La crise sociale sans précédent traversée par l’hexagone et la Bretagne donne lieu, de la part des hommes politiques comme des intellectuels qui ont l’oreille des médias centralisés, à des torrents de haine, de colère et surtout de désinformation, toutes attitudes contraires au sérieux de l’information. C’est d’ailleurs la première fois que les démagogues soufflent sur les braises en considérant la haine et la colère comme des facteurs positifs dans l’évolution de la situation. Il y a 230 ans, la France a connu une époque ou colère, haine, émotions en tous genres, alimentées non par internet mais par les « rumeurs » téléguidées - ce qui y ressemble étrangement - ont conduit non seulement à la destruction de la Bretagne, mais à un bilan humain et économique catastrophique au niveau français, et qui plus est à une dictature durable. Dans les deux situations, un citoyen est d’abord un être vigilant sur les sources d’information, sur les faits, sur l’intox plus que jamais possible. Les votes pour Trump, le Brexit et Bolsonaro (Brésil) ont récemment illustré ses effets potentiels. Ce qui suit n’est qu’une contribution provisoire qui mérite d’être améliorée et approfondie.
Depuis la IIIe République, les corps intermédiaires, les syndicats, les partis formulent des revendications, expriment des désaccords et l’on recherche le compromis qui permettra d’avancer dans l’intérêt général. Un individu peut être en colère, un citoyen ou un parti ou un mouvement social organisé non. Quand on passe au niveau collectif, en démocratie, ces mots n’ont plus droit de cité.
Une fois l’information établie, on peut ensuite avoir des idées, des interprétations. Mais encore faut-il passer par l’écrit, par un véritable travail journalistique, du temps et de l’argent (sauf bénévolat ou sacerdoce). Il n’y a pas d’information instantanée et sans coût. Merci à la lettre d’ABP de nous alimenter dans ce domaine aussi.
Le risque et parfois le but de l’instantané et de la théorie du complot est de désigner un bouc-émissaire. Cette fois, c’est Macron, cible de toutes les forces politiques en crise ou pas : il a le tort d’incarner le pouvoir, supposé ignorer les réalités.
Je n’avais pas lu son livre « Révolution », publié avant la campagne électorale. Aujourd’hui en Poche à 5€, il permet des constats non conformes à la Doxa. Il y dénonce la France qui souffre de la désertification des services publics : « cette France périphérique manque souvent d’équipements publics de base, de moyens de transport, de crèches, de lieux culturels. Les conditions d’existence peuvent y être de piètre qualité. On connaît le problème que posent certaines zones pavillonnaires aujourd’hui très dégradées, ou ces zones dans lesquelles les maisons s’entremêlent avec les entrepôts et les petites entreprises ». Et d’indiquer qu’il faut tenir compte dans les réformes des « impératifs de justice ». E. Macron semblait préoccupé par l’injustice (citée 7 fois) , y compris des plus modestes qu’il pouvait côtoyer. Alors comment la « Machine France », selon l’expression de Jean Ollivro, transforme-t-elle cette vision réaliste en politique à contretemps et à contre-courant ?
Le candidat Macron pressentait aussi les risques d’explosion sociale : « avec Internet, désormais, tous le monde voit tout, commente tout, se compare avec le reste de la planète. Cela donne le sentiment libérateur que tout est possible. Cela nourrit en même temps toutes les névroses et révèle avec cruauté les injustices sociales, les différences de niveau de vie ». A-t-il trahi sa parole ? Le Point évoque les réformes les plus sociales bloquées ou retardées par un autre pouvoir, opaque celui-là, Bercy et plus largement la nomenklatura du ministère des finances et des autres ministères. Ce monde-là a pour arme essentielle une idéologie officielle et séculaire à tous les niveaux, le jacobinisme unitaire, auxquels adhèrent au moins en apparence tous les élus aux responsabilités.
Et pourquoi le « Pacte girondin » promis à Quimper est-il suivi par une pratique jacobine qui dessaisit les pouvoirs locaux élus de leurs responsabilités ? N’est –on pas tout simplement dans l’histoire de la Ve République ou les grands corps de l’état ont pris le pouvoir avec leur volonté absolutiste ?
On se rappelle qu’avec le ministre Alain Peyreffite (sous Pompidou et Giscard), le centralisme était le « mal français », qu’avec le couple Chirac-Raffarin, la décentralisation était la « mère des réformes ». Et si le président n’était que le jouet de la caste centraliste et bureaucratique ? Il est sur un siège éjectable alors que cette caste est durablement aux commandes de l’Etat. En ciblant le président, on renforce encore cette caste anonyme. Pour affaiblir cette dernière, il faudrait renforcer les pouvoirs locaux, et singulièrement les régions, ce à quoi elle s’oppose au nom de la défense de la République !
On parle partout du RIC, le référendum d’initiative citoyenne ? Les Bretons donnent à la France entière une occasion de renouer avec la démocratie : résoudre démocratiquement la question de la réunification de la Bretagne, ce qui suppose une débat contradictoire et prolongé… durée qui n’est pas permise par la loi actuelle.
Les politiques qui, à droite et à gauche, feignent de réclamer le RIC sont aussi ceux qui s’opposeront avec le plus de fanatisme à ce que les régions se déterminent elles-mêmes et ne soient pas « découpées » par le pouvoir central. Ce sont les plus centralistes, les plus opposés à l’expression de la diversité culturelle. Plus encore que de coutume, le citoyen doit se méfier des manœuvres, de l’intox, de l’information non vérifiée. Il y a va de l’avenir de la démocratie, auquel bien des Bretons sont déjà prêts à participer activement chez eux.
Jean-Jacques Monnier