Reun Allain Le Mardi 3 décembre 2019 12:59
Merci pour cette chronique qui fait la part des choses et qui évite le piège de l’anachronisme. La méthode employée par le maire de Pont l’Abbé est à la fois habile, lâche et un acte honteux jeté à la face de la littérature bretonne. De l’avis de spécialistes de la littérature bretonne que je connais, ils admettent que l’œuvre de Youenn Drezen est une œuvre littéraire majeure. Est-ce qu’il viendrait à l’idée de rejeter des avancées de la sciences sous prétexte que tel physicien ou tel biologiste auraient exposé des idées avant guerre qui furent inadmissible dans l’après-guerre une fois connue les horreurs du nazisme ?
Paradoxalement quantité d'intellectuels n’ont rien trouvé à redire aux crimes commis au nom du communisme sous Staline, Mao, Pol Pot, etc … et n’ont jamais été inquiétés du moment que ceux-ci auraient été commis au nom de la Justice et la défense des « masses laborieuses ». Cependant un génocide reste un génocide même accompli au nom d’une cause proclamée « honorable ».
Pour en revenir à la méthode employée par le maire de Pont l’Abbé pour débaptise une rue, utiliser le nom d’un héros de notre triste actualité est assez habile pour désarmer l’opposition mais à y regarder de plus près, c’est aussi une lâcheté que d’instrumentaliser une mémoire contre une autre. La rue Youenn Drezen n’est pas une rue majeure de la ville, s’il veut absolument honorer la mémoire du colonel Beltrame qu’il choisisse un endroit bien placé comme « place Gambetta » qui en fait, nomme deux rues perpendiculaires (voir la carte). L’une d’elles peut très bien recevoir le nom de Beltrame. Et si vraiment il ne peut pas toucher aux vaches sacrées de la République française on y voit aussi des noms passe partout comme rue des pins, des hortensias, du stade, etc … J’ai trouvé ça en lisant des cartes sur internet, n’y a-t-il localement des administrés pour réagir ?
Jacques Le Mardi 3 décembre 2019 13:42
Vu que Pont l'Abbé, capital du pays bigouden, se déshonore en effaçant sa propre mémoire (Youenn Drezen était un enfant du pays) mais aussi en instrumentalisant la mémoire d'une autre personne, ne pourrait-on pas trouver d'autres villes/communes de Bretagne pour redonner à Youenn Drezen une terre d'adoption plus digne?
Tant pis si le mouvement breton ne suit pas, on sait depuis longtemps la vision qui est la sienne sur son propre pays... L'histoire désavouera les militants de cette période que nous connaissons, des années 80 à aujourd'hui...
En tant cas, Merci à Yvon Ollivier et au Parti Breton pour leur courage...
Cela semble rien, mais c'est peut-être le début d'une Bretagne qui redresse réellement la tête!
(PS : Je ferai juste la remarque que pour l'instant, personne ne sait précisément ce qui est reproché à Youenn Drezenn... On salit gratuit...Vu qu'à mon sens et sauf erreur, cette personne a probablement moins à se reprocher que l'extrême gauche bretonne quand elle soutenait et Staline, et Hitler, et Mao, et Chegevara, et, et, et... tous ces tirants criminels qui ont balisé le 20ème siècle).
MICHEL KERNINON Le Jeudi 5 décembre 2019 11:49
J'ai rencontré Youenn Drezen à la fin de sa vie. Et même joué au baby-foot avec lui dans un bistrot de Lorient où il vivait et travaillait ( comme journaliste pour La Liberté du Morbihan, alors que nous lui avions un jour rendu visite avec un ami commun, le sculpteur-peintre Jean Mingam. Youenn Drezen (1899-1972), journaliste et écrivain, est « un des plus grands prosateurs en langue bretonne du xxe siècle. Voilà ce que dit de lui l'encyclopédie Larousse en ligne, dans le Dictionnaire mondial des littératures : " Sa langue maternelle était le breton et il n'apprit le français qu'à l'école primaire. Destiné à la prêtrise, il fut envoyé au petit séminaire des pères de Picpus à Fontarabie (Espagne), où il se trouva avec d'autres jeunes bretons, comme Jakez Riou. Prenant conscience que la culture qui lui avait été inculquée lui était étrangère, il se remit à l'étude du breton. Au bout de six ans d'exil, il quitta le séminaire et, après avoir exercé divers métiers (commis de marchand de vin, photographe), entra en 1924 dans le journalisme : quand fut fondée, en 1925, la revue Gwalarn, il y publia des traductions, des poèmes et des nouvelles. Ses longs poèmes Kan da Gornog (Chant à l'Occident) et Nozvezh Arkuze beg an enezenn (la Veillée d'Arkus au bout de l'île) révèlent un lyrisme d'une grande musicalité. Marquée d'un certain pessimisme, son œuvre romanesque est écrite dans un breton d'une rigoureuse pureté de forme, mais émaillé de termes savoureux et de truculentes expressions du terroir bigouden : outre une histoire d'amour, An Dour en-dro d'an Inizi (l'Eau autour des îles, 1932) et Skol-louarn Veig Trebern (l'École buissonnière d'Hervé Trébern, 1958), son œuvre maîtresse reste un roman social Itron Varia Garmez (Notre-Dame des Carmes, 1941)."
La plupart des villes bretonnes ont une rue qui porte le nom de Youenn DREZEN. Sauf donc désormais sa ville natale Pont-l'Abbé. Triste !
Michel Kerninon (suite) A lire absolument son grand roman Itron Varia Garmez (Notre-Dame Bigoudenn, en français), paru en 1941, qui est le chef-d'œuvre de Youenn Drezen. Il évoque la vie d'un jeune Bigouden et des pauvres gens de Pont-l'Abbé dans les années 1930 au moment où la police militaire vient mater une révolte populaire. Avant et pendant la Seconde guerre mondiale, il publie des articles, certains ouvertement indépendantistes et anti-français, notamment dans L'Heure bretonne, organe du Parti national breton et dans Stur (dirigé par Olier Mordrel), Galv (dirigé par Hervé Le Helloco) et La Bretagne de Yann Fouéré. En 1941, Drezen publie Itron Varia Garmez (édition française, Denoël, 1943 : Notre-Dame bigoudenn), qui raconte la vie des pauvres gens de Pont-l'Abbé et leur misère durant la Grande dépression, avec les grèves et l'arrivée du Front populaire en 1936.
Voyons maintenant l'autre versant du personnage. Le 20 décembre 1941, Drezen écrit dans L'Heure bretonne, sous le pseudonyme de Tin Cariou, à l'occasion du congrès de militants du Parti national breton qui s'est tenu tenu à Quimper et dont nous avons divers comptes-rendus : « Je suis sorti de cette réunion, écrit Drezen, avec la conviction que l'avenir breton appartient au PNB ». D'autres étaient plus circonspects, qui se sont détachés nettement du PNB.
Peu après, Drezen devient pigiste à Radio Rennes Bretagne, écrit des pièces radiophoniques et prononce des causeries. En 1943, il dirige le journal bilingue Arvor, dont il fait le premier hebdomadaire entièrement en breton. Il y publie des textes contre les Alliés (ces derniers " motivés " notamment par les 2 300 victimes des bombardements de septembre 1943 sur Nantes).
Des textes racistes et antisémites de Youenn Drezen, notamment mais il n'est pas le seul, sont publiés dans la presse collaborationniste bretonne. Des textes ont été traduits par Françoise Morvan, publiés dans son essai Le Monde comme si (Actes Sud, 2002, réédition en collection Babel). Françoise Morvan rappelle ou souligne que Youenn Drezen fut l’un des premiers militants du groupe nationaliste Breiz Atao, en ce sens il n’a fait qu’accompagner la dérive pronazie de nombreux membres de Breiz Atao, en tout cas de la plupart d'entre eux, à commencer par Mordrel, et ces textes sont inspirés par une idéologie non seulement antisémite mais radicalement d'inspiration antifrançaise et pro-allemande pour ne pas dire pro-nazie. Voir à ce sujet les livres de Mordrel et l'entretien mené avec lui paru dans la revue Bretagnes no 1. Entretien que nous avons réalisé à son domicile de Léchiagat (29 Sud) au moment de la sortie de son livre "Breiz Atao", livre qu'il a publié après un long exil forcé argentin-espagnol sur lequel plane encore aujourd'hui, me semble-t-il, d'assez nombreux mystères notamment sur ses soutiens et complices. Drezen lui n’avait pas renié ses positions après la guerre, semble-t-il. Des textes peuvent être retrouvés sur le site du Groupe Information Bretagne (article « Le racisme et l’antisémitisme de Youenn Drezen ») .
Donc Youenn Drezen est arrêté le 6 septembre 1944 et interné au camp de la caserne Margueritte de Rennes. Il est libéré le 10 janvier 1945, son dossier étant classé sans suite (comme d'ailleurs celui d'Edouard Leclerc jugé à Quimper, et reconnu irresponsable dans des actes de dénonciation de résistants qu'on lui prêtait. Et dont il a nié -devant moi en réponse à ma question- le bien-fondé des reproches qui lui étaient faits ( ayant leur source selon lui de sa proximité "intellectuelle" avec l'adjudant chef Schadt, de la Kommandantur de Landerneau où il allait porter les colis de sa mère destinés à deux de ses frères partis au STO en Allemagne. Edouard Leclerc, adolescent au moment des faits incriminés, m'avait dit qu'au contraire il avait orienté ses réponses données à Schadt vers des collabos notoires du coin ... Schadt avait d'ailleurs lui-même connu l'abbé Perrot à Scrignac, qu'il surveillait... , avant l' exécution du curé par le FTP Thépôt. Edouard Leclerc nia donc toute responsabilité de dénonciation de "patriotes" français au cours d'un entretien que j'ai eu avec lui à son domicile près de Landerneau à la fin des années 1970. Et me donna d'autres "détails", à vérifier. D'autres pièces du dossier ont été ressorties depuis... Après le procès de Quimper, Edouard Leclerc, blanchi et ayant échappé au pire, qui pouvait être l'exécution, 'partit se faire oublier quelque temps en Suisse. Quelques années plus tard il ouvrait son épicerie des Capucins à Landerneau. Drezen, quant à lui, fit l'objet d'une interdiction de séjour en Bretagne d'une durée d'un an. Il avait été soutenu par le peintre René-Yves Creston mais aussi par Marcel Cachin, homme politique socialiste puis communiste originaire de Paimpol, qui fut le directeur de L'Humanité pendant 40 ans (1918-1958), membre du bureau politique du Parti communiste (1923-1958) et sénateur (1935), puis député de la Seine (1946). Voilà !