Les degrés bretons de l'écriture.
Une vieille idée, répétée à l’envi, voudrait qu’il n’y ait pas de littérature bretonne. Le Breton parle, écoute, chante… mais il ne lit pas. Ainsi a-t-on coutume d’évoquer le « breton littéraire » comme un quartier lointain, intimidant pour les uns, un peu trop huppé pour les autres et largement méconnu de tous.
Selon cette idée, vieille et saugrenue, les textes écrits en breton — puisque textes il y a — ne seraient alors que copies, déclinaisons, mauvaises décoctions d’une littérature créée ailleurs, dans quelque centre prestigieux. La part du pauvre. Longtemps indigente, la littérature bretonne serait donc désormais superflue, à l’heure où tout brittophone fréquente au moins une de ces « grandes » langues qui, elles, s’écrivent et se lisent.
Cette étude propose de porter un autre regard sur notre littérature. Elle invite à suivre ces écrivains bretons qui sont ou étaient autant de lecteurs et qui ont ouvert de nombreuses brèches entre leurs textes et les autres textes du répertoire. Celui qui voudra bien emprunter les sentiers qui traversent cet ensemble littéraire verra que tous les chemins ne mènent pas à Rome, il entendra le dialogue des Anciens et des Modernes et saura que les écrivains contemporains ont su renouveler, adapter, sublimer des techniques et des récits multiséculaires. Il trouvera alors dans les outrances de la revue Yod-Kerc’h (Bouille d’Avoine), le souvenir de la licence du chansonnier Prosper Proux. Il verra dans le poème Vijelez an deiz diwezhañ (Nocturne du dernier jour) de Maodez Glanndour les images terribles de la danse macabre de la chapelle de Kermaria an Iskuit. Il découvrira la légende de la ville d’Is transformée en prophétie biblique, politique ou écologique et devinera les vers de Yann-Ber Kalloc’h cachés dans ceux de Yann-Ber Piriou…
La seule ambition de cet ouvrage — mais elle est énorme ! — est d’amener ceux qui aujourd’hui cultivent l’art de parler des livres en breton qu’ils n’ont pas lus à se risquer, après des générations d’auteurs et de lecteurs, dans les Ribinoù de notre littérature.
Erwan Hupel est maître de conférences de langue et littérature bretonnes et habilité à diriger des recherches. Il enseigne à l’université Rennes 2.