En sortant en tête pour la première fois de son histoire, le Sinn Fein est le grand gagnant politique du scrutin nord-irlandais qui s’est déroulé la semaine dernière dans la partie de l’Irlande restée sous contrôle britannique. Car les institutions issues des accords du vendredi saint leur donnent désormais accès à la plus haute fonction, celle de premier ministre. Au parti loyaliste rival, le DUP, revient le poste de vice-premier ministre. Ce renversement des équilibres est un évènement historique pour ce territoire.
L’origine de ce renversement est sans conteste le Brexit. Avant le Brexit, aux élections de 2016, le DUP comptait dix élus de plus que le Sinn Fein (38 contre 28). En 2017, après le vote du Brexit, qu’une majorité avait rejeté en Irlande du Nord à contrecourant du vote britannique général, le DUP a sauvé son leadership d’un seul siège (28 contre 27), et conservé ainsi de justesse le poste stratégique de premier ministre. C’est ce gouvernement qui a provoqué des élections anticipées en refusant de continuer à siéger au Parlement de Stormont par protestation contre le « protocole irlandais » négocié dans le cadre du Brexit, rejeté par les unionistes nord-irlandais, mais accepté à Londres par leur allié conservateur Boris Johnson.
Lors de l’élection de la semaine dernière, le DUP a perdu 3 nouveaux sièges, passant de 28 à 25, tandis que le Sinn Fein a maintenu ses 27 sièges, devenant ainsi la première force d’Irlande du Nord. Et c’est donc à son leader, Michelle O’Neill, que revient désormais le poste essentiel et symbolique de premier ministre.
Ce fait politique de première importance éclipse le véritable vainqueur du scrutin, le parti Alliance qui passe de 9 à 17 sièges, et devient la troisième force du Parlement sur la base d’un positionnement politique qui remet en cause le clivage historique entre catholiques/républicains, favorables à la réunification de l’Irlande, et protestants/unionistes obnubilés par le maintien dans le Royaume Uni. Cette progression marque l’évolution d’un électorat auparavant de tradition protestant/unioniste, mais conscient que l’avenir de leur pays ne pouvait échapper à une approche moins rigide que celle que continuent à professer leurs leaders.
Car le Brexit, et la sortie de l’Europe, a été mal ressentie par une majorité des Irlandais du Nord issus des deux communautés historiques. Tous avaient conscience que leur appartenance à l’Union Européenne créait un « vivre ensemble » partagé par les deux communautés rivales, la République d’Irlande et le Royaume Uni. La rupture de ce lien intégrateur a provoqué aussitôt une nouvelle montée des antagonismes, et les risques d’une reprise de la violence sont apparus.
Pour le conjurer, les négociateurs du Brexit se sont alors contraints à respecter les termes des accords de paix du vendredi saint qui avaient décidé de ne plus recréer de frontière physique sur le territoire irlandais. Or l’Europe a désormais, de fait, une partie de sa frontière avec le Royaume Uni en Irlande, et il s’agit même de sa seule frontière terrestre. Il lui fallait donc la protéger.
Le « protocole nord-irlandais » qui a alors été imaginé consiste à déporter en Mer d’Irlande, entre Grande Bretagne et Irlande du Nord, les formalités douanières nécessaires pour les marchandises destinées à l’Union Européenne en transit via l’Irlande du Nord. Ce qui crée de facto une « frontière virtuelle » entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord, et donc l’opposition résolue de la partie protestante de la population.
Mais la baisse du nombre de sièges obtenue par le DUP montre qu’en fait cette opposition est moins résolue qu’on ne le dit. Beaucoup d’électeurs lui ont retiré leur soutien, et, en se prononçant pour le parti Alliance, ils ont fait défaut au DUP en sachant pertinemment, dès lors, que le Sinn Fein prendrait le dessus.
Au lendemain de cette victoire, les « parrains » des accords du Vendredi Saint, à savoir les USA, ont aussitôt appelé au respect de ces accords et à la nomination de Michelle O’Neill comme premier ministre. Les conservateurs de Belfast sont sous forte pression, mais ils annoncent qu’ils s’y refuseraient. Ce qui les conduirait à de nouvelles élections, et, à n’en pas douter, à un nouveau recul.
Aussi, les négociations ne font que commencer !
Ce communiqué est paru sur François Alfonsi
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