Souvent l'histoire est moche. Mais la connaître permet de comprendre un peu mieux le présent et, parfois, de refonder l'avenir.
Le premier président de la troisième République, Adolphe Thiers, (note 1) a du sang sur les mains. Ce petit personnage voyait grand et domina ses contemporains par ses qualités de chef. En politique, ce fut essentiellement un opportuniste et sur le plan humain, un misérable. En 1871, un tiers des députés bretons s'opposèrent à son élection comme président de la République.
Certes, entre la Commune de Paris et Versailles on ne pouvait s'entendre, dans le chaos et la honte de la défaite. Il fallait qu'un parti l'emporte, et ce fut Versailles et Thiers, les bourgeois et non les ouvriers. Mais devait-on ajouter l'horreur à la victoire ?, 3000 morts les armes la main du côté des fédérés, 10 000 peut-être, fusillés hâtivement aux coins des rues, y compris femmes et enfants. Le pardon était possible pourtant, après que la ville de Paris fut reprise, mais "Mr Transnonain" (note 2) ou "Foutriquet", voulait un massacre, comme il le proposait déjà en 1848.
Pour retenir l'épée d'Adolphe, cet archange Michel, prince de la "milice" céleste et versaillaise, les voeux pieux et les homélies ne furent guère audibles et les "valeurs chrétiennes" restèrent en suspens. A défaut d'empêcher, on expie, c'est ce qu'on fit en édifiant le Sacré-Coeur de Paris. Le Grand-Orient tenta de fléchir Thiers, sans succès. Le journal "les Côtes-du-Nord" écrit en vain "il n'est pas possible … que le gouvernement rejette toute ouverture pratique de pacification". Tout fut inutile.
Mon trisaïeul, médecin, bourgeois et républicain, fit un feu d'artifice et feu de joie, à la mort de Thiers, après avoir vu les horreurs de la répression parisienne, aux commandes de son ambulance.
Mais laissons cet homme piteux.
L'histoire est un théâtre d'ombres. Dans l'histoire, il y a une vie après la mort. Des Bretons, parmi ses ombres, se sont trouvés, durant la guerre de 70; puis dans la Commune, et chez les Versaillais, des deux côtés des barricades. Marins souvent, ils seront, avec leurs canons, "l'élément le plus sûr et le plus solide de la défense de Paris", selon l'ennemi; Cf Charles des Cognets. Parmi les troupes, mobilisées lors de la défense de Paris, il y eut 25000 Bretons, soit 22% des effectifs !
Charles des Cognets dans "Les Bretons et la Commune de Paris, 1870-1871", a dressé le portrait de tous ces hommes et femmes, ces Bretons qui, une fois de plus dans l'histoire de France (source 1), furent aux premières loges, pour le pire et le meilleur. Et j'aime à croire que dans l'ensemble, ils n'ont pas chéri la gloire aux prix du déshonneur.
Voilà le Breton Jules Trochu, Président du gouvernement de la Défense nationale, contempteur des erreurs passées. Il ne brille pas lors du siège de Paris, et même déçoit. "Trop chu", dira Hugo !, "des phrases et voilà tout", dira Lucas. Le Breton Emile de Kératry, détracteur de Bazaine, préfet de police de Paris, chef de l'armée de la Loire, commandant du camp de Conlie. Il n'eut pas le courage de contrarier les fantasmes de Gambetta qui se méfiait des" chouans" et qui lui fit savoir "je vous conjure d'oublier que vous êtes Breton …" !
Kératry à ses troupes, "vous recevrez exactement tout ce qui est nécessaire" ! Il laissa pourrir son armée dans la fange, le froid, l'inactivité, la suspicion, des conditions effroyables avant de laisser mourir ses Bretons dépenaillés et mal équipés dans une bataille funeste, celle du Mans (note 5 et source 4). Gambetta, ce Bonaparte des mots, ballonné de discours, et Kératry, portent une lourde responsabilité dans la tragédie de Conlie. Le (néo) Breton Jules Simon, (note 3) homme de talent, humaniste, grand intellectuel, ministre de l'Instruction publique, futur président du conseil, qui écrit "Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple. S'il ne l'est pas aujourd'hui, il le sera demain". Le Breton Boulanger, futur "général revanche", qui crut saisir le capitole … mais les Bretons font de mauvais dictateurs. Adolphe Le Flô, ministre de la guerre, dépassé par les évènements. L'Auvergnat et nantais, jules Vallès, communard, auteur inoubliable d'une trilogie fameuse que tout collégien devrait lire, l'un des meilleurs écrivains du siècle. Le Breton Alphonse Guérin, inventeur du pansement. Le Breton Hyppolite Lucas, auteur prémonitoire de "Histoire des guerres civiles", qui resta à Paris pour protéger la bibliothèque de l'arsenal.
Mais derrière ces figures connues sont aussi des hommes et femmes émouvants de courage et de convictions. Le communard Charles Gombault, interné en Allemagne qui écrit à ses parents, avant d'être fusillé, "adieu, chers parents, je vous devance, voilà tout". La Bretonne Nathalie Lemel, reléguée en Nouvelle Calédonie, dont Louise Michel vantait la rectitude, et le journaliste Henri Rochefort, "la lumineuse netteté de son esprit". Enfin parmi tant d'autres, le Breton Louis Rossel, homme rare, d'origine bourgeoise, officier supérieur, chef d'état-major, qui, après la chute de la Commune, se cache, préférant rester à Paris « du côté des vaincus, du côté du peuple ». Victor Hugo le défend, mais il sera fusillé le 28 novembre 1871. Charles de Gaulle lui rend hommage dans "le Fil de l'épée". Citons aussi des contemporains plus détachés de ces horreurs, le Breton Dupuy de Lôme, génial créateur de la marine de guerre moderne comme fut génial aussi son compatriote, Jean Marie Le Bris, pionnier de l'aviation (note 4) avant même Clément Ader et les frères Wright.
La Commune de Paris ne représentait nullement la France et ne méritait pas de l'emporter. Il n'empêche que durant la Commune, il y eut des hommes et des femmes de grande qualité, des idées aussi qui perdurent aujourd'hui. Après la défaite des fédérés, le pardon et la réconciliation étaient possibles, hélas…
Charles des Cognets écrit bien. Il affectionne ses compatriotes bretons et, sans complaisance, il juge aussi de leurs faiblesses. Cela participe de l'intérêt de ce livre qui nous fait connaître un peu plus cette période sombre de notre histoire.
Notes
1. «Mr Thiers est le maître de ces farceurs libéraux, très démoc, dans l'opposition, et très réac, dès qu'ils ont pu escalader le pouvoir.» Études politiques et critiques ; Les derniers scandales par Aristophane, Éditions Armand, Paris, 1869. "il a prêché le massacre et il prêchera l'humanité de manière tout aussi édifiante", Chateaubriand. « Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné qui s'enfonce sans broncher dans le sang », Georges Clemenceau. « Un homme sans tenue, sans probité politique ! », la reine Louise.
2. En avril 1834, Thiers laissa se développer une émeute dans Paris pour mieux l'écraser, notamment rue Transnonain, il fait de même en 70 contre l'avis de Jules Simon, en retirant les troupes de Paris le 18 mars 1871, ce qui permit à la commune de s'organiser.
3. Jules Simon, favorable à l'abolition de la peine de mort, fut l'auteur de "L'ouvrière", réquisitoire contre la condition ouvrière. On le soupçonnait de faire partie de l'Internationale. Sa femme est une amie de Louise Michel
4. Aviation, mot inventé par le Breton Gabriel de La Landelle
5. Voir des Cognets, p 143 et The Franco-Prussian War, de Michael Howard, publié pour la première fois en 1962. "La cavalerie serait placée derrière eux … Les fuyards seraient tués, et si nécessaire les ponts seraient démolis pour obliger les défenseurs à se battre jusqu'au dernier. Les fugitifs se sont retrouvés devant les sabres de leur propre cavalerie, les canons implacables de leur commandant, et l'eau glacée de l' Huisne".
Sources
1. ABP, Les Bretons faiseurs de rois, marc Patay Lejean,
2. Charles des Cognets, Les Bretons et la Commune de Paris, 1870-1871, l'Harmattan
3. Michael Howard, The Franco-Prussian War
4. ABP : La vérité sur la bataille du Mans, Chronique du 23/01/11 de Philippe Argouarch. ( voir notre article )
5. Le livre est sur http://books.google.fr