A Blain, en Loire-Atlantique (Bro Naoned) a eu lieu fin XIXe une extraordinaire histoire. Une jeune fille, Marie-Julie Jahenny, aurait eu des apparitions de la Vierge et les stigmates de Jésus Christ lui ont été imposés. Récit.
Marie-Julie JAHENNY naquit à Coyault (BLAIN), le 12 février 1850 à 9 heures du soir un mardi-gras, jour de péché. Sa mère la consacra de suite à la Sainte Vierge. Elle fut baptisée le lendemain mercredi des Cendres, jour de pénitence. Au début du mois de novembre 1853, ses parents l’emmènent à La Fraudais, qui est un humble hameau de 8 à 10 feux, enfoncé dans un pli du terrain à environ deux kilomètres de Blain. Marie-Julie y vécut jusqu'à sa mort, le 4 mars 1941. La maison, une ferme du XVIIIe, est la plus vieille du village. Deux lucarnes jumelles en sont la seule humble décoration. (voir le site)
Elle passe sa première communion à Blain : pour la préparer un tant soit peu, ses parents l'envoient 6 mois à l'école où elle apprend à lire les caractères d'imprimerie. Cela lui permet de se constituer une petite bibliothèque composée de L'imitation de Jésus-Christ, L'Imitation de la Sainte-Vierge, Le Sacré-Coeur de Jésus du Père Ramière, une Vie de Sainte-Anne et plus tard le récit d'une stigmatisée italienne. En dehors de ces ouvrages, elle ne lira, pour ainsi dire, rien d'autre.
Le 6 janvier 1873, Marie-Julie tombe gravement malade. Le 15 février, elle reçoit l'extrême-onction. Le 22 février, la Sainte-Vierge lui apparaît et lui annonce sa guérison pour le 2 mai. Le 14 mars, seconde apparition de la Mère de Dieu qui lui demande si elle accepterait les Plaies de Jésus-Christ. Celles-ci doivent apparaître sous forme de stigmates, des blessures coagulées aux exacts emplacements des blessures reçues par Jésus-Christ quand il fut aux mains de Ponce Pilate (couronne d'épines) puis crucifié.
Le 21 mars, d'après le récit de Marie-Julie Jahenny, " Je tombais en extase sur mon lit de douleur. La Sainte Vierge est là. Notre Seigneur m'apparaît avec ses Plaies rayonnantes. Je viens, ma chère enfant, me dit-il, t'apporter mes Plaies adorables. Il partit alors de chaque plaie, un rayon lumineux qui vint frapper mes mains, mes pieds et mon côté ". Le 5 octobre, elle reçoit le stigmate sur le front correspondant à la couronne d'épines. Le 25 novembre, " J'ai vu Notre Seigneur ", dit Marie-Julie Jahenny, " portant sa Croix sur l'épaule gauche. J'ai vu le Sang couler de cette épaule déchirée ". A ce moment, Notre Seigneur imprime sur l'épaule de Marie-Julie cette première plaie sacrée. Le 6 décembre, elle reçoit les stigmates au dos des mains et des pieds. Le 12 janvier 1874, apparition des stigmates aux poignets de Marie-Julie, pour représenter les cordes qui avaient lié ceux du Sauveur. Le 14 janvier, autres stigmates aux chevilles, sur les jambes et les avant-bras comme signes de la flagellation. Le 20 février, anneau stigmatique à l'annuaire de la main droite, signe de ses fiançailles mystiques. Marie-Julie devient la fiancée du Christ.
Enfin, le 7 décembre 1875, apparaît l'inscription " O Crux Ave " sur la poitrine, avec une croix, d'autres inscriptions et une fleur. Contrairement aux autres stigmates, celui du coeur alla se développant. Sur le côté gauche, déclarait le docteur Imbert qui examinait la jeune fille à chaque fois qu'elle recevait un stigmate il y a, en arrière et au-dessous du sein, trois petites barres d'un pouce de long, de deux lignes de large, non parallèles, très rapprochées et formées de sang noirâtre desséché. On a photographié cette plaie en 1936 : elle mesurait quinze centimètres de long. Marie-Julie demanda qu'elle se ferme. On la photographie, de nouveau, en 1937 elle n'a plus que sept centimètres. Un linge appliqué postérieurement présente une tache sanglante de trois centimètres de diamètre.
L'Abbé Pitre-Hervé David, né au Croisic en 1829, fut le confesseur de Marie-Julie à partir de sa nomination comme vicaire à Blain en 1865. Il tint son évêque informé, par lettres, de l'évolution des stigmates de la jeune fille. A l'époque, l’Église qui ne disposait pas d'explication à ce phénomène, le considérait avec une grande circonspection. De nombreuses informations et documents sont disponibles ici (voir le site)
Les scientifiques se montrent sceptiques au sujet des stigmatisées. Leur position peut être résumée par la conférence de Gabriel Gandolfo, maître de conférences à l'université de Nice - Sophia Antipolis – laboratoire de neurobiologie et psychopathologie, donnée à Nice le 24 janvier 2007. Pour lui, le phénomène des stigmates relève du mécanisme de la conversion hystérique, une forme particulière d'hystérie .
Dans l'histoire du christianisme, le premier cas officiel de stigmatisation apparait en 1224, chez Saint François d'Assise : alors qu'il séjournait sur le mont Alverne, des marques qui demeurèrent indélébiles apparurent sur son corps. La liste des stigmatisés s'allongea ensuite et l’Église en dénombra 350 dont 80 furent béatifiés ou canonisés : depuis Sainte-Catherine de Sienne (1347-1380) et Marie de l'Incarnation (1565-1618) jusqu'à Anne-Catherine Emmerich (1774-1824), Sainte Gemma Galgani (1878-1903) et Francesco Gorgione dit le Padre Pio (1887-1968) pour ne citer que les plus célèbres. La plupart des stigmatisées sont des femmes âgées de 15 à 50 ans soumises, donc, à leurs cycles menstruels. Si on ajoute que les hagiographes ajoutent souvent que le sang des stigmates est parfumé (de là vient l'odeur de sainteté) et que les saintes n'ont plus leurs règles, la stigmatisation peut alors être ramenée à une conversion du sang menstruel : pour accéder à la sainteté, la femme doit nier sa féminité et refuser la maternité. Freud définit la conversion hystérique comme la transposition de conflits psychologiques inconciliables et refoulés sur le corps. Cette explication reste insuffisante, car elle ne prend pas en compte les nombreux cas de stigmatisés masculins.
Le caractère hallucinatoire de ces stigmates semble être renforcé par leurs places : les clous étaient fixés sur les poignets et les chevilles, ce qui permettait de supporter le poids du corps sans occasionner de déchirures des tissus, et non sur les mains et les pieds, places fréquentes des stigmates chez les stigmatisés ... et sur l'iconographie religieuse. De même, le coup de lance se trouve à droite selon la tradition chrétienne, mais beaucoup de sculpteurs et de peintres le représentent à gauche, et chez certains stigmatisés le stigmate de la lance était bien à gauche. C'est donc la force de conviction des mystiques, bien qu'influencée par des représentations parfois erronées des positions exactes des plaies et des clous, qui aurait été capable de générer des stigmates.
Quelle que soit l'explication du phénomène des stigmatisés, et plus particulièrement de ce qui est arrivé à Marie-Julie Jahenny, son histoire a suscité une importante dévotion locale jusqu'à sa mort en 1941, et jusqu'à nos jours.
Dans la chaumière où elle habitait, laissée en l'état, se trouve un oratoire dont la clé peut être empruntée à la maison voisine. Un peu avant le hameau, non loin de l'ancienne voie ferrée et de la maisonnette de garde-barrière de l'Emion, on trouve un curieux couvent en tôle ondulée, construit à partir de 1980 par le père BOURCIER afin de faire un sanctuaire plus grand en l'honneur de la stigmatisée oubliée. Une messe y a lieu régulièrement les samedis soirs.
Une question reste entière : pourquoi cet oubli injustifié ? Il y a eu des témoins, une enquête de l'évêché, plusieurs expertises médicales, qui n'ont pas pu conclure à des manifestations hystériques, dont l'étude se développait à peine, impulsée par Charcot. En revanche, le pèlerinage de Lourdes se développait à peine, et il n'est pas déraisonnable de suspecter l’Église de France, qui voyait se multiplier les restaurations de pèlerinages locaux sur les sites d'anciennes fontaines curatives ou de chapelles restaurées (Saint Julien de Planté, Saint Secondel à Besné, Saint Vital à Arthon…) de n'avoir pas voulu susciter une concurrence aux toutes jeunes apparitions de Bernadette Soubirous.
Louis Bouveron