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Hercule et Dark Vador : l'aventure crée l'identité
- Chronique -
Derrière l'identité, l'aventure
L’identité est à la mode. Elle a remplacé l’engagement. Les professionnels de la politique nous parlent d’appartenance à un "peuple de gauche" ou à un "peuple de droite", là où
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 1/02/16 16:01

L’identité est à la mode. Elle a remplacé l’engagement. Les professionnels de la politique nous parlent d’appartenance à un "peuple de gauche" ou à un "peuple de droite", là où on ne voyait auparavant que des intérêts de classe, des intérêts personnels ou des idéologies.

Ces identités sont à géométrie variable. Le bobo se donne une identité ultralibérale quand il parle des homosexuels ou des migrants, et une identité antilibérale pour parler des chefs d’entreprises. Le Français se sent fondamentalement pacifiste quand on évoque les attentats en France, et va-t-en-guerre quand on évoque l’État Islamique en Syrie ou au Mali. Il est fermement laïque face au christianisme, et il retrouve les accents de la charité chrétienne face aux autres religions.

Pour les identités nationales, c’est un peu la même chose. Certaines s’emboîtent, d’autres se complètent, d’autres s’excluent. Les Bretons voudraient emboîter leurs identités, mais l'identité française ne s'y prête pas. Pour les binationaux, un mauvais comportement peut conduire à une amputation d’identité.

L’identité se réfère à l’ethnie, à la classe sociale, à la nation, à la république, à l’Oumma ou au corps mystique. Bref elle fait rêver à une sorte de vérité première communautaire, tout comme il existe, pour l'identité de gauche, un prolétariat et un capitalisme fantasmé.

L’identité républicaine passe par le déni des différences. "La République ne reconnaît aucun culte" nous dit la loi de 1905. Elle ne reconnaît pas non plus les minorités nationales. Elle ne veut plus entendre parler de "race". En fait, elle ne reconnaît rien d’autre qu’elle-même.

Cette exclusivité identitaire est étrangère à nos plus anciennes traditions. Le Dieu Lug était fils de la Tribu des Dana par son père. Sa mère descendait de la tribu des Fomoré, ennemis terribles des dieux. L’identité de Merlin est tout aussi problématique : il est le fils d’un démon et d’une sainte. Arthur est le fils d’Uther Pendragon et d’Ygerne, femme légitime du duc de Cornouailles, l’ennemi d'Uther. Et nous pourrions parler aussi de Jésus, héros hybride par excellence. Les discussions sur son identité, divine ou humaine, durent depuis vingt siècles. Elles ont provoqué des schismes, des nouvelles religions, et des milliers de morts.

Dans les pays celtiques, de nombreux héros identitaires ne correspondent pas à la contrainte de pureté initiale. Qui sont les héros de Pâques 1916 et de l’identité nationale irlandaise ? James Connolly est un esprit vagabond, passant d’Ecosse en Irlande, d’Irlande en Amérique, avant de revenir en Irlande. Patrick Pearse est irlandais par sa mère, et de souche anglaise par son père. Eamonn De Valera est espagnol par son père et il a conservé la nationalité américaine. La comtesse Markievicz est l’épouse d’un aristocrate polonais. Elle descend d’une famille de colons britanniques. Tous ces personnages sont à la fois des hybrides et des fondateurs de l’identité irlandaise. Le phénomène est permanent. Un des plus farouches commandants en chef que l’IRA ait connus au cours des années 70, Sean MacStiofain, était lui aussi moitié anglais et moitié irlandais.

Les identités expliquent tout, mais à condition de ne pas se frotter à la réalité… Bien des djihadistes n’ont pas lu le Coran. Beaucoup de militants bretons ne parlent ni le breton, ni le gallo. Les fiers manifestants qui agitent le drapeau français n’ont bien souvent de la Révolution de 1789 que des réminiscences scolaires. Bref, ceux qui mettent en avant une identité collective n’en sont pas forcément porteurs. S'il faut en tirer une morale, disons que ce sont les cancres, et non pas les premiers de la classe, qui font l’histoire.

Si on écoute les premiers de la classe, les identités ressemblent à des masques mortuaires. Les cancres nous apprennent qu'elles peuvent être le support d’aventures auxquelles elles donnent un sens profond, car elles les inscrivent dans un ensemble historique et spirituel supérieur. Cet ensemble supérieur, nation ou religion, est fait de durée, de solidarités, de fidélités, de passions, de croyances, d’ambitions, de sacrifices. Il est fait aussi de récits plus ou moins romancés, de rêves, de rires et de chansons. Les cancres et les premiers de la classe n'ont pas la même approche de ce que l'on appelle une "culture".

L’identité française, alourdie par un passé glorieux et par un État omniprésent, ne peut plus offrir qu’une gamme limitée d’aventures. Les dernières grandes aventures françaises sont les conquêtes napoléoniennes et les aventures coloniales. Les guerres au nom de la France sont désormais des affaires de professionnels. La société civile ne peut être que spectatrice. Elle peut chanter "Aux armes citoyens !", mais ce n'est que du vent. Il n'est pas question de s'armer. Il n'est pas question de verser un sang impur.

L’identité musulmane suscite des aventures à la fois individuelles et collectives, portées par l’appel au Djihad. Contrairement à la communauté des catholiques, la communauté des musulmans n’est contrôlée par aucune instance supérieure. Les grands connaisseurs de l'Islam, les érudits et les "modérés" ne peuvent empêcher une évolution de l'identité musulmane impulsée par les aventuriers.

L’identité bretonne, stimulée par un passé d’indépendance et par une culture insolite, peut, elle aussi, inspirer des aventures toniques. Aventures individuelles, de création artistique ou entrepreneuriale. Aventures collectives, de conquête politique ou de libération nationale. La dernière aventure bretonne visible est celle des Bonnets rouges. Le peuple inculte a participé au mouvement, alors que les premiers de classe et les grands connaisseurs des mouvements sociaux sont restés babas.

Notre identité bretonne est instable, immature, incontrôlée. Elle peut inspirer de nouvelles aventures avant d’atteindre la sagesse, à laquelle nous n’aspirons pas.

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