Depuis que je suis militant, je ne cesse de m’interroger sur les raisons qui font que rien ne change en Bretagne et que nous poursuivons notre descente aux enfers.
Pourquoi une idée aussi naturelle que l’autonomie peine-t-elle encore à percer dans nos esprits ?
Pourquoi lorsque le pouvoir régional breton s’avise de solliciter l’autonomie le fait-il sans jamais oser prononcer l’expression « peuple breton » ?
Pourquoi s’accorde-t-on sur la nécessité d’un avenir pour nos langues mais sans jamais y consacrer des moyens décents ?
Le discours pro-langue n’est souvent qu’une façade, un passage obligé. On en dirait autant de la réunification de notre territoire historique
Pourquoi les Bretons s’accommodent-ils sans réagir d’une partition arbitraire de leur territoire historique ?
Pourquoi sommes-nous incapables de nous réunir au sein d’un vaste mouvement politique breton pour reprendre notre destin en main ?
Pourquoi n’envisageons-nous pas encore l’avenir sans l’aval des partis parisiens ?
Pourquoi, si souvent, n’osons-nous pas ?
La réponse est à la fois simple et terrifiante.
La force des représentations. Nous sommes victimes d’une représentation collective qui a pris possession de nous et qui postule notre secondarisation en tant que groupe humain. Voici pourquoi nous acceptons sans broncher toutes les manifestations de notre secondarisation.
Une piètre idée de nous-mêmes va de pair avec l’inféodation au système politique France, lequel repose sur l’assujettissement d’autrui, ou la capacité à se projeter vers l’Autre sur le mode colonial, confiant dans la supériorité de sa langue et certain d’incarner « la civilisation ».
Nous croulons toujours sous le poids de cette représentation collective qui, par là-même, est à la source de notre secondarisation factuelle en tant que groupe humain.
Que valent les Bretons aujourd’hui dans l’espace politique français ? Pas grand-chose à l’évidence. Une zone de repli touristique par temps de covid où persistent encore ça et là quelques personnalités exotiques. Mais des gens qui ont baissé pavillon, pour devenir des Français à part entière et qui ne constituent même plus une menace. Ouvrons les yeux : Les Bretons ne sont pas un groupe porteur au sein de la République française. Et pourquoi en serait-il différemment ? Notre image au sein des médias français est inexistante sinon désastreuse.
La vie n’est faite que de rapports de force et d’une hiérarchie sociale impitoyable. Il en va des hommes comme des peuples.
Il n’émerge de la Bretagne que quelques grands responsables politiques marqués par la vassalité et le carriérisme. Quelques grands milliardaires aussi. Mais la Bretagne, c’est surtout une masse de gens anonymes qui forment la classe moyenne, attachés à leur vieux pays, mais qui sont en train de le perdre aujourd’hui.
Le peuple breton, ou ce qu’il en reste, se situe vers le bas de la hiérarchie sociale. La langue n’est plus qu’un discours pour élus ou sachants en mal de diversité. Nous sommes absents de l’histoire officielle. Les Bretons n’imaginent pas réussir dans leur vie professionnelle ou artistique sans l’aval de Paris.
Ils ne bénéficient même pas de la protection de leur dignité en cas d’injures ou d’incitations à la haine raciale en ce que la jurisprudence ne les considère même pas comme un groupe humain distinct, lorsque tant d’autres communautés bénéficient de cette reconnaissance. Les Bretons existent suffisamment pour se faire cracher dessus.
Toutes les grandes politiques nationales négligent superbement les intérêts bretons. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois pas de peuple ayant gâché autant d’opportunités, par bêtise, vassalité ou intérêt personnel.
La sanction est immédiate pour ceux qui ont renoncé à être. Ils perdent leurs avantages les uns après les autres. Qui peut encore parler de maritimité bretonne après autant de reculades avec l’aval de nos élus ? Ce vieux peuple, qui a tant souffert de l’émigration imposée, et peut être même plus que l’Irlande, est en train de déserter son pays pour le laisser à ceux qui viennent d’ailleurs.
La Bretagne est une perle, mais les Bretons, quels pourceaux ! disait Victor Hugo. Les pourceaux s’en vont aujourd’hui ou courbent l’échine.
Nous connaissons tous de ces Bretons expatriés qui ne parviennent plus à rentrer au pays. Ils ne font pas de bruit. Qu’importe, ils ne voteront plus ici ! Ceux qui viennent d’ailleurs sont des gens aisés qui votent bien, c’est-à-dire souvent PS. Voici pourquoi le PS à la Région soutient ce qui a tout lieu d’un remplacement qui ne dit jamais son nom.
L’augmentation des impôts locaux, réflexe de gauche, hâte encore le processus puisque de nombreux bretons ne peuvent plus assumer et sont désormais contraints à la vente de leur maison de famille.
Et en plus, ces pourceaux ont dégueulassé leur perle, pour nourrir Paris. Alors ils n’ont qu’à foutre le camp pour la laisser aux plus riches qui sauront en prendre soin. Ils en feront une belle terre à touristes avec quelques sonneurs pour agrémenter le séjour.
Pour résumer tout cela, nous ne sommes qu’une « région » sans la moindre prise sur notre avenir. Rassurons-nous, si nous ne sommes plus un peuple, nous sommes devenus « région à forte identité ». C’est-à-dire qu’il subsiste encore quelques ferments d’altérité mais à l’état de traces d’un passé lointain et condamnées à le demeurer jusqu’à l’extinction définitive.
L’Education nationale s’en occupe en sabordant les filières d’enseignement bilingue. On en douterait ? Le taux de progression du nombre d’élèves est désormais égal à 0, sans que cela ne soulève le moindre questionnement politique.
Le PS au pouvoir à la région ne fonctionne qu’en termes de réseaux de pouvoir et de clientèles. La Bretagne n’est pour ce parti qu’une clientèle comme une autre, comme le sont les enseignants. Entre les intérêts fondamentaux de la Bretagne et ceux des enseignants, plutôt jacobins, le PS n’a jamais voulu choisir. L’échec dramatique de la politique linguistique prend sa source ici.
Pour le Pouvoir français, la Bretagne présente l’opportunité d’une variable d’ajustement pour toutes ses politiques publiques. Les recettes publiques manquent ? Il ne tient qu’à fermer des tribunaux, des écoles ou des hôpitaux en Bretagne. Il le fait jusqu’au moment où il rencontre une résistance. Mais il revient toujours à la charge. Les Carhaisiens en savent quelque chose. Tant pis pour ceux qui ne résistent pas.
Pour se maintenir, il revient au pouvoir de convaincre que la domination qu’il exerce est favorable au dominé. Nous avons derrière nous des siècles d’inféodation. Ce peuple de marins, de soldats et de fonctionnaires a tant servi que l’on pourrait évoquer un ordre de la servitude. Il arrive parfois que la servitude devienne une manière d’être au monde. Nous avons servi Rome avec passion jusqu’à son effondrement. Nous servons encore la France avec la même passion du service bien fait.
Glenmor prétendait que nous portions le gêne de l’esclavage. Mais nous avons aussi celui du rebelle et surtout celui de la résilience.
Il est temps de prendre conscience de la force de ces représentations collectives et de la terrifiante déconsidération du fait breton dans l’histoire. Cette déconsidération est le fruit du regard méprisant qui fut porté sur nous par les Français et que nous avons lentement mais sûrement intériorisé.
Le revival culturel nous a redonné une fierté de notre culture, mais il n’a pas vaincu cette déconsidération massive qui explique tout ! Nous restons aux abonnés absents sur le terrain politique, celui des grandes personnes.
N’espérons pas sauver nos « langues régionales ». On ne sauve pas une langue régionale et donc inférieure ! A quoi bon ? On ne sauve une langue que lorsqu’un peuple conscient de lui-même et de son égale dignité parmi les nations, la prend en charge en mettant en œuvre de véritables politiques.
N’espérons pas un jour obtenir l’autonomie pour notre « région ». La région n’est qu’une partie du tout, et nécessairement secondaire. La Bretagne que nous aimons est unique au monde. Son peuple est l’égal de toutes les nations.
Les représentations collectives, ou les idées, comme disait Antonio Gramsci, peuvent changer dans l’histoire, même si la chose est rendue difficile par le contrôle de la presse. C’est tout l’enjeu de l’avenir pour le peuple breton.
Il y aura des opportunités historiques dans les temps qui viennent. La République française est en perdition, en proie à la montée des haines. Les regards se désilent sur sa « pensée civilisationnelle » en Afrique et ailleurs. Il se pourrait bien qu’elle doive composer avec ses vieux peuples périphériques, si tant qu’elle veuille survivre aux épreuves qui l’attendent.
Nous avons tant de choses qui nous réunissent en Bretagne, à commencer par cette blessure liée à la perte brutale de la langue et qui se transmet aux générations d’après. C’est l’idée que nous poursuivons avec la « pierre de la mémoire bretonne » ou l’espace de résilience en cours d’élaboration par le sculpteur Marc Simon. Nous voulons donner un visage à la violence psychologique que nous avons subie dans l’histoire, pour dire les responsabilités et exiger la réparation légitime.
Notre intérêt n’est pas de rejoindre la cohorte des peuples oubliés. Ce n’est pas l’intérêt de nos enfants que de les laisser grandir dans une « région » soumise à la volonté de Paris en toute matière et résignée. Notre premier devoir est de briser la violence des représentations officielles puisqu’elles nous infligent la déconsidération de nous-mêmes.
Il faudra encore réaliser qu’un autre monde est possible, un monde de respect réciproque et sans hiérarchie entre des peuples capables de vivre ensemble en harmonie. La reconnaissance des peuples est la meilleure manière d’interrompre la spirale de la haine. Est-ce un doux rêve ? Nous sommes condamnés à rêver d’un autre monde si nous voulons le bâtir.
Pour reprendre pied dans l’Histoire, il faudra oser dire à Paris qu’il n’existe pas plus d’homme supérieur, que de langue supérieure, ou de peuple supérieur. C’est un message profondément républicain que Paris ignore encore. Pour ma part, je ne connais pas de plus beau programme pour la Bretagne de demain, car tout en découle.
Yvon Ollivier
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