Il convient de saluer la longue et remarquable enquête du quotidien Internet, Mediapart, qui est parue en ligne, le 12 et le 15 décembre 2013, sous la signature de Rachida El Azzouzi et de Stéphane Alliès. Elle comprend deux volets : « Le seigneur de Carhaix » et « Christian Troadec, bretonnant entre Marx et la Bible » et elle est le fruit, précisent-ils, de trois semaines d'enquêtes (par téléphone et sur Internet) et d'un déplacement à Carhaix, quelques jours avant la manifestation du 30 novembre. Elle n'est lisible que par les abonnés de Mediapart (mediapart.fr).
Le personnage central en est Christian Troadec, qualifié de bretonnant, alors que cela désigne une personne parlant breton (ce qu'il ne fait pas). Il est conseiller général du Finistère, maire de Carhaix et porte-parole du Collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », qui a organisé les manifestations massives des Bonnets rouges, à Quimper et à Carhaix en novembre 2013.
Des membres de son entourage et ses rivaux politiques, à Carhaix et plus loin, ont été interrogés et de nombreuses citations donnent un poids certain à ce travail qui trace un portrait «en ombres et lumières ». L'un des rares témoins extérieurs au monde politique est « le journaliste René Pérez, responsable des rédactions finistériennes du Télégramme », qui n'est cité que pour des remarques psychologiques et non pour ses vues sur la situation.
C'est la réelle faille du texte : on n'arrive pas à apercevoir le contexte dans lequel se déroule «la fronde des Bonnets rouges ».
Un agriculteur socialiste, opposant local au maire de Carhaix, lui lance : « Votre mouvement, c'est n'importe quoi. Il y a trop de mélange, des gens de droite, de gauche, des patrons, des ouvriers, des exploiteurs, des exploités. ». Les journalistes parisiens se rendent donc à Locarn (1) pour trouver ces grands patrons bretons indépendantistes qui manipuleraient, et Troadec, et les manifestants, mais, ils n'y rencontrent comme indépendantiste proclamé qu'un patron de très petite entreprise et, quand même, président d'un syndicat départemental de PME. Il s’agit de Jean-Pierre Le Mat. Mediapart mentionne son texte remarqué, voire prémonitoire du 31 août dernier, sans mentionner d’ailleurs le média qui l’a diffusé : l’agence Bretagne presse (voir le site)
Selon un socialiste anonyme, Jean-Yves Le Drian (1) partagerait avec Troadec et avec ces mystérieux patrons « l'idée de l'intérêt supérieur de la Bretagne et de la politique vue comme du lobbying. »
Mettre Locarn « en toile de fond ne sert-il pas à éviter d'enquêter sur l'impact social du mouvement ? C'est la trace de la théorie complotiste chère à une certaine extrême-gauche. Mediapart n’ a pas pu s’empêcher de ressortir l’absurdité que l’Institut de Locarn serait une annexe de l’Opus Dei !
Thierry Merret, homme-clé du Collectif, et président du syndicat agricole majoritaire, n'est décrit que comme « un casseur » d'après l'opinion d'un hiérarque socialiste, ce qui n'est pas étonnant, mais reste court. C'est aussi parlant que de demander à un agriculteur UMP, s'il a une bonne opinion de José Bové. La révolte des petits transporteurs qui ont été les premiers à protester contre l'écotaxe est passée à la trappe.
A partir d'un portrait fouillé de Christian Troadec, qui est une vraie réussite, on tombe dans une réduction ad absurdum de ce qui s'est passé.
Toute cette agitation paraît aux yeux des politiques interrogés un simple hors-d'oeuvre avant le vrai combat (social?) que seraient les élections de 2014 et 2015. Tout çà pour çà ?
(1) L'institut de Locarn, situé dans la commune de ce nom, à 15 km de Carhaix, est, depuis 1991, un think tank (prospective) et un lieu de formation pour des jeunes cadres, souvent en recherche d’emploi, et des chefs d’entreprises. Très peu de grands patrons en sont membres et ils y viennent rarement, au contraire de centaines de dirigeants de PME bretonnes, voire des agriculteurs. Dernièrement, l’institut a lancé Ganit afin de sauver le centre Bretagne de la désertification. Il est, parfois, décrit, et l'article en parle, comme le laboratoire politique d'une fraction radicale du patronat breton, ce que dément Jean-Yves Le Drian qui, d’ailleurs, y est souvent invité.
(2) Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, est l'ancien président du Conseil régional de Bretagne et il a invité Christian Troadec à venir le voir dans son ministère, le 6 décembre dernier.
Deux petites erreurs : Vorgium, et non pas Morgium, est le nom romain de Carhaix et c'est à Carhaix, et non à Quimper, que Jean Hourmant, ancien conseiller général, s'est vanté de de ne pas avoir été inquiété par la police pour ses activités secrètes en défense des petits commerçants.