Un livre étonnant, très complet, sur la cuisine des algues pour débutants comme pour experts, publié en 2016 par les Presses de l'EHESP basées à Rennes. Bien organisé et bien documenté. Une collaboration haute en couleur de 14 experts.
Il y a des textes japonais très anciens (1) qui préconisent l'utilisation d'algues comme remède. On en parle aussi dans le Materia Medica chinois publié en 2700 av. J.-C. En 600 av. J.-C. , le scribe chinois Sze Tseu écrit que "certaines algues sont un délice qui s'accorde avec le plus honoré des invités, et pour le roi lui-même".
Au Chili, on a retrouvé des traces de neuf espèces d'algues à Monte Verde sur un site archéologique qui date de 14 000 ans et plus, habité avant la dernière glaciation, on y mangeait déjà des pommes de terre http://decouvertes-archeologiques.blogspot.fr/2008/05/chili-de-nouvelles-fouilles-monte-verde.html.
Plus près de nous, en Bretagne, on a constaté que les algues sont ramassées et séchées comme combustible dès le néolithique. D'après Guy Prigent, qui a collaboré au livre, les moines ermites (les saints bretons), venus d'Irlande et de Grande-Bretagne évangéliser et coloniser l'Armorique, consommaient la duilsig, la dulse (Palmaria Palmata) l'algue verte courante qui pollue nos plages mais qui est excellente à la consommation si cueillie vivante. Les vikings en emportaient aussi sur leurs drakkars et en récoltaient sans doute durant les escales. En Bretagne les algues ont trouvé de nombreuses utilisations, pour nourrir les bêtes, pour confectionner des matelas ou pour nourrir les feux de cheminées (le varech, un fucus) tout spécialement dans les îles dépourvues de bois, ou pour fertiliser les champs (le baodrez) et en cuisine pour gélifier les entremets (ma grand-mère nous envoyait chercher ces algues rouges, le chondrus crispus, aussi appelé le goémon blanc). Au XIXe siècle on a récolté le goémon pour en extraire la soude via des fours à goémon en pierre qui peuplent le littoral du Finistère. La soude était revendue aux usines de produits chimiques. Une tonne de goémon produisait 50 kg de soude et 1 kg d'iode seulement.
La consommation alimentaire d'algue est récente en Europe. Elle a débuté avec l'arrivée de restaurants japonais proposant makis roulés dans une algue rouge, du nori et salade de wakame (une algue brune-verte arrivée en Bretagne lors d'importations d'huîtres d'élevage japonaises). Petit à petit cette cuisine japonaise a fait son entrée dans nos cuisines, beaucoup se sont aventurés à faire des sushis et les makis avec du nori importés du Japon !
On ne cultive pas encore de nori en Bretagne mais une économie basée sur la récolte et l'élevage d'algues est en plein développement. Si de nombreuses start-up s'aventurent dans la cosmétique marine, dans la confection de tartares d'algues ou la vente d'algues alimentaires séchées, un géant breton de l'algue, Olmix, est en train de naître. Financé par la banque de Chine, Olmix exporte 40 % de sa production.
Toutes les algues sont bonnes à la consommation et donc elles sont bien plus faciles à récolter que les champignons à condition de bien choisir sa marée car certaines espèces ne sont accessibles qu'aux grandes marées basses. Pour les algues sur pieds, éviter de les arracher mais les couper. Mettre de bonnes chaussures comme des chaussures de randonnées que l'on rincera au retour. Rincer et sécher les algues au soleil ou sur un séchoir à linge en intérieur mais surtout ne jamais les laisser la nuit dehors car la rosée les rendra inutilisables.
Par chance les laminaires sont les algues les plus communes et aussi une des plus comestibles si on sait les préparer ( voir notre article ). Laminaria Digitata en latin, laminaire ou Kombu breton en français, Bezhiñ Tali-moan en breton, kelp en anglais, cette algue est un trésor breton à portée de tous. Les laminaires ont des propriétés anti-cancer en plus de pouvoir favoriser l'élimination des métaux du corps.
Le défi pour la consommation d'algues en tant qu'alimentation c'est la préparation. La préparation culinaire des algues ne fait pas partie de notre culture et ce livre essaye de répondre à ce vide. Écrit pas un collectif composé d'Hélène Marfaing, de Julien Lemarié, de Pierre Mollo, de Johane Vigneau sous la coordination du Dr Danièle Mislich, on notera la présence de nombreux contributeurs bretons dont le photographe Tugdual Jegou et notre passionnée d'algophilie : Régine Queva http://www.reginequeva.fr/AlguesAndCo/Accueil.html qui organise des stages comprenant récolte et cuisine, du chef étoilé du Lecoq-Gadby de Rennes qui a passé 5 ans au Japon et de Catherine Le Joncour-Petit, auteure et chef du restaurant Ty Mad à Plestin Les Grèves, spécialisé dans la cuisine aux algues. Ce mélange de chefs, de scientifiques et d'ethnologues est un plat très réussi.
(1) ne datant certainement pas de 6.000 ans comme l'écrit le livre, sans doute une coquille.