Avec ce nouveau roman, Bernard Rio nous surprend : celui qui nous avait davantage habitué à des ouvrages documentaires signe ici son quatrième roman : "Je cumule les deux genres", expliquait-il à l'ABP lors du festival de Carhaix, "j'aime le roman et c'est une liberté, une bouffée d'oxygène".
Dans un mode post moderne, le contrôle est aux mains des médecins. Sous couvert d’assurer la sécurité de tout un chacun et le bien-être collectif, la surveillance des individus est poussée à l’extrême : des déplacements jusqu’aux émotions, en passant par le temps de sommeil et l’activité hormonale, rien n’échappe à la nouvelle élite. Plus de place au destin individuel ni à la créativité. Même le fait d’enfanter nécessite l’obtention d’une autorisation.
L’individu se soumet docilement, persuadé qu’il est nécessaire et indispensable de se laisser guider par les vainqueurs d’une guerre traumatisante, tout juste achevée… A l’exception d’une fois par an cependant, quand l’ours sort de son hibernation : il est alors possible de s’enivrer, de jouer et de danser, à l’occasion d’un carnaval de plusieurs nuits, où les pitreries des uns servent de catharsis aux autres. Un des ultimes vestiges d’anciennes croyances populaires, décriées et condamnées par les nouveaux dirigeants de cette période d’après-guerre, qu’il semble pourtant impossible d’éradiquer totalement.
La Létavie, territoire de ce Nouveau Monde, nous est décrit comme entouré de mer, et dirigé comme tous les autres par Urbi, capitale absolue et centralisée. La nature y est soit sanctuarisée, soit sur-domestiquée et exploitée… selon ce qui arrange le pouvoir, « gardien de l’intérêt général » au détriment du bon sens.
Un jour pourtant survient ce que personne n’avait pu prévoir, anticiper ou projeter. La résurgence d’un dieu oublié.
Plus d’avenir ni de passé, seulement neuf mois qui s’écoulent pour refermer un cercle. Une jeune femme qui peut tisser le temps à la manière des prêtresses, trois autres qui l’entourent et la protègent dans son rôle à venir.
Bernard Rio joue avec les mots, leur sonorité, leur sens, s’amuse des expressions, les triture et les détourne. Dans une prose côtoyant régulièrement la poésie, on entrevoit des inspirations très celtiques, empruntées aux Mabinogion ou au Cad Goddeu de Taliesin, truffées de métaphores.
Récit fantastique dans lequel les mondes des hommes et des dieux s’entrelacent, s’effleurent à peine. Et dystopique aussi, qui raisonne étrangement en ces temps de troubles sanitaires…
Un livre que j'ai terminé en 2019, donc avant l'épidémie de coronavirus et la dictature sanitaire qui s'est installée ensuite. Je me suis rendu compte que ce que j'avais écrit était en train de se réaliser.
Malgré les repères chronologiques perturbés, l’on perçoit aisément une Bretagne (Létavie), perdante et asservie, continuant à vivre malgré tout, grâce à ses mythes et ses réflexes païens, perpétuant une tradition essentielle, sans trop savoir pourquoi. Une lueur d’espoir en filigrane tout au long du roman, décrivant un monde gris et désenchanté, qui finit par se transformer en brasier.
Telle la nature qui reprend ses droits, la spiritualité rattrape les hommes… au nom de la liberté.
A propos de l'auteur :
Bernard Rio est breton, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, collaborateur dans de la presse magazine, spécialiste du patrimoine et de l’environnement. Un dieu sauvage est son 4ème roman.
Editeur :COOP BREIZH
Auteur: BERNARD RIO
Parution: 2020-10-14
Un dieu sauvage