Le 8 avril 2022, 75 des 83 membres du Conseil de la Région Bretagne ont voté un vœu en faveur de l’obtention d’une autonomie législative, réglementaire et fiscale pour une Bretagne réunifiée. Seule la représentation du RN a voté contre. Les auteurs du texte initial, à savoir les 6 élu-e-s du groupe d’opposition Breizh a-gleiz, autonomie, écologie, territoires, ont été les premiers surpris par l’ampleur de ce vote favorable. Bien entendu, le contexte du moment a joué, à savoir le premier tour d’une élection présidentielle deux jours plus tard et des élections législatives dans la foulée. Pour autant, que les représentant-e-s de partis politiques hexagonaux au Conseil de la Région Bretagne, aussi différents que les Républicains ou le Parti communiste français, aient pu considérer qu’il était préférable, dans le contexte électoral en question, de voter en faveur d’un tel vœu plutôt que voter contre ou s’abstenir, il faut déjà y voir un événement politique en soi.
Depuis le mois de juin, un groupe de travail transpartisan réunit tous les groupes politiques du Conseil régional qui ont voté le vœu du 8 avril. Loïg Chesnais-Girard en a confié la présidence à Michaël Quernez, premier vice-président. La mission de ce groupe de travail est de produire des propositions d’actions et de prendre lui-même des initiatives pour traduire en actes le vœu du 8 avril. Ce groupe de travail s’est réuni trois fois. Ces premières réunions ont été l’occasion de définir une « feuille de route », d’auditionner quelques experts et de confronter les approches respectives des groupes politiques quant au concept d’autonomie.
Cette étape qu’on peut dire d’acculturation de groupes politiques aussi divers au principe d’autonomie d’un peuple ou d’une région, étape propre à l’institution régionale, était, selon moi, incontournable. Car si le vœu du 8 avril est le bien commun de tous les membres du Conseil de la Région Bretagne qui l’ont voté, si les 75 élu-e-s en question en sont les dépositaires, si ce texte les engage aussi bien à titre individuel que collectivement, pour autant le co-rédacteur du vœu du 8 avril que je suis n’a pas perdu toute sa lucidité. Le Conseil de la Région Bretagne ne compte pas subitement 75 élu-e-s autonomistes. Cela se saurait...
Alors, comment expliquer le vote du 8 avril ? Au-delà du contexte électoral que j’ai rappelé en introduction, les 75 élu-e-s en question ont compris que le « modèle » régional existant est arrivé en bout de course. Car la Région Bretagne n’a quasiment plus aucune autonomie fiscale – le pouvoir central l’ayant rognée au fil des années depuis le quinquennat Sarkozy – et les dotations d’État qui sont supposées la remplacer sont gelées tandis que les dépenses obligatoires de la Région, elles, connaissent en 2022, sous l’effet de l’inflation, une augmentation non prévue de l’ordre de 4 % (50 millions d’euros). Le vice-président aux finances ne cache pas qu’il ne sait pas comment la Région Bretagne pourra assumer ses compétences en 2023. Quant au budget 2024, c’est carrément voyage en terre inconnue… Et cette réalité-là est partagée par toutes les régions en France. Il faut savoir que les collectivités territoriales, contrairement à l’État, n’ont pas le droit de voter un budget en déficit, ni le droit d’emprunter pour financer des dépenses de fonctionnement, par exemple le fonctionnement courant des lycées ou le service des transports (TER, transport scolaire, desserte des îles…). Donc, si le «modèle » régional à la française n’est pas profondément révisé dans un futur proche, l’état de cessation de paiement viendra vite.
Face à cette situation que le pouvoir central a imposée aux régions, il n’existe que deux portes de sortie :
- soit une abolition pure et simple des Conseils régionaux (certains en rêvent toujours à Paris…) et une régression d’un demi-siècle,
- soit une refonte de la régionalisation pour rapprocher la France de ce qui existe depuis plusieurs décennies déjà dans les autres États européens de grande taille, à savoir des recettes fiscales ou financières sécurisées et la capacité d’intervenir sur le cadre juridique d’exercice des compétences reçues par la loi.
Je crois pouvoir affirmer, sans craindre d’être contredit, que les 75 membres du Conseil de la Région Bretagne qui ont voté le vœu du 8 avril sont toutes et tous des partisans de la seconde porte de sortie. De là à s’entendre sur le contenu d’une autonomie pour la Bretagne, il y a plus qu’un pas... Or, l’exercice de confrontation des approches de l’autonomie, dans l’optique de trouver un socle de convergences, est indispensable avant de vouloir entrer en négociation avec le pouvoir central. Sinon, c’est peine perdue. C’est ce que Gilles Simeoni, le président de l’exécutif de la Collectivité de Corse, a bien compris, lui qui, pourtant fort d’une majorité absolue des sièges, a choisi d’embarquer dans la négociation qui s’est ouverte avec le gouvernement français depuis juillet tous les groupes politiques de l’assemblée corse, mais aussi tous les parlementaires corses, les maires des deux villes principales que sont Ajaccio et Bastia et des représentants des communes plus petites. Ce premier résultat, Gilles Simeoni ne l’a pas obtenu d’un coup de baguette magique. C’est le résultat d’un processus d’affirmation politique de la Corse qui s’est construit sur plusieurs décennies. En Bretagne, nous devons suivre la même méthode… mais en accéléré !
C’est là un exercice complexe et délicat qui relève bien davantage de la broderie glazig que de l’entrée tonitruante d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Pour que la Bretagne obtienne sa réunification et des avancée significatives vers son autonomie réelle, c’est-à-dire la faculté de dire le droit dans les domaines de compétence qui lui ont été ou qui lui seront transférés, il va falloir réunir deux conditions, indissociables l’une de l’autre :
1) construire un mouvement populaire en faveur de cette autonomie, un mouvement qui soit organisé par la société civile elle-même,
2) obtenir le soutien réel d’une majorité d’élu-e-s, non seulement au Conseil de la Région Bretagne mais aussi dans les autres collectivités bretonnes et parmi la représentation bretonne à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Que la société civile bretonne prenne des initiatives publiques pour faire valoir la revendication d’une Bretagne réunifiée et autonome, qu’elle prenne ces initiatives à l’instigation notamment d’associations citoyennes ou culturelles, c’est non seulement légitime, mais c’est indispensable. C’est indispensable pour peser d’un poids suffisant face au pouvoir central et face à tous les tenants du jacobinisme qu’on sait à la fois puissants et très jaloux des privilèges que le système en place leur garantit.
Voilà pour la première condition
Quant aux 75 membres du Conseil de la Région Bretagne qui ont voté le vœu du 8 avril, elles et ils ont une responsabilité partagée, celle de défendre les objectifs de ce texte et de le porter auprès des Bretonnes et des Bretons comme auprès du pouvoir central et des autres parties prenantes du dossier (conseils départementaux, communes...) d’une façon solidaire et coordonnée. Oui, d’une façon solidaire et coordonnée. Toute démarche politicienne qui consisterait à tirer la couverture à soi ne pourrait qu’affaiblir cet indispensable « front démocratique breton » car elle braquerait inévitablement les autres sensibilités politiques représentées au Conseil régional. Jouer collectif, ce n’est pas courant dans la vie politique, et pourtant c’est la règle de conduite à tenir si l’on veut parvenir à un résultat positif pour la Bretagne et le peuple breton.
Voilà pour la seconde condition
Le temps viendra où les deux démarches, celle de la société civile et celle des élu-e-s, devront converger pour que la revendication bretonne puisse avancer sur ses deux jambes. Et le plus tôt sera le mieux. En cela, l’exécutif du Conseil de la Région Bretagne a une responsabilité majeure. Mais hâter la rencontre ne servira à rien et sera même contre-productif si cela doit se faire au détriment du rassemblement le plus large des élu-e-s de Bretagne autour d’un projet commun à négocier avec le pouvoir central.
Christian Guyonvarc’h
membre du Conseil de la Région Bretagne,
membre du groupe de travail transpartisan sur l’autonomie d’une Bretagne réunifiée
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