Tout d'abord, merci à tous les contributeurs de Juillet ( (voir le site) ). Je l'avoue, je ne m'attendais pas à une telle qualité et à une telle richesse dans la réflexion.
J'en suis d'ailleurs un peu déstabilisé...
J'avais abordé la question par trois niveaux qui se superposent : la mémoire, l'intelligence et la notion du bien. Ou, vu d'une autre façon, les informations, les interprétations et les perspectives.
Je n'ai pas su répondre à Christophe David, qui considère que mon troisième niveau, celui de la perspective, façonne la culture mais n'en fait pas partie. D'un autre côté, Michel Treguer et Yann Maneguen ont concentré leurs approches de la culture sur des points qui font plutôt partie de mon troisième niveau.
Une synthèse est-elle possible ? On en arrive à des définitions contradictoires.
D'un côté, la culture est un savoir, un savoir-être, un savoir-vivre. Une mémoire. Une manière de comprendre. La somme de ce que l'on sait.
D'un autre côté, la culture est la façon dont un peuple gère ce qu'il ne connaît plus, le passé ; ou ce qu'il ne peut connaître, l'inconscient et le divin.
Dans un cas comme dans l'autre, il est admis que la culture, du moins la culture bretonne, est un phénomène de groupe. C'est un art de vivre ensemble. Cet art n'est pas figé. Il évolue, qu'il soit un savoir, un inconscient ou une religion. Il se nourrit de réalités. Il s'adapte.
Plusieurs contributeurs ont insisté sur le drame humain que constitue la perte de la diversité culturelle. J'ai cru percevoir que ce drame avait une relation avec le sacré, une relation avec tout ce qui élève et transcende l'individu.
Beaucoup de contributeurs ont relié la culture bretonne à des phénomènes visibles : la gavotte, les galettes, le biniou, le kabig, le style néo-gothique Beaumanoir, le maillage de petites villes, Stivell, Servat, Glenmor, la profusion de saints populaires…
La culture bretonne, ce sont aussi des traits de caractère que, faute d'expliquer, on se contente d'énumérer : simplicité, honnêteté, économie de type associatif, mélancolie, penn kalet…
Ces énumérations ressemblent à une défaite de la pensée. Faute de trouver une origine, une cause profonde de la spécificité bretonne, on se contente d'en décrire les manifestations.
Nous n'arrivons pas à établir une relation de cause à effet. L' "effet breton" ne se rattache à aucune cause palpable, consistante. A notre particularité, nous ne trouvons pas de raisons valables, qui auraient laissé une trace indiscutable dans notre histoire, dans notre géographie, dans notre génétique, bref quelque part.
Et si…
Et si la question de la culture devait s'envisager autrement ? En dehors des relations de causes à effets ? Oh ! Crime contre la logique ! Crime contre la raison ! Crime contre l'intelligence !
Non, non... Autre façon de voir les choses…
Dans les années 70 et 80, des agronomes et des vétérinaires réunis dans le Zoopole de Ploufragan ont élaboré une façon révolutionnaire d'approcher la santé animale. Il devenait évident que la relation de causes à effets atteignait des limites en ce domaine. Aux symptômes d'une maladie, on cherchait la cause. On la trouvait dans quelque chose de bien réel : le virus, la bactérie, le parasite. Tout le monde était content. Comment s'en débarrasser ? Encore la relation de cause à effet : le médicament, l'antibiotique pour tuer le germe infectieux.
Nos chercheurs de Ploufragan, plutôt que de chercher le germe, ont étudié les facteurs environnementaux présents, lorsque le germe fait de l'animal sain un animal malade. Un peu comme la culture bretonne, quand elle nous pénètre, fait de nous des Bretons. Ils se sont penchés sur l'alimentation, l'eau, la densité, la conduite d'élevage, l'ambiance dans le bâtiment, la vitesse de l'air. Ils ont établi des liens, non de causalité mais de corrélation, en utilisant des méthodes statistiques, comme l'analyse en composantes principales. Ils ont simplifié les modèles par les méthodes de régression logistique.
Ce n'est pas par hasard que cette approche s'est appelée "écopathologie". L'écologie scientifique s'éloigne de la pure recherche des causes pour intégrer l'environnement et tous les facteurs de risques.
Google utilise des méthodes similaires. En brassant des milliards de données issues de son moteur de recherche, il arrive à prévoir des épidémies, comme la grippe, en avance par rapport aux réseaux épidémiologiques. Les méthodes de police prédictive utilisent les mêmes algorithmes.
Et pourquoi croyez-vous que la NSA, l'espionnage américain, s'intéresse aux données de Google ou de Facebook, qui par ailleurs sont publiques ? Non pas pour trouver la cause ou même les responsables d'une menace. L'objectif est de prévoir les manifestations hostiles, avant même que l'hostilité soit déclarée. Le film "Minority Report" n'est pas loin.
Les Occidentaux voient dans cette affaire une transgression culturelle majeure. L'analyse statistique prédictive relativise la liberté et la responsabilité individuelles, piliers des cultures et des religions occidentales. C'est là, plus que dans la requête d'informations données volontairement par chacun de nous, et dont la plupart sont accessibles sur internet, que se situe le scandale Snowden.
Revenons à la culture bretonne, évolutive, insaisissable. Revenons à notre difficulté pour l'intégrer dans une rassurante chaîne de causes à effets. Sans dévaliser Google, nous pourrions établir les proximités de "culture bretonne" avec "musique", "crêpes", "honnête", "solidaire", "religiosité", "coopérative", "brezhoneg", "Nantes", etc. Nous pouvons trouver en Bretagne des connaisseurs de l'analyse en composantes principales et de la régression logistique, ou d'autres méthodes plus performantes. Nous pourrions ainsi mieux nous connaître nous-mêmes, en tant que communauté culturelle.
- Drôle de projet que tu proposes là, Jean Pierre Le Mat, entre écologie et espionnage mondial !
- Je vous l'ai dit, avec vos commentaires à ma dernière chronique, vous m'avez déstabilisé… A mon tour !
Jean Pierre LE MAT