Le groupe alimentaire Norac a acquis la reproduction en miniature de la statue de louis XIV qui se trouvait avant la Révolution place du Parlement de Bretagne, au prix de 2,3 millions d’euros. Cette statue fut édifiée en son temps pour renforcer le pouvoir royal après la révolte des bonnets rouges et la terrifiante répression infligée à la ville de Rennes et aux paysans bretons coupables de défendre leurs libertés.
L’œuvre doit être transférée au musée des Beaux-arts de Rennes et inaugurée en grande pompe le samedi 17 septembre 2022.
Je m’interroge. Faut-il à nouveau célébrer le culte de la grandeur nationale pour marquer les esprits d’un sceau indélébile ? La démocratie chancelante, le lien social en perdition justifient-ils le retour de ce type de propagande ? Ces gens cultivés ne peuvent pas ignorer ce que signifie le retour de Louis XIV sur le lieu de ses crimes.
Le PDG du groupe Norac se dit heureux de cette « plongée dans l’histoire de la Bretagne ». Mais de quelle histoire parle-t-il s’il ne songe pas un seul instant à évoquer le sort des victimes du « grand roi » ? C'est comme si les victimes disparaissaient une seconde fois.
Ce qui réunit les hommes, ce n’est pas le sentiment d’une grandeur partagée ou la crainte du puissant, mais avant tout le lien de justice. Est-il juste de replacer à Rennes la statue de celui qui réprima aussi durement la même ville, coupable d’avoir su dire non à sa volonté d’impérialisme et à l’augmentation des impôts pour financer ses guerres de conquête ? « La bourse du Roi profonde comme la mer, comme l’enfer toujours béante », affirme une Gwerz de l’époque.
C’est ce roi qui jeta son armée du duc de Chaulnes pour martyriser Rennes et toute la Bretagne révoltée des papiers timbrés. Même si on ne l’enseigne pas dans nos écoles, la ville de Rennes et les Bretons s’en souviennent. Il suffit de regarder nos églises du pays bigouden au clocher rasé, de songer aux viols de masse dans les cités traversées par les dragons. Sous chaque arbre ployait un pendu. La marquise de Sévigne trouvait cela …distrayant. C’était en 1675.
2,3 millions d’euros, défiscalisés à 90%. Il s’agit bien d’argent public.
Est-il juste de payer 2,3 millions d’euros pour une réplique de statue lorsque la politique linguistique de la région Bretagne n’accorde que 8 millions d’euros pour sauver deux langues d’une mort programmée ? Si nous replaçons ce type de dépense sur l’échelle des valeurs, c’est à désespérer de la dépense publique.
N’y-a-t-il pas des causes plus nobles justifiant une telle dépense ?
Il est juste en démocratie de questionner la dépense publique. Les mœurs ont évolué et on risque moins d’être pendu. Si l’on me demandait mon avis, je proposerais de mettre cette statue aux enchères pour la revendre au plus offrant et de consacrer la moitié de la somme obtenue aux associations culturelles bretonnes et l’autre moitié aux associations caritatives.
Alors on me répondra : « mais vous ne comprenez rien à l’art ». Sans doute, oui ! Mais je ne souffre pas de préférer n’importe quelle représentation artistique à celle d’un tyran assis sur son cheval !
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