- Discours -
A propos de l'affichage de la politique régionale en matière de langues et de culture de Bretagne
Au-delà de l'affichage et des premiers résultats, concrets mais contrastés, quel avenir pour un partenariat CR-mouvement culturel associatif après deux ans de mandature ? Intervention d'Alan Monnier, représentant KSB/SUAV au CESR (octobre 2006)
Par Alan Monnier pour SUAV-ICB le 3/10/06 12:30

Monsieur le Président, Cher(e)s Collègues,

J’interviens au nom de Kuzul Sevenadurel Breizh et Skol-Uhel Ar Vro à propos des ambitions affichées par la Région quant aux langues et à la culture de Bretagne.

Le mouvement culturel associatif breton note avec satisfaction les efforts entrepris par le Conseil régional en ce qui concerne la langue bretonne et le gallo, les réalisations déjà enregistrées et l’analyse réaliste constituant le suivi de la politique linguistique.

Cette reconnaissance institutionnelle accrue fait suite à des années d’engagement généreux des associations dans des conditions parfois difficiles qui pouvaient aller de l’indifférence à l’hostilité.

Mais ce qui se présente aujourd’hui comme une politique partenariale devrait certainement être étendue à l’ensemble de la culture bretonne, j’entends par-là la culture populaire et traditionnelle et toutes ses formes actuelles d’expression et de diffusion, s’il s’agit bien de sauver, de valoriser et d’actualiser (c’est-à-dire exactement de traduire en actes) cet héritage vivant qui contribue à la diversité culturelle mondiale et, comme tel, constitue un obstacle naturel à l’uniformisation de la pensée et du vivre, notamment du vivre ensemble, en attendant peut-être qu’il n’y ait plus de pensée et de vivre ensemble du tout. Tradition ne désigne rien d’autre que ce que l’on tire avec soi du passé, pour en dégager l’actualité, avec la volonté de le transmettre dans l’avenir.

A cet égard, bien des efforts restent à faire, et de façon urgente, au regard des enjeux réels comme de la réalité dramatique qui est celle des langues et de la culture.

Je souhaiterais indiquer ici quelques exemples pouvant constituer autant de pistes dont on peut s’inspirer et montrant au besoin que certaines autres Régions peuvent être en avance sur nous.

Les inquiétudes sur la politique du livre sont connues de Monsieur le Président du Conseil régional. Aussi, après les avoir rappelées, passerai-je à d’autres domaines.

Le domaine de l’enseignement me semble particulièrement sensible : comment peut-on attendre que, quelles que soient leurs origines, des jeunes en lycée ou à l’université décident soudain de s’intéresser au patrimoine breton, s’ils n’y ont pas été sensibilisés dès l’école primaire et le collège ? La Région répond généralement que ces échelons du système éducatif ne sont pas de sa compétence. Mais ne peut-on envisager qu’un partenariat Rectorat-Conseil Régional favorise des actions en ce sens, en proposant des initiatives de type « Karta » en amont du cursus de l’élève ? La présentation actuelle des priorités académiques indique certainement que le contexte y est aujourd’hui plus favorable puisque la déclinaison de la priorité relevant de l’internationalisation fait à nouveau expressément référence à l’enseignement de la langue bretonne, comme au temps du Recteur L’Hostis.

L’adoption d’un « socle commun » pour tous les Collégiens, lequel inclut une mise en place de la pratique du bilinguisme et de l’insertion consciente et responsable du jeune dans des communautés humaines à plusieurs dimensions, ne peut-elle offrir à Monsieur le Président de Région et à Monsieur le Recteur, une déclinaison de ce socle qui pour être « commun » n’entend pas être « minimal » ni « uniforme » ?

Le concept de « continuité pédagogique » , souvent invoqué, y gagnerait en cohérence et tout le tissu social certainement en cohésion, la construction de l’identité de nos jeunes également et peut-être verrait-on alors reculer certaines pratiques d’autodestruction, dites conduites à risques…

La Région Lorraine, qui ne semble pas présenter de velléités séparatistes, a elle réussi à mettre à se prononcer en 2001 puis à mettre en œuvre en janvier 2003, une Maison de l’Histoire de Lorraine (site accessible sur internet : (voir le site) , que nous-mêmes en Bretagne ne voyons toujours pas émerger, faute d’un « missionnement » pérenne et précis de la Collectivité régionale.

Nos Collègues du CESR d’Aquitaine ont réalisé une magnifique présentation, moderne et attractive, des langues et culture d’Aquitaine, trilingue (français, occitan, basque). Ne peut-on donner davantage d’écho à ce travail et s’en inspirer pour réaliser – avec les acteurs de terrain s’entend - cet « inventaire » du patrimoine immatériel que l’une des deux déclarations de l’Unesco adoptés début juillet par la Chambre des Députés propose de réaliser ?

Le fonctionnement de notre propre CESR, qui dissèque la culture et la pratique linguistique entre plusieurs Commissions sans que les rapporteurs puissent valablement échanger auparavant, qui ne permet pas de retrouver explicitement, dans les observations de notre assemblée, les avis émis à propos du Point d’étape sur la préparation du Contrat de Projet ou du Rapport d’étape sur l’agenda 21 (d’où mon abstention sur ces deux bordereaux), ce fonctionnement ne pourrait-il pas être reconsidéré ?

Dans le même sens, samedi dernier, un membre éminent de cette Assemblée évoquait, à l’occasion d’un colloque sur Economie et Culture dans le sillage du CELIB, que le CESR de la Région Bretagne pourrait, à l’instar d’un autre CESR, faire davantage place à la Culture, voire même dans l’intitulé de ses missions.

Je le répète, mon intervention ne se situe pas dans le registre de la nostalgie mais dans celui de la prospective et de l’anticipation. Elle se situe dans la réalité et c’est pourquoi je souhaiterais que nous allions plus avant, au-delà de l’affichage.

Aujourd’hui, grâce au cinéma, je pense à deux films récents de qualité « The wind that shake the barley/Le vent se lève » et « Indigènes » , nos jeunes de Bretagne peuvent apprendre qu’un jeune irlandais pouvait être torturé pour avoir donné son nom et son prénom dans un idiome qui, en Irlande et en 1920, n’était pas politiquement correct, ils peuvent également découvrir que pour beaucoup d’autres citoyens de la patrie des Droits de l’Homme, depuis le moment où elle se libérait de la domination nazie, on a pu à la fois cacher et faire durer de scandaleuses discriminations, de scandaleux oublis.

Mémoire et transparence vont de pair. Nous souhaitons être les partenaires loyaux des institutions dans cette double démarche.

Alan Monnier

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