p. 16). il m’a fait réfléchir. J’espère que ces quelques lignes le feront réfléchir aussi. A greiz kalon, Jean, ha gant un tamm tristidigezh ivez (Du fond du cœur, Jean, et avec un peu de tristesse quand même...).

Résumé :

Au début du troisième tome de Fils de ploucs, Jean Rohou qualifie d' « absurde et fielleux » un article que Pascal Rannou avait écrit au sujet du tome précédent des mémoires de l'universitaire rennais. P. Rannou répond ici à J. Rohou. Il montre que, alors qu'il prétend sans cesse parler, de manière infaillible, au nom du « réel », contre ceux qui comme Hélias ou Grall vivent dans les « mythes », Rohou parle en fait au nom de ses propres préjugés. Il invoque en effet constamment la « supériorité » du français sur le breton : il fallait, selon lui, passer au français pour être « promus »car le breton ne pouvait exprimer de notions affectives, abstraites et technologiques. Rannou prouve ici que la langue bretonne possède, au contraire, un lexique très riche pour exprimer les sentiments et les concepts ou termes techniques, ces derniers se bâtissant en général à partir de racines gréco-latines, ou de néologismes transparents. On aurait pu promouvoir les Bretons en les instruisant aussi dans leur langue, nullement inapte à dire la modernité

Rohou ne cesse d'exalter la grandeur de l'école de la République française, « égalitaire et démocratique », alors qu'il donne constamment des preuves du contraire : fils de paysan pauvre, il n'aurait, dit-il, jamais dû entrer au collège... Mais une école égalitaire aurait justement dû accueillir en priorité les enfants de prolétaires !

Tout cela, Rannou le dit avec tristesse et respect, sans nul « fiel ». Fils de ploucs 1 a été écrit en réaction au Cheval d'orgueil, de Pierre-Jakez Hélias. Jean Rohou trouve qu' Hélias y donne du passé une vision idéalisée. Ce n'est pas nouveau : Xavier Grall l'avait déjà dit. Mais l’ancien universitaire rennais reproche constamment à Hélias de falsifier le passé, sans jamais apporter de preuves à ces accusations. Il critique Hélias et Le Bris pour leur nostalgie d'un passé où ils ont vécu pauvres, mais heureux, au contact de gens rayonnants. Peut-on le leur reprocher ?

Il clame que les Bretons ont voulu eux-mêmes la disparition de leur langue, sans comprendre qu'ils y ont été obligés par un État qui les a rendus hostiles à celle-ci en les punissant quand ils la parlaient à l'école, en interdisant son usage dans l'administration, en les laissant analphabètes dans une langue maternelle qui est devenu un boulet pour eux. Aussi, chaînon ultime de l'ethnocide, ne l'ont-ils pas transmise à leurs enfants.

Jean Rohou n'a connu que des gens mutiques et fermés, sauf sa mère. Il donne des Bretons de jadis une image très péjorative, comparable à celle de Jean-Marie Déguignet, qu'il admire. Mais l'un comme l'autre confondent bourreaux et victimes. Les paysans bretons n'étaient pas sales et incultes parce qu'ils ne connaissaient que la langue bretonne, mais parce qu’ils étaient privés d'école, de moyens de vie décents et donc d'hygiène. Le breton n'y était pour rien. Beaucoup de paysans francophones ont été pauvres, en France et ailleurs. On aurait pu les instruire dans les deux langues, le breton n'étant nullement, comme le dit Rohou après Hélias, voué par essence à exprimer les éléments du monde rural.

Jean Rohou a des circonstances atténuantes. Il a vécu, enfant, dans un Léon austère, où le clergé interdisait les danses et les plaisirs. Sa famille n'était pas propriétaire de la ferme familiale. Son père était prisonnier de guerre. Mais, contrairement à ce qu'il affirme comme un prof dispense un cours magistral, il prend ses idées – ses préjugés, ses « mythes » – pour des vérités générales.

Dans le tome 1 de Fils de ploucs, il minore souvent avec aigreur les différents aspects de la culture et de la civilisation bretonnes, ainsi que ses figures de proue : Pierre-Jakez Hélias, Michel Le Bris, Morvan Lebesque, Alan Stivell, Hersart de La Villemarqué... Son discours s'adoucit dans le tome 2, où il salue sincèrement les défenseurs du breton, défend Diwan, encourage les néo-bretonnants, se montre ouvert aux néologismes.

Le petit plouc devenu vieux est resté plouc dans l'âme, content d'avoir contribué à détruire sa langue, qu'il estime à tort liée par essence à la ruralité la plus misérable, pour accéder au plus haut sommet de la promotion sociale : un plouc d'orgueil, aliéné et fier de l'être.

Pascal RANNOU, agrégé (1991) puis docteur en littérature pour une thèse sur Tristan Corbière (1998), publiée chez Champion (2006), couronnée par l'Académie française (prix Henri de Régnier, 2007) et rééditée en 2019 (Champion classiques).

Chroniqueur littéraire au "Peuple Breton" de 87 à 96, collabore aussi à "ArMen".Publie chez Skol-Vreizh deux études sur Guillevic (1991) et Corbière (1995), puis "Inventaire d'un héritage", essai sur l’œuvre littéraire de P.-J. Hélias (An Here, 1997), qui fera scandale, l'auteur estimant qu'Hélias a écrit des romans assez mauvais et qu'il n'a pas défendu la langue bretonne comme il le prétend. Mais il y analyse aussi avec minutie et admiration la poésie d'Hélias, son théâtre et le roman "L'Herbe d'or".

Publie aussi trois romans: "Sentinelles de la mémoire" (Coop-Breizh, 1999), "Un Tyran du bocage" (L'Harmattan, 2002) et "Noire, la neige" (Parenthèses, 2008), bio-fiction inspirée de Valaida Snow (1903-1956), trompettiste et chanteuse de jazz à la vie mouvementée ; un recueil poétique: "Les Trajectoires lumineuses" (L'Authenticiste, 1996), ainsi que des nouvelles en français (dans "Hopala!, Les Cahiers de l'imaginaire, Plurial"...) et en breton (Al Liamm, Ya!). Environ 150 articles dans "Bretagnes, Ar Men, Le Peuple Breton, la Revue d’Histoire littéraire de la France, Studi Francesi, Annales de Bretagne, Plurial, Hopala!, Les Cahiers Tristan Corbière"... Enseigne dans divers collèges et lycée de l'ouest, et la stylistique dans quelques universités: Lorient, Rennes 2, Paris 1. Publie chez Yoran Embanner en 2020 La Littérature bretonne de langue française, ouvrage collectif dont il a écrit la moitié, avec le concours d’éminents spécialistes. Ce bilan de 45 ans de réflexions suscite de très bonnes recensions dans Le Poher, ArMen, Le Peuple Breton, L'Obs, Europe, Ya!"... , sur les ondes des radios bretonnes (Radio Kreiz Breizh, Bleu Breizh Izel, Radio Armorique…), et sur le blog de Pierre Assouline, La République des livres : « Bretonne, mais de langue française », par Yann Mortelette. Codirige l’anthologie-manuel "La littérature en langue bretonne", avec Cédric Choplin, Myriam Guillevic, Tristan Loarer (Les Montagnes noires, 2024, à paraître).

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Pascal RANNOU, Études de Lettres à Brest, en prépa au lycée Kerichen (1976-1978), puis à l'UBO jusqu'en 1980. Agrégé (1991) puis docteur en littérature pour une thèse sur Tristan Corbière (1998), publiée chez Champion (2006), couronnée par l'Académie française (prix Henri de Régnier, 2007) et rééditée en 2019 (Champion classiques). Chroniqueur littéraire au "Peuple Breton" de 87 à 96, collabore aussi à "ArMen", "Plurial", les "Cahiers de l'imaginaire", les" Cahiers Tristan Corbière", à de nombreux Actes de colloques... Publie chez Skol-Vreizh deux études sur Guillevic (1991) et Corbière (1995), puis" Inventaire d'un héritage", essai sur l’œuvre littéraire de P.-J. Hélias (An Here, 1997), qui fera scandale, l'auteur estimant qu'Hélias a écrit des romans assez mauvais et qu'il n'a pas défendu la langue bretonne comme il le prétend. Mais il y analyse aussi avec minutie et admiration la poésie d'Hélias, son théâtre et le roman "L'Herbe d'or". Publie aussi trois romans: "Sentinelles de la mémoire" (Coop-Breizh, 1999),"Un Tyran du bocag"e (L'Harmattan, 2002) et "Noire, la neige" (Parenthèses, 2008), bio-fiction inspirée de Valaida Snow (1903-1956), trompettiste et chanteuse de jazz à la vie mouvementée ; un recueil poétique: "Les Trajectoires lumineuses" (L'Authenticiste, 1996), ainsi que des nouvelles en français (dans "Hopala!", Les "Cahiers de l'imaginaire", "Plurial"...) et en breton ("Al Liamm"," Ya!"). Enseigne dans divers collèges et lycée de l'ouest, et la stylistique dans quelques universités: Lorient, Rennes 2, Paris 1. Publie chez Yoran Embanner en 2020 "La Littérature bretonne de langue française", ouvrage collectif dont il a écrit la moitié. Ce bilan de 45 ans de réflexions suscite de très bonnes recensions dans "Le Poher", "ArMen", "Le Peuple Breton", "L'Obs", "Europe", "La république des livres" (blog de Pierre Assouline)... et sur les ondes des radios bretonnes.
[ Voir tous les articles de Trikamar éditions]
Vos 22 commentaires
Anne Merrien Le Vendredi 16 février 2024 18:36
Les gens confondent référendum et consultation. Si c'est ça la supériorité de la langue française...
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T. Gwilhmod Le Vendredi 16 février 2024 20:46
Formidable critique, très longue (on peut parler d'un livre que cet article !), mais ô combien intéressante. Merci pour cette mise au point, cette dénonciation d'une oeuvre qui nous caricature.Il fallait le faire : Trugarez vras deoc'h a galon.
Quelques notes :
- Jean Rohou ne sait pas écrire "Feiz ha Breiz", il écrit "Feizh ha Breizh" il met des zh partout : Feiz s'écrit sans h. C'est du mépris pour notre langue.
- l'écriture admise aujourd'hui par tous (sauf par le crypto comuuniste Fanch Broudig et le prêtre de gauche Job an Irien) n'est pas le KLT mais le KLTG (G pour le vannetais) dite peurunvan ou ZH.
- Le Cheval d'orgueil a été traduit aussi dans une quatrième langue : le breton, par PJ Hélias lui-même. Il a prétendu même avoir écrit certains passages directement en breton.
- sur Per Denez j'ai découvert avec étonnement ce qu'il affirme à la fin de son livret (peut-être le premier qu'il ait écrit) vers la fin de la guerre : "Korf an den". Mais c'était une opinion largement partagée à l'époque. Ce serait abusif de l'accuser d'avoir été 'collabo' pour si peu.
(2)  Envoyer un mail à T. Gwilhmod
De Pascal Rannou à T. GwilhmodLe Vendredi 16 février 2024 21:30
Trugarez! C'est vrai, j'aurais dû écrire KLTG. Hélias disait qu'il allait du breton au français, et réciproquement. Cet article serait volontiers un livre, mais tous les éditeurs bretons l'ont refusé...Merci à l'ABP!
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Didier Jégou Le Vendredi 16 février 2024 21:00
Je pense qu'il y a une petite erreur concernant Per Jakez Helias: son compère dans "Jakez Kroc'hen et Gwilhou Vihan" sur radio Quimerc'h n'était pas Charlez ar Gall mais Pierre Trepos...
(0)  Envoyer un mail à Didier Jégou
De Pascal Rannou à Didier JégouLe Samedi 17 février 2024 18:32
Gwir eo: digarezit! Je le savais, mais Pascal(zheimer) me guette...
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De Pascal Rannou à Didier JégouLe Samedi 17 février 2024 18:32
Gwir eo: digarezit! Je le savais, mais Pascal(zheimer) me guette...
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Naon-e-dad Le Vendredi 16 février 2024 23:10
P-J Hélias a fini par publier "Marc'h al lorc'h", la version bretonne du "Cheval d'Orgueil" , ce qui parait judicieux. (A transcoder en "peurunvan", pour en favoriser l'accès à un lectorat contemporain et futur...?.)
.
.Jean Rohou a-t'il fait de même avec "Fils de plouc"? Sinon pourquoi? Il nous montrerait ainsi quel breton il pratique, ce qui est toujours utile et intéressant.
Quelqu'un qui parle du breton est nécessairement plus crédible, si parallèlement il livre son témoignage également dans la langue qu'il annonce être sienne. Cela l'aurait peut-être aidé à lever certains préjugés dont il fait montre...?
N'am eus ket e lennet, betek henn. Gwelloc'h eo din soñjal en un dazont yac'h evit ar re a gar hon yezh...
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Laurent Le Bloa Le Dimanche 18 février 2024 02:54
Très belle, et complète, critique de Pascal Rannou
J'ai vu il y a bien longtemps les livres de Jean Rohou en rayon d'une grande surface. Le titre m'a rebuté, les articles qui leur étaient consacrés et quelques autres, avaient fini par me convaincre de ne pas les acheter. Cette chronique met les derniers clous au cercueil.
C'est le genre de livre qui suscite en moi de la colère. Jean Rohou n'est pas le fils prodigue qui retourne chez lui, dans tous les sens du terme. Jean Rohou appartient à une catégorie de personnes de certaines générations à qui ont devrait demander "Qu'as tu transmis de l'héritage des anciens?" Et bien rien, pas la langue en premier lieu, ni non plus le reste.
Pascal Rannou raconte dans sa critique la honte de soi,l'auto-dénigrement, lot de beaucoup pendant longtemps. Alors à quoi bon lire Jean Rohou mettre son reniement en exergue? Si ce n'est pas exprimé avec fierté, c'est en tout cas parfaitement assumé.
Je n'en veux pas à nos anciens qui ont choisi des expédients en espérant le meilleur pour leurs enfants. Ils ont au moins transmis la colère de leur condition sociale, parfois d'exils forcés, qui auront été en fin de compte, la ressource qui a ranimé les braises..
Jean Rohou avait les capacités intellectuelles et l'aisance sociale. Qu'en a t'il fait? Pour la
Bretagne, rien!. Il vient et prêche le renoncement: Le monde d'hier est révolu et il en serait le dernier représentant.
Pourquoi Jean Rohou dénigre le breton moderne soit-disant artificiel, avec l'argument d'un manque d'authenticité ou de terroir? Risible quand on sait que le français contemporain s'élabore aujourd'hui pour son lexique comme sa grammaire, de l'autre côté de l'Atlantique et de la Méditerranée.
Ropartz Hemon avait montré qu'il était possible de rebâtir une langue sur des terres brûlées. Celestin Lainé animé par la colère du déracinement imposé par la République avait répondu par une profession de foi en publiant son manuel de géométrie en langue bretonne. S'il y a un débat à avoir sur la langue bretonne, c'est comment elle doit réinvestir l'espace public et ne pas rester circonscrite à des milieux militants.
Les livres de Jean Rohou sont faits avant tout pour justifier et servir une idéologie qui appartient à un passé révolu et sans avenir.
Il faut rappeler que dans les années 70 il a fallut se construire dans un monde hostile, parfois chacun dans son coin, pour mettre à jour ce qui n'avait pas droit de cité, était réprouvé si ce n'est interdit.
(3)  Envoyer un mail à Laurent Le Bloa
françois de Beaulieu Le Dimanche 18 février 2024 06:36
J’ai lu avec plaisir le grand article qui manquait sur Rohou. J’avais oublié presque tout ce qui m’avait énervé à le lire. J’ai retrouvé ma mémoire et bien plus. J’ai beaucoup apprécié les nuances et je souhaite à tout auteur de bénéficier d’une relecture aussi éclairante sans être injuste, excessive ou bâclée. On manque de débats argumentés.
Je ne reviendrai que sur un point, bien repéré. Rohou écrit « Mais le lexique ? N’ayant pas, comme le français, bénéficié de siècles de philosophie, de littérature et de vie de salon, le breton était beaucoup moins équipé pour les nuances de la pensée et de l’affectivité. » C’est là que j’avais failli refermer le livre : une amie avait fait son mémoire de maîtrise à l’UBO sur le vocabulaire des sentiments. Rien qu’en interrogeant sa grand-mère, elle avait aligné 800 mots (c’est le chiffre que j’ai en mémoire – sans garantie)… Rohou met en avant « des siècles de vie de salon ». Il oublie les millénaires de vie de cheminée… Nous avons connu la richesse humaine qu’ils ont produite…
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françois de Beaulieu Le Dimanche 18 février 2024 06:36
J’ai lu avec plaisir le grand article qui manquait sur Rohou. J’avais oublié presque tout ce qui m’avait énervé à le lire. J’ai retrouvé ma mémoire et bien plus. J’ai beaucoup apprécié les nuances et je souhaite à tout auteur de bénéficier d’une relecture aussi éclairante sans être injuste, excessive ou bâclée. On manque de débats argumentés.
Je ne reviendrai que sur un point, bien repéré. Rohou écrit « Mais le lexique ? N’ayant pas, comme le français, bénéficié de siècles de philosophie, de littérature et de vie de salon, le breton était beaucoup moins équipé pour les nuances de la pensée et de l’affectivité. » C’est là que j’avais failli refermer le livre : une amie avait fait son mémoire de maîtrise à l’UBO sur le vocabulaire des sentiments. Rien qu’en interrogeant sa grand-mère, elle avait aligné 800 mots (c’est le chiffre que j’ai en mémoire – sans garantie)… Rohou met en avant « des siècles de vie de salon ». Il oublie les millénaires de vie de cheminée… Nous avons connu la richesse humaine qu’ils ont produite…
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kris braz Le Dimanche 18 février 2024 11:16
Rohou : "Laissez bronzer les cadavres", comme le dit le titre d'un roman de Jean-Patrick Manchette.
(0)  Envoyer un mail à kris braz
krys 44 Le Dimanche 18 février 2024 13:13
Une génération sépare Rohou de Jakez Hélias .
Ils sont issus de "milieux" différents , agricole de l'intérieur pour l'un , agricole du bord de mer pour l'autre .
Ils ont "dit" leur Bretagne , chacun dans son vécu , vécus très similaires de celui d'une grande partie des Bretons qui ont aimé une autre langue et qui ont dû trouver un emploi leur permettant une vie meilleure que celle tellement dure de leurs parents.
Ils ont commencé d'apprendre le français à un âge auquel ils n'étaient pas en mesure de réfléchir au fait qu'on leur imposait l'apprentissage d'une langue étrangère,ni la connaissance suffisante de leur langue maternelle pour en connaître toutes les nuances et variantes ...
N'oublions pas non plus les émissions de radio en breton que faisait PJ Helias pour les Bretons exclus de toute information puisque souvent illettrés dans les campagnes et ne comprenant pas autre chose que le breton oral . Née en 1953 , j'en ai connus dans les hameaux !
Désolée de vous dire que KLT ou KLTG , le plus important restera de parler un breton autre que celui hors sol issu d'un décorticage du breton , sans les intonations , les expressions , ... tout ce que sont les fondements d'une langue . Les "native speakers" ont raison de toutes façons !
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De Pascal Rannou à krys 44Le Dimanche 18 février 2024 17:02
Bonjour, Ils " ont aimé une autre langue", dites-vous: forcément, c'était la seule qu'on leur imposait pour accéder à l'instruction et à la promotion... Leur aurai-t-on permis d'apprendre à lire et à lire en breton qu'ils l'auraient "aimé" tout autant... Ils n'ont pas eu le choix! Ils ont dû "trouver un emploi leur permettant une vie meilleure que celle tellement dure de leurs parents.: le breton n'était pas responsable, comme l'écrit Rohou, de la misère rurale, que d'autres vivaient en parlant français, en Suisse, en Louisiane, ou dans l'Ouest français. Et, comme je l'écris, les parents de cette génération n'ont pas tous eu une vie dure:mes grands-parents étaient paysans dans une ferme où ils vivaient bien, même en travaillant beaucoup. Rohou prend son cas pour une généralité. " Ils ont commencé d'apprendre le français à un âge auquel ils n'étaient pas en mesure de réfléchir au fait qu'on leur imposait l'apprentissage d'une langue étrangère,ni la connaissance suffisante de leur langue maternelle pour en connaître toutes les nuances et variantes ...":certes, mais une fois parvenus à l'âge de raison, leur intelligence s'étant développée grâce à l'instruction, ils auraient pu comprendre qu'on leur avait imposé le français en leur faisant combattre leur propre langue, alors qu'on aurait pu les alphabétiser dans les deux. Hélias et Rohou l'admettent, d'ailleurs (lisez-moi), mais Rohou dit une chose et son contraire... Les émissions de radios données par Hélias comprenaient des sketches qui amenaient les Bretons à se moquer d'eux-mêmes: j'ai entendu, enfant, ces bécassinades. Quant au breton "hors sol", Rohou le critique dans FP1 puis le défend dans FP2... Les élèves de Diwan sont aussi des "native speakers". Et on peut parler un breton bien accentué en l'écrivant en KLTG...
(3)
Anne Merrien Le Dimanche 18 février 2024 18:13
L'instruction et l'ouverture d'esprit, ce n'est pas la même chose. On peut s'instruire avec des œillères. La pensée de monsieur Rohou semble évoluer favorablement d'un tome à l'autre. Comme son argumentation était truffée d'idées reçues, il a forcément rencontré la contradiction. S'il commence à sortir de son conformisme confortable, ses lecteurs le feront aussi.
(0) 
krys 44 Le Dimanche 18 février 2024 20:29
Ils auraient ils auraient ils auraient ... Peut-être ?
Et alors , ça n'a rien à voir avec mon propos . Les niveaux d'instruction étaient très différents et il leur avait été appris à mépriser leur langue , souvent violemment . Souvent aussi dû à la simple connerie humaine , de la part de gens qui n'avaient pas eux non plus un niveau bien élevé . Quant à la dérision d'Helias envers eux-même et donc lui-même , ce n'était sans doute pas à prendre au 1er degré . Bécassine et fière de l'être , l-e-a Plouc vous emmerde !
Je suis en cours de lecture de "Fils de Plouc" ...
(0) 
De Pascal Rannou à krys 44Le Lundi 19 février 2024 09:54
Votre propos est aussi confus que votre anonymat est courageux. Les élèves de jadis, opprimés à l'école, auraient aimé le breton: en général, on aime ce qui est proposé comme modèle, surtout unique, comme le français à l'école. "Il leur avait été appris à mépriser leur langue, souvent violemment": ni Hélias, ni Rohou, ni moi ne disent le contraire: mais là où les deux premiers s'y sont résignés comme à une destruction nécessaire, moi et mes autres lecteurs se révoltent face à cet ethnocide. Quelle "connerie humaine" de la part des instituteurs? Votre raisonnement est un peu court! Ils ne faisaient qu'appliquer les consignes de L’État français, dont l’intelligence cynique a transformé les victimes en bourreaux. Du 2ème degré, dans les farces de Jakez Kroc'henn et Gwilioù Vihan? C'est faire bcp d'honneur à ces pochades que d'envisager cette hypothèse... Ils savaient qu'ils amenaient les bretonnants à se moquer d'eux-mêmes et à cultiver leur complexe de ploucs, comme Rohou quand il joue du théâtre en breton, déguisé en vieillard chafouin... Vous lisez FP? Bonne nouvelle! Mon étude lui aura apporté un lecteur de plus...
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Naon-e-dad Le Lundi 19 février 2024 12:40
@Krys44
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« Ils ont commencé d'apprendre le français à un âge auquel ils n'étaient pas en mesure de réfléchir »
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Vous parlez-pour-vous?
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Nous sommes très exactement de la même génération et je ne peux laisser passer pareille assertion sans réagir. Au nom du VECU, je m'inscris en faux contre votre idée.
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Je pourrais décortiquer et argumenter.
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Ne prenez pas les enfants d'âge scolaire pour des imbéciles. On peut être lucide et n'avoir aucun pouvoir sur la réalité sociale (je devrais dire politico-sociale) qui s'impose à vous...Réalité (de la non-transmission), qui n’est pas normale…
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Que le français soit utile, nul n’en disconvient. Tout comme d’’autres langues à périmètre bien plus vaste encore (anglais, espagnol, portugais, pour s’en tenir aux langues européennes…). Que le breton soit inutile, cette une triste et vaste blague…qui ne peut germer que dans des têtes qui se refusent à réfléchir sérieusement…. Là aussi je pourrais argumenter…
.
Vous avez cependant raison sur un point la phonologie, qui reste à travailler, mais peut aussi peut se récupérer si on le souhaite vraiment..... .
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Une langue, ça se travaille (c'est précisément se ce que Rohou prend comme argument vis-à-vis du français, une langue construite). Quant au breton « standard » (KLT ou KLT comme vous dites un peu vite, confondant graphie et langue) n'est pas du tout hors-sol. Vous avez raison de poser la question. N’oublions pas non plus que le breton a parfois une diversité de vocabulaire courant que n’a pas le français. Mais sous l'écrit vous redécouvrirez vite ce que vous avez entendu de manière parfois altérée (car une langue peut aussi s’effilocher, si elle n’est pas enseignée), dans votre enfance. C’est en tout cas ce que je vous souhaite, ce que je « nous » souhaite à tous ceux qui sont nés sur la génération de la rupture……
.
Le plus important, apprendre, et parler. Ar pep pouezusañ : deskiñ ha komz (pregañ evel ma vez lâret e Kerne-Su).
(0) 
krys 44 Le Lundi 19 février 2024 18:41
Ne vous faîtes pas d'illusion , j'ai commencé avant votre communication ! Je l'avais trouvé à 2 euros , en décembre , lors d'une vente au profit d'Amnesty International . Je le trouve très ennuyeux !
Je vous suggère de vous renseigner près de spécialistes d'Ar Falz , par exemple JC Le Ruyet ... Que des gens en soient encore à mélanger linguistique et politique est désolant !
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kris braz Le Mardi 20 février 2024 20:40
"Ils savaient qu'ils amenaient les bretonnants à se moquer d'eux-mêmes…"
La capacité raffinée des opprimés à rire de soi me semble justement celle qui manque aux Bretons, surtout à l'heure actuelle. (En témoigne par exemple la réaction indignée de certains lecteurs à la traduction du chef-d'œuvre d'humour noir de Flann O'Brien The Poor Mouth).
Il est vrai qu'on méritait mieux que Jakez Kroc'hen mais au moins les gens rigolaient ; et que PJH, à la différence de JR, nous a au moins laissé (Cheval et Les autres et les miens) des témoignages - bien écrits - d'une culture riche et autrement plus excitante… une génération plus tard il est vrai.
(1)  Envoyer un mail à kris braz
G Kerouanton Le Mercredi 21 février 2024 18:27
Ces débats sont nécessaires et on peut remercier tous ceux qui y ont contribué. Pour mémoire, le combat pour la langue continue: création de nouveaux sites bilingues, plus nombreux que les fermetures - création imminente d'un collège Diwan en ille et Vilaine - ouverture d'une filière pro bilingue à Carhaix (Animation enfance et personnes âgées , pour commencer).
Pour ceux que ça intéresse: allez voir sur ''Brezhoneg21" le Dictionnaire breton des sciences et techniques: plus de 3000 pages, si on associe le côté breton et le côté français. En respectant le breton populaire, et en tenant compte de l'évolution mondiale des sciences dominées par l'anglais, mais on n'y peut rien. Taper '' geriadur klok"" pour avoir le déroulé complet de tous les termes du dictionnaire;
(3)  Envoyer un mail à G Kerouanton
Christian Rogel Le Jeudi 22 février 2024 00:09
Article (ou essai) très intéressant et très pertinent. Il y aurait une thèse à faire sur cette minorité de brittophones qui se sont interdit de déployer une langue qu'ils maîtrisent.
Ils idéalisent le niveau de la langue de jeunesse, non sans torsion intellectuelle : Hélias était allé bien au-delà du niveau de sa langue, mais se serait interdit de faire de la critique littéraire, par exemple. Il aurait risqué qu'on le prenne au(x) mot(s) et l'accuse de "trahir".
Petite critique très légère : en réalité, le breton a, quelque part, plus de 80% de l'arsenal de mots nécessaire à des expressions philosophiques ou scientifiques (voir Wikipedia br) , car grâce l'impulsion de Vallée, Mordiern et Esnault, "nous savons faire". Ne manque "que" (euphémisme) les opportunités, les lieux de recherche et surtout le désir en action.
(2)  Envoyer un mail à Christian Rogel
Christian Rogel Le Jeudi 22 février 2024 17:13
Article (ou essai) très intéressant et très pertinent. Il y aurait une thèse à faire sur cette minorité de brittophones qui se sont interdit de déployer une langue qu'ils maîtrisent.
Ils idéalisent le niveau de la langue de jeunesse, non sans torsion intellectuelle : Hélias était allé bien au-delà du niveau de sa langue, mais se serait interdit de faire de la critique littéraire, par exemple. Il aurait risqué qu'on le prenne au(x) mot(s) et l'accuse de "trahir".
Petite critique très légère : en réalité, le breton a, quelque part, plus de 80% de l'arsenal de mots nécessaire à des expressions philosophiques ou scientifiques (voir Wikipedia br) , car grâce l'impulsion de Vallée, Mordiern et Esnault, "nous savons faire". Ne manque "que" (euphémisme) les opportunités, les lieux de recherche et surtout le désir en action.
(0)  Envoyer un mail à Christian Rogel
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