En apparence, le transport routier breton va mieux et les participants à la fronde contre l'écotaxe en 2013 (mouvement des Bonnets rouges) vaquent tranquillement à leurs affaires. En réalité, l'utilisation légale ou non de chauffeurs roumains permet aux entreprises du Sud de l'Europe, déjà avantagées par des contraintes légales et fiscales légères, de concurrencer encore plus les transporteurs bretons et les producteurs en Bretagne. En retour, certains transporteurs bretons font de même.
Pourtant, certains mènent une guérilla contre les camions étrangers, dont quelques échos filtrent dans les médias qui, disciplinés, ne relatent pas tout ce dont ils ont connaissance.
Il est plus facile de rendre compte des « opérations commandos » des agriculteurs, car il y a une forme d'habitude et de résignation à leur égard.
Un grand quotidien a relaté que, dimanche 7 juin, vers 23 heures 30, un chauffeur roumain, conduisant un camion espagnol et venant d'Espagne, a été victime d'une embuscade, à Saint-Évarzec (près de Quimper), montée « par une trentaine d'agriculteurs ». La cargaison de jambons, destinée à une filiale d'Intermarché, a été incendiée. Le chauffeur a été extrait de force de la cabine et malmené au point de devoir être envoyé à l'hôpital (interruption de travail de 3 jours). Au petit jour, quatre tracteurs iront déverser des gravats et des produits agricoles pour bloquer l'entrée de l'hypermarché Leclerc le plus proche, accusé aussi de vendre « la viande de nulle part ».
Mais les convois étrangers subissent une autre forme de « violence », celle qui évite de détruire du matériel et de toucher aux hommes. L'arme, très probablement maniée par des transporteurs et/ou leurs salariés, est la bombe de peinture noire pour obscurcir les pare-brises et les vitres latérales et couvrir d'inscriptions la bâche de couverture.
Le 4 juin, Ouest-France a relaté l'arrestation de deux personnes qui ont avoué avoir peinturluré 17 camions sur l'aire de repos de Saint-Guyomard (NO de Vannes), et mentionne 70 camions, venant surtout de l'Europe de l'Est, « décorés » en 3 mois depuis une première action le 8 mars.
Les observateurs extérieurs au transport mentionnent des actions beaucoup plus nombreuses en Bretagne, loin d'être toutes rapportées. La même chose était arrivée au début de 2014, quand des portiques et des bornes radar ou non brûlaient un peu partout en France.
Le mécontentement des professionnels est renforcé par le contournement de la loi qui interdit aux camions non français de pratiquer le « cabotage » (ramassage de plusieurs petites cargaisons).
Il suffit d'avoir un petit camion, dont le chauffeur reste une semaine en Bretagne, y dormant et se nourrissant à bas coût. Il collecte des petits chargements et un gros convoi vient ensuite ramasser en douce l'ensemble des chargements, qui, en apparence, ne viennent pas des producteurs. Le système peut être inversé, le gros camion ravitaillant plusieurs petits.
On dissimule le thermomètre, mais s'il survient un autre épisode impliquant agriculteurs et transporteurs, dira-t-on, l'air faussement surpris, « mais, pourquoi protestent-ils sans prévenir ? ».
Note 2 : La présence de nombreuses entreprises de transport routier liée à la multiplicité des chargements agricoles est un trait distinctif de la Bretagne et explique la fréquence particulière des actions professionnelles spectaculaires
Christian Rogel
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