« Quand je descends d'un bateau – que j'accoste – je viens seulement jouer dans les apparences » , écrit Olivier de Kersauson dans son dernier livre, "Le monde comme il me parle" (éditions du Cherche Midi, septembre 2013). Le monde dont il nous parle, lui, l'homme qui a occupé une bonne partie de sa vie à sillonner les océans – et qui fait ici le bilan de cette vie de solitude et de liberté, de dangers affrontés, de défis fous, d'espoirs et d'émerveillements – ce monde est celui du ciel, des nuages, du vent, des vagues, des étoiles, des aurores boréales dans le grand Sud. Ce sont les mers éblouies de lumière de la Polynésie, la « belle houle du Horn » , ou encore - au retour dans la rade de Brest, alors qu'on distingue à peine la côte dans la grisaille - le « cri » étrange et familier de la corne de brume, « un cri unique car il n'y a pas une corne au monde qui ait le même son qu'une autre » . Il y a de vrais moments de poésie dans ce livre écrit – c'est ce qui fait son charme – dans un style à la fois ample et heurté, allant sans cesse et sans transition du lyrisme à la sécheresse de l'aphorisme philosophique. Car ce sont aussi ses réflexions sur la condition humaine que nous livre ici le navigateur. La liberté ? C'est une chance que l'on n'a pas le droit de laisser passer, en négociant les obstacles avec ce qu'il faut d'intelligence et de force pour « piloter sa vie » comme on barre un bateau. La solitude ? C'est la vérité de notre être, le moment magique où l'on coïncide pleinement avec l'instant présent, tant il est vrai que, en mer, le passé est oublié et le futur « déterminé uniquement par la couleur du ciel, l'arrivée des nuages et la modification du vent » . Le bonheur, la beauté, l'harmonie ? C'est constater que tout se passe bien – « avec élégance » , écrit de Kersauson - quand on empanne à cinq sur le pont avec 1000 mètres carrés de toile, à 30 nœoeuds et par 12 à 14 mètres de creux…
Citons, pour conclure, cette anecdote que l'auteur nous conte avec humour. Alors qu'il passe le cap Horn à bord du "Géronimo", le gardien du phare demande par radio au navigateur d'où il vient. « – De Brest, répond-t-il. – Et où allez-vous ? – À Brest » . Le gardien ne comprend pas, et le marin qui est en train de faire le tour du monde doit s'expliquer longuement pour le convaincre qu'il n'est pas fou….
Fou ? Il l'est sans doute un peu, Olivier de Kersauson, comme tous ceux qui ont consacré leur vie à une unique, exclusive et dévorante passion.