Dénoncer la concentration des moyens d’informer entre les mains d’une poignée de propriétaires est indispensable ; mais le centralisme des médias est lui aussi tout aussi nuisible au pluralisme de l’information.
250 journalistes et professionnels de la presse dénoncent dans une tribune (*) la concentration des moyens d’informer (presse écrite, radios, télévisions, numérique…) en France entre les mains de quelques rares personnes, de quelques grandes fortunes.
C’est un sujet important et il n’échappe à personne que c’est un enjeu majeur dans une démocratie. Le droit d’informer et d’être informé de façon équilibrée et juste ainsi que de bénéficier d’une information vérifiée est indispensable en démocratie.
Le droit de disposer d’une information pluraliste est donc sans aucun doute menacé par la concentration des moyens d’informer entre un petit nombre de mains.
Le journaliste que j’ai été pendant de longues années ne peut que soutenir cette tribune. Cependant j’aurais aimé que ce texte prenne en compte un autre aspect qui me paraît aussi très dangereux pour le pluralisme de l’information. Je veux parler de la concentration géographique des médias, du centralisme médiatique.
La France est le champion du centralisme politique mais aussi du centralisme médiatique. Il existe très peu de pays où les médias sont concentrés sur un espace géographique aussi réduit. Tout ou presque se trouve à Paris et chaque année la presse dite régionale perd en puissance.
Quant à l’audiovisuel régional (télévisions et radios) il est quasiment inexistant, en tous cas quand il existe, c’est toujours à Paris que se trouve le centre de décision.
La France n’a pas su, ou n’a pas voulu, créer de véritables télévisions régionales de plein exercice. Pas de télévisions hors Paris qui regardent le monde ! L’audiovisuel régional se réduit à n’être qu’une succursale.
La presse quotidienne régionale souffre comme le reste des médias du phénomène de concentration et en plus elle doit vivre dans une ambiance qui fait d’elle une presse subalterne, une presse qui n’est là que pour faire du « régional » et non pour expliquer et regarder le monde. Il faut s’interroger sur les expressions « presse régionale » et « presse nationale ». Il y a de la condescendance dans ces mots. Il est un temps d’ailleurs où pour accéder à la tribune de presse de l’Assemblée Nationale il y avait deux portes : une pour la presse nationale et une autre pour la régionale. C’était écrit ainsi. Curieuse discrimination mais très évocatrice.
Pourtant en Europe les pays où de très grands journaux dits « de référence » ne sont pas dans la capitale politique sont majoritaires (Allemagne, Espagne, Italie…).
Le même constat est à faire pour les télévisions, les radios.
Alors, me direz-vous, quel rapport entre la démocratie, l’information et ce centralisme des médias ?
C’est très simple. La proximité des mondes politique et médiatique (proximité géographique, sociale, parfois familiale et affective) a des conséquences évidentes, visibles. C’est un petit monde très réduit qui occupe les plateaux de télévision, les studios de radio. Il y a parfois des liaisons, des rapports entre ces mondes qui ne correspondent pas à l’idée que l’on peut se faire de l’indépendance de la parole journalistique.
Le message que l’on transmet peut dépendre parfois de qui vous paye, qui vous édite, qui vous diffuse mais il peut aussi dépendre d’où vous parlez, d’où vous écrivez. Et je fais partie de ceux qui pensent que l’on n’informe pas de la même façon quand on est à Toulouse, Paris, Bordeaux, Barcelone, Munich…Le point de vue n’a d’intérêt que quand il y a DES points de vue, des lieux d’où l’on voit et depuis lesquels on comprend le monde.
La caricature est alors à son comble avec l’élection présidentielle qui s’annonce. Des candidates et des candidats sortis du centre (une présidente de la région, une maire de Paris, un chroniqueur que l’on qualifie de polémiste…) et de ses médias saturent l’espace médiatique. Et ce sont les médias situés sur le kilomètre carré ( ou peut-être deux kilomètres carrés) autour de la Tour Eiffel qui font et défont les débats, les candidats, les sujets qu’il faut commenter.
Alors certain diront peut-être que cela n’empêche pas le pluralisme. Je ne le crois pas. Je crois en revanche que cela crée de l’uniformisme, (terme que j’emprunte à dessein à la géologie), pour ne pas dire du conformisme.
Qui pourrait contester le fait que de découper le monde en deux, c’est-à-dire Paris d’une part et la Province de l’autre, n’aurait pas d’influence sur le message, sa forme, son objectif ? Même si ce sont des mécanismes inconscients ce sont des mécanismes qui jouent un rôle.
La tribune dont je parlais au début, publiée par 250 professionnels des médias dit ceci : « Bien sûr, les journalistes qui travaillent pour les médias détenus par ces industriels ne subissent pas directement et au quotidien la pression de leurs actionnaires. » J’adhère à cette vision des choses. Je ne crois pas aux journalistes « vendus » comme certains les dénoncent. La très grande majorité fait son métier en conscience, avec sa culture, ses idées, ses convictions. Mais les mécanismes d’influence sont plus subtils que cela n’y paraît, c’est bien connu ; et pour cette raison les auteurs de la tribune ajoutent avec justesse : « Mais la concentration a un impact majeur sur la qualité et la diversité de l’information délivrée au public. Elle réduit l’espace consacré au décryptage. Elle favorise l’opinion et fragilise la liberté de la presse ainsi que l’indépendance des journalistes ».
Je ne dis rien d’autre concernant la concentration géographique des médias et le centralisme médiatique qui règne en France. Je pourrais paraphraser le texte de la tribune en disant que : « la centralisation a un impact majeur sur la qualité et la diversité de l’information ».
David Grosclaude
* « L’hyperconcentration des médias est un fléau médiatique, social et démocratique », tribune publiée par le journal Le Monde du 15 décembre
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