Ainsi la Bretagne est la grande laissée pour compte de la mise en place de nouvelles routes maritimes suite au Brexit. Les ports bretons étaient pourtant les escales continentales les plus proches de l’Irlande, mais comment s’étonner finalement d’une annonce aussi catastrophique pour notre économie locale ?
Comment s’étonner quand on regarde l’histoire maritime de la Bretagne, et l’Histoire tout court, ce qu’il convient de faire régulièrement pour bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui, quand on réalise que depuis l’annexion de la Bretagne, Paris n’a eu de cesse de nous écarter des routes maritimes marchandes.
Ainsi, avant l’annexion, dans la Bretagne ducale, l’historien Jean-Christophe Cassard rappelle que : « la mer est bien redevenue leur chose tant par les emplois de marins qu’elle procure que par les profits multiples qu’elle génère dans le duché. Nombreux sont aussi les intermédiaires intéressés de près ou de loin à l’armement maritime en ces années. Tout cet argent gagné au large ne retourne pas à la mer, mais s’investit dans des placements en terres ou des constructions au goût du jour : une partie de la parure monumentale de la région, si appréciée aujourd’hui par les touristes, vient de là... »
Plus tard, et jusqu’à la révolution, et malgré le colbertisme qui décide essentiellement des intérêts financiers de l’Hexagone en fonction des besoins de Paris, malgré surtout la militarisation des ports bretons par Vauban, entre autres, on évoque encore, sur le site de la Région Bretagne, un âge d’or maritime breton : « Du XVle au XVllle siècle, le lin et le chanvre sont cultivés en Bretagne pour leurs fibres utilisées principalement dans la fabrication de toiles. Leur transformation et leur commerce génèrent une activité économique intense. La Bretagne est alors l'une des premières provinces toilières françaises. Les toiles de chanvre qu'elle produit équipent une grande partie des marines européennes, ses toiles de lin sont exportées vers l’étranger. Cette activité toilière a des conséquences importantes sur le plan économique, démographique et artistique. »
Après la révolution, et l’hyper centralisation qui va en découler, la Bretagne perd cette fois toute maîtrise de son activité maritime. L’activité militaire, avec la proximité de l’Angleterre, va en effet devenir prioritaire, et le seul commerce au long cours sera celui effectué avec les colonies.
La Bretagne, dès lors gouvernée totalement depuis Paris, va surtout rater la marche de la révolution industrielle, car cet abandon des objectifs maritimes commerciaux en Bretagne de la part du gouvernement va entraîner des lacunes irréparables dans les transports intérieurs bretons et dans les connexions de notre péninsule avec le reste de l’Europe. En effet, le trafic commercial devenant limité dans les ports bretons, il n’y a pas eu de développement du fret ferroviaire au cours du siècle dernier en Bretagne. Mais ce phénomène rejoint une autre caractéristique française, à savoir un retard criant dans le ferroutage dans tout l’Hexagone en comparaison de ses voisins européens.
Ainsi, si l’on observe les trois grands axes de fret ferroviaire qui traversent l’Hexagone (sur les neuf au total qui irriguent l’Europe, les autres concernant principalement l’Italie, l’Allemagne, l’Europe Centrale, les Pays Scandinaves et la Pologne), on remarquera que la Bretagne reste cruellement à l’écart, à l’exception de Nantes-Saint-Nazaire (connexion efficiente depuis peu d’années). On notera en parallèle, à l’opposé, qu’un pays comme le Portugal, lui aussi périphérique, et pourtant bien plus éloigné de la Mégalopole Européenne que la Bretagne, a connecté tous ses grands ports au réseau de fret ferroviaire européen, à savoir les ports de Porto-Leixoes, Lisbonne et également Sines (le port de Sines est un port artificiel dont l’édification a commencé dans les années 1970 et qui est un aujourd’hui la porte d’accès principale du Portugal pour les conteneurs, le gaz naturel, le pétrole et ses dérivés). On remarquera également, dans ce réseau européen dédié au fret ferroviaire, que l’axe atlantique et l’axe bar freight corridor (méditerranéen) desservent la plupart des grands ports espagnols : Algesiras, Almeria, Valence, Alicante, Tarragone et Barcelone, et Bilbao.
Quand, pendant ce temps, sous gouvernance de la France, la Bretagne est restée définitivement à l’écart de ces axes de fret ferroviaire européen, en dehors du port de Nantes-Saint-Nazaire donc (quand le port du Havre est lui parfaitement connecté), et ce malgré la position idéalement avancée dans la mer de notre péninsule (la Northern Range, une des routes maritimes les plus importantes au monde passe à quelques encablures de la pointe Bretagne) et des sites maritimes idéaux. Malgré tous ses atouts donc, la Bretagne ne possède aucun port de marchandise d’importance européenne, ni connexion suffisante au réseau ferré européen... Rappelons pour mémoire que la Bretagne n’a pas réussi non plus à accueillir un chantier de déconstruction maritime.
Car cette incurie de l’État français quant à l’équipement des ports bretons a été cruellement mise en lumière lors de l’épopée tragi-comique qui a précédé le démontage du porte-avion Clemenceau en 2009. Après une première phase de démolition à Toulon en 2004/2005, qui a donné lieu à une énorme escroquerie et des mises en examen en cascade, le bateau a été remorqué de Toulon à l’Inde, où il a été refusé à cause de la quantité astronomique d’amiante qu’il contenait. Le bateau a fini par revenir à Brest en 2008, là où il avait été construit, et dans l’attente d’une solution pour sa démolition. Le périple ayant déjà coûté une fortune au contribuable français, les autorités politiques centrales mais aussi brestoises, ont commencé à évoquer la création d’un chantier de déconstruction à la pointe bretonne, mais le projet d’importance est resté, comme souvent en Bretagne, lettre morte. Le Clemenceau s’est donc fait remorquer à nouveau pour aller se faire déconstruire par la société Able Ship Recycling sur la rivière Tees, en Grande-Bretagne, pays de la Royal Navy, des vainqueurs de Trafalgar, et des destructeurs du cuirassé Bretagne à Mers el-Kebir en 1940...
Au-delà du ridicule entourant toute l’opération et du grinçant clin d’œil historique, cet épisode illustre bien que cette république est incapable de veiller aux intérêts maritimes bretons.
Comment alors s’étonner de ce qui vient de se passer avec le fiasco breton sur le Brexit ? Et qu’ont pu faire les ministres bretons, dont certains poids lourds, les députés, les maires des grandes villes portuaires bretonnes, et surtout le président de Région ? Rien. Parce que Paris a décidé il y a bien longtemps que ses intérêts ne coïncidaient pas avec les intérêts du développement de la Bretagne. Ainsi tous nos élus, aussi capés soient-ils, sont totalement démunis face à un état de fait qui remonte à des politiques françaises anciennes, quand la seule solution valable serait de connecter les ports bretons au réseau ferré européen ; un investissement qui s’annonce colossal et que la France est bien incapable de faire. Elle n’en a jamais eu envie de toutes les manières.
Quid erat demonstratum ! Si on veut que la Bretagne ait un jour une chance de se développer intelligemment, en tenant compte de ses propres atouts, il ne faut plus laisser Paris décider pour nous. Il nous faut également renvoyer à ses chères études une classe politique bretonne inféodée à Paris, impuissante de fait, et qui n’a jamais pu ou voulu relever les défis d’importance pour notre pays.
Frank Darcel, président de Breizh Europa