La fin du XVe siècle et le début du XVIe sont une période banale de l'histoire de France mais capitales pour l'histoire de Bretagne. Plusieurs livres y sont consacrés tous les ans et pas uniquement en français. Anne de Bretagne occupe le centre de l'attention pour cette période charnière. Une recherche sur google donne 700 000 entrées. Elle a 132 articles ou citations sur ABP. Pas moins de trois opéras, en 1870, en 2001 et le dernier celui d'Alan Simon en 2009 ont été écrits sur Anne de Bretagne.
Beaucoup d'encre a coulé sur les circonstances du mariage de la duchesse de Bretagne avec le roi de France Charles VIII. Le livre révèle les mascarades organisées par les agents de communication de l'époque pour faire croire aux peuples de France comme à celui de Bretagne que tout était fait par consentement mutuel et dans la joie. Les faits cachent une réalité bien plus cruelle. Le livre révèle la cruauté inimaginable de Charles VIII à l'égard d'Anne. Il lui avait interdit de porter le titre de duchesse de Bretagne, de voir son fils Orlando qui décèdera à 4 ans de la rougeole sans que la reine puisse le soigner et le veiller. Charles VIII a traité la duchesse comme une prise de guerre juste bonne à enfanter des héritiers.
Quoi qu'en dise Gilles Martin-Chaufier, qui, dans son excellent livre Le Roman de la Bretagne, accuse Anne d'avoir sacrifié son duché pour le prestige d’être reine de France, toutes les études historiques récentes s'accordent sur le fait qu'elle a essayé toute sa vie de préserver le duché. À la mort de Charles VIII, elle restituera la chancellerie et nommera des Bretons aux postes clés, espérant qu'une de ses filles hériterait du duché de Bretagne. Elle exigea même le départ de toutes les troupes royales de Bretagne sauf de deux places fortes. Il y a de nombreuses preuves de son dévouement pour la sauvegarde du duché, la plus indiscutable est sa lutte contre le maréchal de Gié, un Breton passé au service inconditionnel du roi de France, qui s'opposait à toute restauration d'une autonomie bretonne à la mort de Charles VIII. Elle passera outre et finira par le faire exiler (p. 292).
Après la mort d'Anne, François Ier, qui épousera sa fille Claude, sera le fossoyeur du duché et de l’indépendance bretonne. En particulier François Ier invalidera le contrat de mariage entre Anne et Louis XII, le dernier traité entre la Bretagne et la France, le seul valide, et toujours valide, d’après le docteur Melennec, un juriste spécialiste du droit médiéval.
La "princesse en sabots" qui, après un premier mariage, devint reine des Romains, puis épousa deux rois de France et devint, après la conquête de Naples, reine de Jérusalem, fut effectivement la plus titrée et la plus riche de toutes les femmes d'Europe de l'époque. Certes elle aimait les bijoux mais elle aimait aussi sa Bretagne. Page 240 on peut lire ceci de Mireille Lesage : "contrairement à ce que beaucoup croyaient, même parmi ses familiers, elle ne tenait pas particulièrement à la couronne de France. Ce titre ne lui avait apporté que des malheurs. L'essentiel pour elle n'avait rien à voir avec l'orgueil, l'ambition et la gloire".
Anne se battit toute sa courte vie contre les guerres d'Italie entreprises par ses maris Charles VIII et Louis XII. Elle comprenait que ces guerres coûteuses étaient inutiles et l'histoire lui donna raison. Elle répétait que si les jeunes chevaliers avaient hâte d'en découdre, qu'ils aillent reconquérir Jérusalem. Elle y voyait là l'intérêt de tout l'Occident alors que les guerres d'Italie n'étaient pour elle que du pillage organisé, les troupes françaises rapportant aussi la syphilis parmi les trésors et ses maris de voluptueuses maîtresses italiennes avec lesquelles elle ne pouvait rivaliser. Finalement, ne pouvant convaincre les rois de France, elle organisa et finança elle-même la dernière croisade. L’expédition qui se solda par un échec avait l'appui d'une douzaine de navires de la marine bretonne dont le plus gros navire de l’époque "La Cordelière".
Après 14 grossesses et la perte de tous ses enfants sauf de deux filles, elle finit par mourir de chagrin et d'épuisement à l'âge de 36 ans. La cause officielle de sa mort aurait été un calcul dans les reins.
On regrettera que Mireille Le Sage n'ait pas fait plus de recherches historiques et en particulier n'ait pas étudié les sources épistolaires. Alan Simon a par exemple mentionné une correspondance entre Anne et son cousin le roi d'Espagne Ferdinand II d'Aragon qui, après la mort d'Isabelle de Castille, avait épousé Marie de Foix, la soeur de Louis XII. Une correspondance où les découvertes de Christophe Colomb sont discutées.
Un livre intéressant qui nous donne un aperçu des moeurs de l'époque, du fonctionnement des institutions monarchiques, du machiavélisme barbare des rois de France prêts à tous les parjures et à tous les coups tordus pour agrandir leur royaume. L'ouvrage nous peint une reine, probablement la première féministe en Europe, qui refusa toute sa vie d'être juste une machine à enfanter des dauphins ou un pion stratégique dans les plans d'annexion de la Bretagne.
Certains romans historiques sont sans doute plus près de la réalité que la version officielle de l'histoire de France. Anne de Bretagne de Mireille Lesage, publié aux éditions Télémaque, tombe peut-être dans cette catégorie.
Philippe Argouarch