Des conflits sont en cours à Lannion, Pabu, Paimpol (Côtes-d'Armor)et Plomeur (Finistère) où les maires refusent l'inscription en filière publique bilingue breton-français d'enfants ne résidant pas sur la commune. Une situation identique en Alsace vient d'amener le Tribunal Administratif de Strasbourg à censurer l'attitude identique du maire de Rosheim.
Voici la décision du Tribunal Administratif de Strasbourg:
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE STRASBOURG
N° 0401886
M. et Mme Jean-Marc MULLER et autres
Mme Blin Rapporteur
M. Gille Commissaire du Gouvernement
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Le Tribunal administratif de Strasbourg (formation plénière)
Audience du 3 décembre 2004
Lecture du 1er février 2005
Vu la requête, enregistrée le 28 avril 2004, présentée par M. et Mme Jean-Marc MULLER élisant domicile 13 rue Sans-Soucis à Bischoffsheim (67870), M. et Mme Jean-Christophe SAPIN élisant domicile 21 rue des Mésanges à Bischoffsheim (67870), M. et Mme Michel WEBER élisant domicile 69 rue du Général de Gaulle à Saint-Nabor (67530), M. et Mme Yannick MATTERN élisant domicile 43 rue des Asperges à Griesheim (67870), M. et Mme François-Xavier RENARD élisant domicile 1 rue des Romains à Ottrott (67530), M. et Mme Sébastien SCHAHL élisant domicile 36 route de la Fischhutte à Molikirch (67190) ; M. et Mme MULLER et autres demandent au Tribunal :
- d'annuler les décisions du maire de Rosheim "refusant l'inscription de leurs enfants en classe maternelle bilingue pour la rentrée 2004/2005" ;
- d'ordonner l'admission de leurs enfants en classe maternelle bilingue ;
Vu les décisions attaquées ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2004,
présenté par le recteur de l'académie de Strasbourg, qui conclut à l'irrecevabilité de la requête et à son rejet au fond ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2004, présenté pour la ville de Rosheim agissant par son maire en exercice, par Me Sonnenmoser, qui conclut à l'irrecevabilité de la requête et à son rejet au fond ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 juillet 2004, présenté par M. et Mme MULLER ; Vu le mémoire, enregistré le 23 septembre 2004, présenté par M. et Mme MULLER ; Vu le mémoire, enregistré le 22 novembre 2004, présenté par M. et Mme MULLER ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2004 - le rapport de Mme Blin, rapporteur,
- les observations de : M. Muller, requérant, Me Sonnenmoser, pour la ville de Rosheim,
- les conclusions de M. Gille, commissaire du gouvernement.
Considérant que M. et Mme MULLER, M. et Mme SAPIN, M. et Mme WEBER, M. et Mme MATTERN, M. et Mme RENARD, et M. et Mme SCHAHL, lesquels résident dans les communes de Bischoffsheim, Saint-Nabor, Griesheim, Ottrott et Mollkirch, collectivités non dotées de classes maternelles bilingues, ont présenté, chacun en ce qui les concerne, une demande de dérogation de secteur scolaire pour la rentrée 2004/2005 afin d'inscrire leurs enfants en classe maternelle bilingue français-allemand à l'école Sainte-Marthe de Rosheim ;
que le maire de cette commune a émis, le 26 mai 2004, un avis favorable à la scolarisation des enfants sous réserve de la participation financière des communes de résidence, lesquelles avaient toutefois préalablement informé l'autorité communale précitée de leur refus de toute participation financière ;
que, par suite, les demandes de dérogation n'ont pas été satisfaites ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que la requête doit être regardée comme étant dirigée contre les décisions du maire de Rosheim, en date du 26 mai 2004, produites au dossier, refusant l'inscription de leurs enfants en classe maternelle bilingue pour la rentrée 2004/2005 en raison de l'absence de participation des communes de résidence aux frais de scolarisation ;
que, par suite, les fins de non-recevoir opposées par la commune de Rosheim et par le recteur de l'académie de Strasbourg, tirées de l'absence de conclusions, du défaut de décision et de la non production des décisions attaquées ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur la légalité des décisions du maire de Rosheim :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 113-1 du code de l'éducation : « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l'âge de trois ans, dans une école maternelle (...) le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande. » ;
qu'aux termes de l'article L. 212-8 du même code : « Lorsque les écoles maternelles, les classes enfantines ou les écoles élémentaires publiques d'une commune reçoivent des élèves dont la famille est domiciliée dans une autre commune, la répartition des dépenses de fonctionnement se fait par accord entre la commune d'accueil et la commune de résidence. A défaut d'accord entre les communes intéressées sur la répartition des dépenses, la contribution de chaque commune est fixée par le représentant de l'Etat dans le département après avis du conseil départemental de l'éducation nationale. Pour le calcul de la contribution de la commune de résidence, il est tenu compte des ressources de cette commune, du nombre d'élèves de cette commune scolarisés dans la commune d'accueil et du coût moyen par élève calculé sur la base des dépenses de l'ensemble des écoles publiques de la commune d'accueil. Les dépenses à prendre en compte à ce titre sont les charges de fonctionnement, à l'exclusion de celles relatives aux activités périscolaires. Un décret en Conseil d'Etat détermine, en tant que de besoin, les dépenses prises en compte pour le calcul du coût moyen par élève ainsi que les éléments de mesure des ressources des communes. Toutefois, les dispositions prévues par les alinéas précédents ne s'appliquent pas à la commune de résidence si la capacité d'accueil de ses établissements scolaires permet la scolarisation des enfants concernés, sauf si le maire de la commune de résidence, consulté par la commune d'accueil, a donné son accord à la scolarisation de ces enfants hors de sa commune. Pour justifier d'une capacité d'accueil au sens du présent alinéa, les établissements scolaires doivent disposer à la fois des postes d'enseignants et des locaux nécessaires à leur fonctionnement. Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, un décret en Conseil d'Etat précise les cas dans lesquels une commune est tenue de participer financièrement à la scolarisation d'enfants résidant sur son territoire lorsque leur inscription dans une autre commune est justifiée par des motifs tirés de contraintes liées aux obligations professionnelles des parents, de l'inscription d'un frère ou d'une sœur dans un établissement scolaire de la même commune, ou de raisons médicales. Ce décret détermine, en outre, en l'absence d'accord, la procédure d'arbitrage par le représentant de l'Etat dans le département » ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées qu'un maire ne peut refuser l'inscription, dans une école maternelle de sa commune, d'un enfant dont la famille est domiciliée dans une autre commune au motif que cette dernière a refusé de participer financièrement à la scolarisation de cet enfant, dès lors que la capacité d'accueil de l'établissement scolaire permet cette scolarisation ;
qu'en cas de demande d'inscription dans une section bilingue de maternelle, la capacité d'accueil doit être appréciée, tant du côté de la commune d'accueil que de celui de la commune de résidence, au regard des places effectivement disponibles dans une telle section ;
que, pour prendre les décisions attaquées, le maire de Rosheim a opposé, en l'espèce, la non satisfaction par les communes de résidence des conditions requises par la délibération de son conseil municipal du 10 juin 2003, modifiée le 7 juillet suivant, instituant une participation financière pour la scolarisation d'enfants d'autres communes souhaitant bénéficier de l'enseignement bilingue ;
que les requérants sont fondés à soutenir que ce motif n'est pas au nombre de ceux pouvant justifier légalement un refus d'inscription en classe maternelle bilingue ;
qu'il suit de là que les décisions attaquées doivent être annulées ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » ;
qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code: «Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. » ;
Considérant que la présente décision n'implique pas nécessairement que soit ordonnée l'admission des enfants des requérants en classe maternelle bilingue ;
qu'il y a lieu, en revanche, d'ordonner à la commune de Rosheim de procéder au réexamen des demandes présentées par les requérants, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ;
DECIDE:
Article 1er : Les décisions du maire de Rosheim en date du 26 mai 2004 sont annulées.
Article 2 : II est enjoint au maire de Rosheim de réexaminer les demandes de dérogation scolaire présentées par les requérants dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme Jean-Marc MULLER, à M. et Mme Jean-Christophe SAPIN, à M. et Mme Michel WEBER,- à M. et Mme Yannick MATTERN, à M. et Mme François-Xavier RENARD, à M. et Mme Sébastien SCHAHL, à la ville de Rosheim et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Strasbourg.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2004, à laquelle siégeaient : M. Rouvière, président du tribunal, M. Pietri, M. Vincent, Mme Costa, et M. Bocquet, vice-présidents, M. Richard et Mme Blin, conseillers,
Lu en audience publique, le 1er février 2005.
Le rapporteur, J. ROUVIÈRE
Le président, A. BLIN
Le greffier, C. ROSE
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Strasbourg,
le 1er février 2005
Le greffier