Le bilinguisme routier s'impose peu à peu dans les départements bretonnants de la région administrative. Et là où les communes renâclent, le collectif Ai'ta normalise leurs panneaux, quand il ne les démonte pas, ce qui n'est pas sans risques juridiques ( voir notre article ) Mais où en-est-on en Loire-Atlantique, département séparé du reste de la Bretagne par une absurde frontière administrative ? Agence Bretagne Presse fait le point.
Malgré les esprits chagrins, les anti-Bretons et certains intégristes du gallo qu'une Bretagne coupée en deux zones distinctes arrange bien, la Loire-Atlantique est le département qui montre la vanité des lignes Vannes-Plouha et autres fronts linguistiques. En effet, le breton, parlé par le peuple, a toujours été présent jusqu'au cœur de la Loire-Atlantique, dont certaines communes (par exemple La Chapelle-des-Marais en Brière) ont près de la moitié de leurs noms de lieux-dits qui proviennent du breton. C'est aussi un pays de langue romane, et le gallo était parlé à parité avec le français à l'est du pays de la Mée et au sud, en pays de Retz et dans le pays Vignoble.
Breton, français, gallo, trois langues, autant de cultures, bienvenues dans un département-carrefour. Le bilinguisme s'y exprime essentiellement à l'entrée des communes. Nous ne nous étendrons pas dans cet article sur l'initiative - très louable - du Conseil général, d'installer aux limites du département des panneaux de bienvenue bilingues.
Or, pour l'entrée des communes, la loi est très stricte. Les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération sont strictement réglementés. Ils constituent le type EB. EB10 pour l'entrée, EB20 pour la sortie http://fr.wikipedia.org/wiki/Panneau_d'entr%C3%A9e_ou_de_sortie_d'agglom%C3%A9ration_en_France Les instructions interministérielles du 7 juin 1977 et du 22 mars 1982 relatives à la signalisation de direction déterminent les principes. En bref : les panneaux doivent être écrits en français, être homogènes, uniformes, et donc pour cela répondre à des critères très stricts. Le nom en français doit être écrit en majuscules de type L1, semblables à la police Arial. La graphie en langue régionale doit être écrite en majuscules italiques L4, ce qui correspond à la mention d'un quartier. La loi prévoit donc l'inégalité du français et des langues bretonnes. Sont aussi prescrits la hauteur d'implantation du panneau (1 mètre minimum), la taille des caractères, la police à choisir selon le type de mentions à inscrire, etc. http://fr.wikipedia.org/wiki/Mention_de_signalisation_routi%C3%A8re_en_France
Pour la signalisation de direction, les règles sont encore plus drastiques : le nombre de mentions pour une même direction ne peut dépasser six, et douze pour toutes les directions. L'ajout de mentions en langues régionales conduit très vite à atteindre le maximum. Par ailleurs, la liste des mentions des pôles verts (grandes directions) est pré-établie aux termes de l'arrêté du 28 novembre 1994 http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19950122&numTexte=&pageDebut=01212&pageFin=19950122 et ne peut être, légalement, écrite qu'en français.
En revanche, aucune loi ne vient préciser le statut du bilinguisme routier, on se trouve donc dans un vide légal. Roland Courteau, sénateur socialiste de l'Aude, a déposé le 26 novembre 2010 une proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale. Cette proposition adoptée par le Sénat le 16 février 2011 a été enterrée par l'Assemblée nationale qui l'a renvoyée en commission des affaires culturelles et de l'éducation http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/panneaux_agglomeration_langue_regionale.asp Qu'elle y repose en paix.
Il existe en France une forte demande locale pour une signalisation bilingue. En 2009, ¾ des Bretons s'y déclaraient favorables. En Alsace le bilinguisme se trouve surtout dans les rues de Strasbourg et de Mulhouse. Au pays Basque, le basque est présent sur les panneaux routiers et les entrées ou sorties de localités. A Bayonne la signalisation est trilingue, avec l'emploi du gascon en plus du basque. La Corse fait exception par l'emploi presque général de la langue corse, car de nombreux lieux-dits et noms de localité n'ont jamais été traduits en français. En Catalogne (Pyrénées Orientales), le bilinguisme routier est en plein développement, de même qu'en Occitanie où le provençal a gagné les rues de Gap et l'occitan débordé l'Aveyron pionnier du bilinguisme local. En Bretagne enfin, lentement mais sûrement, le bilinguisme devient une caractéristiques indissociable de l'identité locale ; le seul département qui résiste est l'Ille-et-Vilaine, où les efforts entrepris en faveur du gallo, pour lequel la demande sociale est quasi-nulle, n'ont conduit ni à la généralisation du bilinguisme routier français/gallo, qui reste archi-marginal, ni au développement du bilinguisme breton.
Le tribunal administratif de Montpellier a été invité à se prononcer sur l'épineuse question de la signalisation bilingue lorsque les représentants locaux du jacobinisme républicain, le Mouvement républicain de salut public a demandé au juge administratif d'enjoindre la commune occitane de Villeneuve-les Maguelone de déposer ses panneaux occitans pour non-conformité avec la loi ( voir notre article ). Le tribunal a estimé que rien dans la législation de la signalisation routière précitée ni dans la loi 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon « ne s'oppose à ce qu'une langue régionale soit employée par une collectivité sur la voie publique. » . Mais il pose trois limites au principe http://bartmann.blogspot.fr/2011/02/les-panneaux-dagglomeration-en-langue.html : des circonstances particulières ou l'intérêt général doivent justifier le bilinguisme routier, il faut un fondement historique, et le panneau ne doit pas être confondu avec le panneau officiel EB10 : les caractères dans la langue régionale doivent être égaux ou inférieurs au panneau en français.
Le premier point du jugement donne matière à contentieux car il peut être discuté au regard d'une décision du Conseil constitutionnel datant du 29 juillet 1994 relative à l'interprétation de la Loi Toubon. Le juge constitutionnel estimait que celle loi n'a toutefois pas pour objet de prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée . En clair, il suffirait de garder un panneau en français. Ce qui est le cas de toutes les communes qui s'équipent de signalisation bilingue.
Sur 221 communes, 20 sont pourvues de panneaux d'entrée d'agglomération en Breton. La dernière en date est Fay / Faouell qui les a installés dans la première semaine de janvier 2012. Contactée par ABP, Édith Sardais, maire de la commune, explique : Pourquoi des panneaux d'entrée à Fay-de-Bretagne en breton ? Parce que Fay fait partie de la Bretagne. Notre municipalité élue depuis 2008 a fait mettre devant la mairie les drapeaux breton, européen et français. Le breton à gauche, du côté du cœur .
Sur la carte jointe à l'article, on peut voir les communes qui ont aujourd'hui des panneaux d'entrée en breton. Autour de Nantes, un petit groupe, avec Saint-Herblain depuis le 30 juin 2010 et Orvault. Au nord, entre pays de la Mée et pays de Coislin, plusieurs communes en ont aussi fait le choix, Blain depuis la fin des années 1990, Le Gâvre et La Grigonnais depuis 2001, mais encore Bouvron suite à la délibération du Conseil Municipal du 15 novembre 2010. La très bretonne Guémené-Penfao conclut assez logiquement ce second groupe. Un troisième groupe, plus à l'ouest, est constitué de l'ex-bastion du breton de Batz http://fr.wikipedia.org/wiki/Breton_de_Batz-sur-Mer, sauf Piriac et La Baule, à savoir Assérac, Mesquer, La Turballe, Guérande, Le Croisic, Bourg de Batz , Le Pouliguen et Pornichet depuis 2009. Enfin, en sud-Loire, Pornic et La Bernerie-en-Retz portent la voix du bilinguisme routier breton, ce qui n'a pas été sans mal pour la dernière ( voir notre article )
Un problème a été dernièrement constaté avec les panneaux bilingues de Blain. Cette commune, adhérente de la Bruded, fraternité de communes des cinq départements bretons, est traversée par une route nationale, la RN 171, qui a récemment subi des travaux d'aménagement. La DDE a enlevé certains panneaux de commune, qui, outre la mention du nom breton sur un panonceau portent aussi les noms de toutes les villes jumelles et refuse de les remettre pour raisons de non-conformité. Or, le panneau breton ne peut être confondu avec le panneau officiel EB10 en français, se justifie par une raison historique (le château de Blain, au cœur de l'histoire de Bretagne, est le principal monument de la commune) et par l'intérêt général des Bretons. La municipalité se distingue par un manque de fermeté patent sur le dossier, alors même que d'autres voies de la commune (par exemple la route de la Paudais) n'ont jamais été équipées de panneaux en breton.
Par ailleurs, l'inégalité domine. Pas moins de quatre solutions ont été choisies par les différentes communes adeptes du bilinguisme routier, limité tout au moins aux panneaux d'entrée d'agglomération. Certaines ont choisi l'égalité stricte : le panneau en breton est écrit de la même façon qu'en français, c'est le cas du Croisic, de Fay-de-Bretagne, de Guérande, de Pornic, de Pornichet, de Saint-Herblain, de La Turballe et de Bouvron. D'autres ont préféré l'application stricte de la loi, avec une police italique pour le nom en breton. C'est le cas de Batz (avec un choix de police différent), de Pornichet, de Guéméné, Nantes ayant fait le choix, sous la houlette de l'actuel Premier ministre, d'un très peu orthodoxe et très décrié panneau à encadrement orange et à lettres italiques bleues. Par ailleurs, plusieurs de ces panneaux neufs ont été tagués sans discontinuer par des intégristes des Pays de Loire qui ne supportaient visiblement pas de voir Nantes assumer enfin son caractère breton ( voir notre article ) Les communes de Blain, La Grigonnais et Le Gavre qui se sont équipées en même temps entre 1999 et 2001 ont fait le choix d'un panonceau apposé sous le panneau d'entrée officiel. Enfin Assérac, Orvault et Saint-Molf ont choisi de mettre une mention en breton au sein du panneau en français, en majuscules italiques pour Assérac, en minuscules italiques (comme les noms de quartier) pour Orvault. Mais peu importe la forme, seule l'intention compte.
Le bilinguisme routier des signalisations directionnelles, tel qu'il existe en Basse-Bretagne, est inexistant en Loire-Atlantique, sauf dans la dimension des indications de lieux-dits, dont nombreux n'ont jamais été traduits en français ou francisés, surtout à l'ouest et le nord du département.
Le grand problème en Loire-Atlantique, c'est que le département est à la fois bretonnant et gallésant, et que les défenseurs de cette dernière langue font feu de tout bois pour bloquer l'avancée du Breton. A l'image de l'énigmatique AOSB, association d'opposition à la signalisation bilingue en pays gallo, qui a fait preuve de vandalisme sur les panneaux routiers bretons dans le Morbihan, et qui s'est révélée être l'alliance de circonstance de serviteurs du jacobinisme comme Françoise Morvan ( voir notre article ) ou l'antenne locale de la Libre Pensée, mais aussi de protecteurs autoproclamés du gallo à mille lieues des préoccupations des natifs. Ces grands-prêtres du gallo n'arrivent pas à se faire à l'évidence : parler de zones gallo à notre époque n'a aucun sens.
Ce problème de Loire-Atlantique est aussi un atout, si l'on arrive à dépasser la mentalité très française du un pays, une langue qui fait croire aux habitants de Loire-Atlantique qu'ils seront forcés d'apprendre le breton et voir leurs routes bretonnisées une fois la réunification faite. Le jacobinisme français ne doit pas céder le pas aux hussards noirs de la Bretagne : la Loire-Atlantique a toujours été une terre de la diversité linguistique, une terre d'échanges et d'ouverture.
Toutefois, il apparaît pertinent que des villes-repères, où se trouvaient des forteresses bretonnes, fassent le choix de la signalisation routière bretonne, comme Pornic l'a fait : exemple de Machecoul, de Corcoué-sur-Logne (la Bênate, ancienne forteresse bretonne, était le fief de Gilles de Retz, fait aujourd'hui partie de cette commune) et de Clisson. Ainsi que Oudon et Ancenis à l'est du département.
Contrairement aux dires des défenseurs acharnés de la ligne Plouha-Vannes, sorte de ligne de démarcation d'une Bretagne libre bretonnante et d'une zone occupée gallésante (ou inversement, selon que l'interlocuteur parle l'une ou l'autre des langues de Bretagne), le breton est très présent en Loire-Atlantique où, langue du peuple, il a durablement marqué les cartes et les familles. Dans bien des communes du nord de la Loire, où les noms de lieux sont hérités du breton, il apparaît très utile que la signalisation routière bretonne fasse son apparition. Ainsi de la Brière, point d'ancrage du breton, mais aussi de l'estuaire de la Loire, comme à Rohars qui porte encore dans son nom la mémoire d'un ours breton. Mais aussi de nombreuses localités de la Mée où il existe encore des bretonnants natifs, autour des mines de Châteaubriant et de l'ex-futur aéroport de Notre-Dame des Landes. Et ce n'est pas une limite. Toute la Bretagne est francophone, et de même, toute la Bretagne peut être brittophone. Et l'on peut, n'en déplaise aux ultras de tous poils, parfaitement être francophone et breton. Il appartient à tous les citoyens d'œuvrer pour arriver à ce que toutes les communes fassent le choix du bilinguisme. Pour affirmer encore un peu plus le caractère breton de la Loire-Atlantique et rendre justice à l'Histoire bien maltraitée depuis 1975.