Le Casino-Théâtre d'Enghien les Bains, aux imposants lustres incandescents et prisonnier de sa chrysalide de verre, se mire dans les eaux du lac. De majestueux jets parodiant, mais de façon plus modeste, ceux des célèbres jardins de Versailles, projettent vers le ciel étoilé ses lumineuses parades d'eaux multicolores.
L'on ne pouvait trouver plus bel endroit pour fêter cette nuit de la Saint-Patrick en compagnie du plus célèbre représentant de la musique celtique dans le monde : Alan Stivell.
La salle a fière allure et n'est pas dénuée de noblesse avec ses larges fauteuils habillés de velours cramoisi et son balcon aux moulures parées d'or.
Au centre de la scène, deux harpes, aux altières silhouettes, nous accueillent.
20 h 40, sous les applaudissements nourris du public, les musiciens entrent en scène. Les spectateurs, le regard rivé vers les coulisses, attendent celui dont le nom est sur toutes les lèvres.
Le voici, enfin, le héros, tout de noir vêtu, son large triskell, posé sur la poitrine, ne le quitte plus depuis ce très fameux concert anniversaire à l'Olympia de Paris, en mars 2012.
« Bonsoir à tous. Je tenais tout d'abord à remercier la municipalité d'Enghien de nous avoir invités pour célébrer, avec vous, cette Saint-Patrick. Je vais vous présenter et vous parler un peu de mes harpes. Je n'ai jamais aimé faire ce que font les autres. Aussi, depuis la première harpe construite par mon père, je n'ai eu de cesse de faire avancer, techniquement, cet instrument.
Ce sont, toutes, des prototypes… elles sont uniques. Comme nous fêtons le St Patron de l'Irlande, je vais commencer par le premier chant gaélique entendu dans ma jeunesse, « Eibhlin » .
Interprétée, A capella, le chanteur réalise une belle performance vocale.
« Nous allons continuer un peu avec quelques chansons que j'ai reprises lors de mon dernier Olympia. Pour cela je fais m'installer devant ma harpe bardique aux cordes acier pour vous interpréter diverses chansons issues de mon premier album « Reflets » . La chanson que je vais vous interpréter, je l'ai jouée, à mes débuts, avec Steve Waring ».
Pour ceux qui l'ignoreraient, Steve Waring, chanteur et guitariste américain fréquentait, tout comme Alan, à l'époque, l'historique American Center de Paris.
Loquace, Stivell parle et tente d'accorder sa harpe mais, déconcentré, il rencontre quelques difficultés à le faire correctement. Il ajoute avec humour :
« J'essaie d'accorder ma harpe, mais comme je parle et que je ne suis pas une femme, je n'arrive pas à faire deux choses en même temps » .
Ce qui a pour effet de provoquer, dans la salle, rires et applaudissements.
Le musicien enchaîne avec un remarquable poème de Yann Ber Kalloc'h : « Je suis né au milieu de la mer » … dont il fit une très jolie adaptation musicale. Nous sommes attentifs à ce joli texte accompagné, délicatement, à la harpe… puis le récit fait place au chant :
« Mon père naguère était marin,
Je l'ai rejoint,
A cette guerre… » .
« J'ai écrit, voici quelques mois, un ouvrage sur les légendes celtiques. Ces contes ont souvent été, pour moi, la source de mon inspiration musicale » .
Si le magnifique livre écrit par l'artiste (voir le site) narre l'histoire légendaire de tous ces héros celtiques, il s'agit bien d'une véritable légende, mais vivante cette fois, qui captive les spectateurs avec sa voix mélodieuse tandis que les notes fluides ruissellent des cordes acier de sa célèbre harpe bardique.
L'artiste enchaîne avec un autre poème composé, récemment, par lui… « La lune était devenue rousse… » .
Après « Kimiad » , dès les premiers accords, nous reconnaissons immédiatement, l'une des plus belles compositions de Stivell : « Brian Boru » . Cette fois-ci, c'est la blonde harpe électrique, au son d'une extrême pureté, qui vibre sous les doigts de son maître. Les multiples pédales d'effets procurent, à cet instrument novateur, une palette musicale insoupçonnée : Bends, riffs rageurs, distorsions, chambres d'échos. Nous ne pouvons qu'être admirateur devant tout le savoir faire de ce grand harpeur.
Puis, Alan nous parle de sa « Symphonie celtique » . Il joue et chante deux chansons extraites de cette œuvre universelle et humaniste, dont « Gouel Hollvedel » qui s'achève dans l'apothéose d'un long solo de cornemuse écossaise électrifiée, bien soutenu par les percussions et la guitare hargneuse de Gaëtan Grandjean.
Nul doute que Stivell demeure, à cet instrument, l'un des plus grands Penn Soner de son époque.
Epoustouflant !
La seconde partie du concert bascule vers des morceaux très rythmés, style qu'affectionne tout particulièrement Stivell et dans lequel il excelle.
« An alarc'h » est repris en chœur, sans doute par de nombreux bretons nostalgiques de cette première vague celtique des années 70 et probablement présents à l'inoubliable Olympia 72. Puis Alan entonne « La hargne au cœur » très tonique chanson dédiée à la Bretagne et qui figurera, vraisemblablement, sur son nouvel album. « La suite Sud Armoricaine » , « Ne bado ket atao » , « Brittany' s » . Morceaux rocks ou plus traditionnels s'intercalent sans intermède. Il n'y pas de temps morts, de respirations, aussi les spectateurs saluent la performance physique du musicien.
« Ce n'est plus de mon âge » , acquiesce-t-il en riant !
Retour sur scène avec « Iann Morrisson reel » , toujours à la grande cornemuse d'ébène électrifiée… l'homme a, encore, un sacré souffle !
A présent le public est debout pour saluer la virtuosité de l'artiste et de ses talentueux accompagnateurs, aux violon, guitares et percussions.
Comme les applaudissements s'amplifient, pas question de laisser partir le héros de cette soirée.
Deuxième rappel : Alan Stivell invite le public à reprendre, avec lui, les premières mesures du refrain suivant : « pas très difficile » , dit-il, « vous faites simplement, la la lé no, avec moi » .
Nous chanterons, avec lui, joyeusement, la fameuse histoire des trois marins nantais avant qu'il ne feigne de s'éclipser vers les coulisses, mais, peine perdue, un troisième rappel invite tout le groupe à se représenter sur scène.
« J'invite tous les Bretons ou les Bretons de cœur à reprendre, avec nous, notre hymne » .
La voûte du théâtre d'Enghien a dû résonner longtemps après les clameurs venant saluer le magnifique « Bro go ma zadoù » chanté, avec tant de ferveur, par Alan, ce soir, visiblement très heureux de son succès.
Anny Maurussane
Pour découvrir les autres photos du concert, rendez-vous sur Culture et celtie, le MAGazine… (voir le site)
Site officiel d'Alan Stivell: (voir le site)
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