Une semaine après la conférence-débat à Auray organisée par les Soulèvements des Pierres ( voir notre article ), nous avons rencontré Christian Obeltz, le technico-leader du combat des citoyens qui cherchent à savoir pourquoi et comment ces menhirs ont pu être détruits.
Il ne lâchera rien.
[ABP] : Vous assurez que les menhirs détruits de Montauban étaient de vrais menhirs. Vous pouvez nous en faire la démonstration ?
[Christian Obeltz] : Voilà une trentaine d'années, Dominique Sellier, géomorphologue de l'université de Nantes, publia une série d'articles dans des revues scientifiques. Pour la première fois, ce chercheur nous donnait de précieux outils d'analyse de la morphologie des menhirs : comment distinguer les anciennes faces "d'affleurement" des faces dites "d'arrachement", les caractéristiques de l'érosion qui affecte ces monolithes depuis des millénaires, etc... Depuis, cet auteur a publié de nombreux autres articles sur ce thème, et plus récemment un gros ouvrage intitulé "les champs de menhirs de Carnac".
Les critères avancés par la DRAC sont donc faux
Aujourd'hui, ce sont ces critères qui sont utilisés par tous les archéologues pour discriminer les blocs naturels, ou d'extraction récente, des authentiques menhirs. C'est d'ailleurs sur les bases de leur géomorphologie que Stéphan Hingant, l'archéologue de l'INRAP qui découvrit ce site en 2015, se décida à en fouiller un. Cela s'avéra positif puisqu'un percuteur en quartz, ayant servi à la mise en forme du menhir, fut découvert à sa base. La fouille n'est donc plus l'élément principal pour identifier des menhirs. L'écrasante majorité des menhirs formant les 500 "champs de menhirs" connus en Bretagne sont d'ailleurs couchés et n'ont fait l'objet d'aucune fouille. C'est l'étude de leur géomorphologie, et parfois de leur nature géologique différente de celle du substrat rocheux, qui sert à les identifier. Les critères avancés par la DRAC pour chercher à minimiser la destruction du site de Men-Guen-Bihan, à Carnac, sont donc faux et ne tiennent manifestement pas compte des travaux des géomorphologues. Sans doute est-il probable que la DRAC de Bretagne a dit ce que le ministère parisien lui avait ordonné de dire...
Par ailleurs, c'est cette file de menhirs qui a manifestement donné le nom de Men-Guen-Bihan à la parcelle cadastrale, preuve de l'ancienneté de ce site.
Des files qui parlent
Ensuite, une large majorité des files de menhirs connues sur la côte partent d'une zone basse et humide (marais, ruisseau...) pour se diriger vers une crête rocheuse. Or, c'était exactement le cas de ce site de Men-Guen-Bihan. Cette file de petits menhirs cochait donc toutes les cases : toponymie, topographie, géomorphologie, et mobilier archéologique. En conséquence de quoi, nous pouvons dire que c'est le mur qui avait été ajouté à une file de menhirs pré-existante, et non l'inverse. C'est d'ailleurs quelque chose de courant sur la côte morbihannaise, et ce défunt site est loin d'être un cas isolé.
[ABP] : Vous n'êtes pas seuls à le dire, je crois ?
[C.O.] : Absolument, les archéologues travaillant au projet UNESCO avaient d'ailleurs retenu ce site pour être classé. Par ailleurs, Ouest France a mené une enquête auprès des archéologues professionnels : tous étaient d'accord avec moi, comme l'indique un article qui fut publié le 14_Juin 2023 https://www.ouest-france.fr/culture/patrimoine/menhirs-detruits-a-carnac-apres-lemballement-la-necessite-dune-mise-au-point-journalistique-fcd75cf8-09c8-11ee-9bb1-5bd217959d48 .
[ Extrait de l’article, ajout de la rédaction : « ils (les archéologues contactés par Ouest-France) ne peuvent pas prendre la parole, contraints par leur devoir de réserve et leurs liens avec la Drac ».]
C'est d'ailleurs sans doute pour cela que le ministère de la Culture leur a explicitement demandé de se taire ! Pourtant l'archéologue Stéphan Hinguant a tout de même évoqué ce douloureux sujet, non dans la presse, mais un récent rapport de sondage archéologique : « Malheureusement, à peine huit ans après sa découverte, ce site vient d'être totalement détruit par les travaux d'aménagement d'un futur magasin de bricolage et, en l'absence d'une fouille préventive faisant suite au diagnostic de 2015, les données inestimables qu'il pouvait receler sont irrémédiablement perdues. » (S.Hingant, Parc d'Activités du Montauban, 3 rue Gallo-Romaine. INRAP Grand Ouest, juin 2023, p.36)
[ABP] : Comment peut-on laisser faire une telle destruction en période de constitution d'un dossier pour inscrire les sites de Carnac au Patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco ?
[C.O.] : C'est sans doute LA bonne question ! et j'espère que l'enquête menée par la gendarmerie de Lorient permettra d'y répondre. Mais l'on peut d'ores et déjà remarquer que, en dehors de quelques sites prestigieux, susceptibles d'attirer des touristes, et donc de l'argent, le reste du patrimoine breton ne semble guère intéresser nos élites jacobines.
Le scandale de la destruction annoncée de l'ancien Manoir de Bouvron, en Loire-Atlantique, est d'ailleurs particulièrement révélateur de ce mépris.
« Pouvoir et intelligence sont des choses totalement incompatibles »
Á Bouvron, on rase un manoir pour y construire une supérette ( voir notre article ) ; à Carnac, on rase une file de menhirs pour y construire un Monsieur Bricolage, le seul tort de ces deux sites étant sans doute de ne pas être parisiens ! « On n'a tout de même pas détruit la Joconde ! », s'exclama le Maire de Carnac. A lire ces propos consternants, on comprend mieux pourquoi Albert Einstein nous disait que « pouvoir et intelligence sont des choses totalement incompatibles, si ce n'est de façon épisodique et fugace ». Ces deux qualificatifs ne semblent manifestement pas concerner cet élu.
[ABP] : M. Lepick, président de l'association Paysages de mégalithes, par ailleurs maire de Carnac (oui-oui), qui a signé le permis de construire de Mr Bricolage (et donc de détruire le muret aux menhirs) a récemment dit que 60 sites de menhirs non classés étaient en zone constructible, et que suite à la plainte déposée, il reconnaissait qu'il y avait effectivement des "trous dans la raquette". Est-ce un début de mea culpa ?
[C.O.] : Je ne sais pas, mais cela montre en tout cas qu'un scandale médiatique peut avoir des conséquences heureuses. Imaginons un peu le carnage patrimonial si je n'étais pas intervenu, et si les journalistes n'en avaient pas parlé...
[ABP] : Qu'attendez-vous des plaintes déposées par Sites et Monuments, Koun Breizh et l'Umivem (groupement de 46 associations) ?
[C.O.] : Tout d'abord, je félicite chaleureusement ces trois associations pour cette initiative, et quelle que soit l'issue de l'enquête de la gendarmerie de Lorient, il faudra absolument la médiatiser. Les malotrus qui massacrent notre patrimoine doivent savoir que nous en avons assez de voir notre histoire détruite, niée, et au final, remplacée par des supermarchés. Leur seule peur, c'est la pression médiatique ; en conséquence de quoi, il ne faudra pas hésiter, et continuer de leur mettre la pression si le besoin s'en faisait à nouveau sentir.
Aimé Césaire nous disait : « Un peuple sans histoire est un peuple sans avenir ».
Alors ne lâchons rien, et bâtons-nous pour conserver notre patrimoine et notre Histoire.
[ABP] : Christian Obeltz, nous vous remercions. Nous continuerons à suivre votre combat et oui, nous relaierons
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