Philippe Abjean, fondateur de la Vallée des Saints, est un homme à contre-courant. Si, à la fin du Moyen-Age, il y avait des Galilée et des Giordano Bruno qui s’opposaient à l’Église et finissaient parfois sur le bûcher, aujourd’hui on a des Philippe Abjean qui vont, eux, dans le sens contraire, à contre-courant de la déchristianisation générale qui sévit en Europe.
Les origines de la Bretagne sont bercées par deux grands mythes fondateurs. L’établissement de légionnaires britto-romains démobilisés, en particulier dans le Léon (qui veut dire « légion »), avec son premier roi breton, Konan Meriadek, issu de ces prétoriens (voir Léon Fleuriot). L’autre centré autour des sept saints fondateurs est une vaste épopée d’évangélistes prosélytes et prédicateurs venus pour la plupart aussi de cette Brittania, mais aussi d’Irlande, qui ont fait que cette Armorique, ou Brittania minor, a servi de tremplin pour reconvertir l’Europe après les invasions des « barbares ». Ce mythe fondateur est d’autant plus glorieux et sujet de fierté puisque au Ve siècle tout l’empire romain d’occident a été submergé par ces peuples venus du nord de l’Europe et du Caucase --sauf l’Armorique. Nous avons été submergés par des saints ! Du moins des chefs spirituels qui accompagnèrent les migrations des Bretons en Armorique.
Arrivé en Bretagne à Saint-Pol-de-Léon où se trouve justement le sarcophage de Konan Meriadek, constatant que les églises se vidaient, Philippe Abjean s’est penché sur ce lointain passé pour essayer de faire revivre une vie spirituelle, du moins une vie spirituelle visible car beaucoup ont une vie spirituelle que bien sûr personne ne voit.
Dans son livre Un rêve de pierre. Du Tro Breiz à la Vallée des Saints, paru aux éditions Salvator, Philippe Abjean rappelle l’histoire de ces deux belles aventures et la vision qui les a portées. La Vallée des saints est un « projet fou » visant l’érection de 1000 statues issues de ce patrimoine breton religieux dont les traces sont partout dans la toponymie bretonne. Chaque statue est financée par un ou des mécènes. Contre toute attente et contre les avis défavorables de la hiérarchie catholique et même des élus, le projet est devenu une destination touristique de premier plan. Cela a marché.
Difficile de garder le cap. Philippe Abjean n’avait sans doute pas prévu que viendrait se greffer sur l’association : une entreprise, un restaurant, des parkings, une librairie, des toilettes, un ou des spécialistes du marketing. Des pressions mais aussi des glissements moins visibles qui s’exerceraient sur l’association pour laïciser et rentabiliser le projet.
Sauf que, en janvier dernier, Philippe Abjean a démissionné de son poste de président de l’association de la Vallée des Saints, suite à des désaccords sur des choix de gestion. Il reste cependant membre du Conseil d’administration tel que le prévoient les statuts. Elie Guéguen, vice-président, a aussi démissionné mais reste secrétaire... Gilles Guymare, président de Terre de Granit, la SAS filiale de la Vallée des Saints, a aussi démissionné mais Sébastien Minguy en reste le directeur.
On ne va pas faire de l’hypocrisie de l’entrée gratuite avec un parking payant, c’est se moquer du monde...C’est gratuit car ça repose sur du mécénat, donc faire du profit à partir du mécénat, je trouve que ça pose problème d’un point de vue éthique__Philippe Abjean dans BRETONS de juillet 2020
Le nouveau restaurant perdrait de l’argent et déjà avant le confinement l’association devait combler les déficits, ce qui ne se passait pas très bien, avoue Philippe Abjean. Il a donc été proposé par le Conseil d’administration sous la présidence de Philippe Abjean de rendre les parkings payants. Oui, comme à la pointe du Raz ! Les parkings sont devenus payants après un vote de l’asso en juin 2019. Depuis le 27 juillet 2019, il vous faut payer deux euros pour garer votre voiture. En décembre dernier, le Conseil d'administration toujours présidé par Philippe Abjean a finalement voté pour l'installation de barrières automatiques, ce qui est chose faite depuis le 16 juin.
L’ex-président s’inquiète aussi du glissement sémantique vers une Vallée des Géants. « Le glissement vers une Vallée des Géants s’inscrirait de plus en plus dans les brochures au motif que cette dénomination heurterait moins certaines oreilles laïques», déplore l’auteur.
Il aurait certainement été préférable de conserver le dépouillement et la gratuité des lieux quitte à installer des troncs pour collecter les dons au lieu de portails payants. Il serait peut-être préférable, admet le directeur Sébastien Minguy, d’aiguiller une partie des dons pour la création des statues vers le fonctionnement du site, puisque légalement 15% des dons peuvent être prélevés à cet usage.
La construction du restaurant, une énorme bâtisse qui a coûté la bagatelle de 1,2 million d’euros, financée à 50% par les collectivités territoriales, a pu être une erreur, une trop grande contradiction avec la simplicité, la modestie, voire l’ascétisme des personnages qui dominent cette colline, et dont le message, rappelons-le, est tout à fait actuel ( voir notre article ). La librairie était-elle nécessaire à l’époque d’internet et de wikipedia ? Selon le directeur, elle, ne serait pas en déficit et il faut reconnaître qu’elle permet a de nombreux touristes de découvrir l’histoire de Bretagne en plus de pouvoir se munir d’un des guides de la vallée plutôt bien faits. Selon le directeur, ce qui poserait problème, ce serait des coûts non prévus comme la construction et la maintenance de toilettes publiques obligatoires pour un montant de 30 000 euros par an.
Ce livre est à la fois la biographie d’un visionnaire et un témoignage sur les enjeux et les difficultés de la construction du sacré.