Erwan est né à Alger de parents pieds noirs de longue date. Il a seulement un grand-père breton qu’il n’a pas connu. Né en 1940, il vit tout près des massacres de Sétif qui fragmentent une société jusque là inégalitaire mais multi-culturelle où le « Pied noir » parle un peu les langues de l’indigène (arabe et kabyle), le français ou l’espagnol et réciproquement, loin d’une France qu’il n’imagine qu’avec peine. Les fractures se multiplient avec les violences de la guerre et de la répression.
Organisateur et tribun précoce, militant toujours
A la faveur d’un voyage en Bretagne, Yvon transfère son identité vers la Bretagne, commence à apprendre le breton, écrit dans la page des « jeunes bretons » de la revue Al Liamm, fonde en 1956 une association de jeunes apprentis bretonnants dispersés (KAVY) qui vont correspondre pendant l’année et se retrouver l’été en stage autour d’un aîné, Ronan Huon : Guénolé Le Menn, Yann Ber Piriou, Donatien Laurent, Alan Cochevelou, Gwennael et Mona Mazé et d’autres (photo).
En 1957, bac en poche, Erwan débarque à Paris, en classe préparatoire, fuyant le conflit qui s’amplifie, sort commun à la plupart des Pieds noirs. Il atterrit comme instituteur dans le Morbihan intérieur, choisi comme terre d’implantation. Il retourne en Algérie comme appelé et instituteur en 1965. De retour 2 ans après, il comprend mal le «mai 1968 » étudiant qu’il trouve « bourgeois » après avoir vécu tout près de Bab el Oued.
Devant le recul de la langue, abandonnée par les parents d’élèves, Erwan est au premier rang pour la fondation de Galv –Comité d’action pour la langue bretonne- en 1969, cartel progressiste unissant Ar Falz, UDB et JEB étudiante. Tant à la fondation à Brest devant un amphi comble, que lors du rassemblement de Carhaix ou la grande marche des droits linguistiques entre Plouay et Lorient (1971), Erwan Evenou se révèle homme d’action, organisateur, l’un des meilleurs tribuns de sa génération. Il s’était choisi breton. Avec la publication d’une plaquette collective appelée « le livre blanc et noir de la langue bretonne » et de nombreuses marches non violentes locales.
Il aide des jeunes proches de l’UDB à s’ organiser en mouvement autonome (JPB), avec un journal régulier, Ni. Echec partiel, puisque le mouvement quitte l’UDB et ses adhérents rejoignent pour partie les maoïstes ou l’anarchisme. Erwan vit très mal cet échec.
Entre deux colonisations
Au Faouët où il enseigne l’anglais, et dans les environs, la guerre entre laïcs majoritaires et cléricaux condamne le pays au déclin, ce que dénonce le candidat Evenou lors des premières élections législatives avec participation du parti breton de gauche en mars 1973. Il dépasse largement les 3%, triplant ou quadruplant cette moyenne dans des commune rurales laminées par l’émigration. Il sera plusieurs fois candidat aux élections cantonales.
Mais l’appel du pays natal demeure fort et c’est le retour, cette fois en famille, en Algérie comme enseignant coopérant. Ses enfants bretonnants apprennent aussi l’arabe, ce qui est rare chez les coopérants. Mais la montée de l’islamisme et de la guerre civile met fin à cette tentative, où il découvre une Algérie mal gérée et policière qui dilapide ses atouts et qui n’accepte plus la différence.
De retour au Faouët, Erwan enseigne l’anglais et le breton dans son collège et obtient le Capes de breton en 1986, année de sa mise en place. Il soutient une thèse sur le breton de Lanvénégen et devient inspecteur pédagogique de breton, une situation inconfortable entre le marteau administratif jacobin et l’enclume des faibles moyens dédiés à l’enseignement du breton. Ombrageux, impatient, Erwan n’est sans doute pas fait pour cette fonction complexe où l’inspecteur n’est guère reconnu par ses collègues et ses supérieurs, à la mesure de la non reconnaissance de la langue. Avec deux brefs intermèdes plus favorables correspondant aux passages comme ministre de l’Education de François Bayrou, puis de Jack Lang.
Par ailleurs, Erwan s’est beaucoup investi localement et au niveau breton dans les instances du Gouren. Notre dernière rencontre s’est faite dans le hall du Conseil régional, où il venait défendre l’aide à ce sport breton important et moi à l’histoire de Bretagne.
Chez les Bretons, Erwan Evenou demeure très critique sur ses nouveaux compatriotes, quitte à y déceler des attitudes de colonisés qu’il avait déjà repérées chez ses frères algériens (2).
Sur tous les fronts
- On imagine mal tous les efforts que cette génération qui ne fait pas de très vieux os a dû fournir. Sur le plan professionnel, le militant doit beaucoup donner pour que le monde extérieur et la hiérarchie n’imputent pas au militantisme une insuffisance dans l’effort. Erwan Evenou a été un enseignant d’anglais puis de breton engagé syndicalement.
- Sur le plan culturel, le combat est sans fin et difficile ; il s’accompagne du « parfum violent d’une patrie à construire » dont a pu parler Paol Keineg. Erwan participe à la création culturelle en publiant en breton, poèmes et prose. Il laisse donc une œuvre littéraire et poétique publiée, en breton et en français. Son œuvre est aussi présente dans l’anthologie bilingue de Yann Ber Piriou, Défense de cracher par terre et de parler breton.
- L’avancée culturelle exige des changements légaux, ce qui nécessite en plus un engagement politique, lui aussi particulièrement lourd et ingrat, dans l'un des secteurs les plus figés et vieillis de Bretagne. Dans le cas d’Erwan Evenou et des siens, le tout s’est accompagné de l’effort réussi de vivre la langue bretonne dans l’espace familial et de la transmettre. S'y ajoute la volonté de faire vivre un sport breton pour les jeunes. D’où son engagement constant et à plusieurs niveaux dans la défense et la promotion du Gouren.
- La seconde question, que suggère déjà le titre de l’article, est en fait une réponse. Quand j’ai rencontré mon aîné Loeiz Le Bec, historien comme moi, mais engagé avant moi et pour qui la guerre d’Algérie a été également un élément marqueur (comme combattant obligé), il m’a tout de suite précisé : « on ne naît pas breton. On se choisit breton ! ». L’exemple d’Yvon Evenou, devenu « Erwan » par choix, en est une illustration supplémentaire.
- La troisième question est celle de l’identité : peut on en avoir plusieurs ? Erwan était un Algérien. L’Histoire ne lui a pas permis de continuer à l’être. Ce fut pour lui comme pour beaucoup d’autres« la valise ou le cercueil », menace clairement écrite sur les murs d’Alger. Ce fut pour d’autres seulement le cercueil. Son grand-père breton et quelques séjours ont été suffisants pour qu’il puisse se trouver un pays de rechange et s’y impliquer totalement. Souhaitons que beaucoup d’autres personnes fassent cette découverte positive qui a donné sens à son existence.
(1) successivement R.Leprohon, P.Le Padellec, Y.Fichou, YC Veillard, Y.Donguy, D. Laurent, et dans un autre registre, Alexis Gourvennec, liste non exhaustive…
(2) voir son autobiographie en français "Le Coq, l'Hermine et le Croissant", Ouestélio, 2012