Si les cultures de Hallstatt et de La Tène du premier millénaire avant J.C. ont été pressenties au XIXe siècle comme le berceau des langues celtiques, plusieurs études récentes mettent en doute cette hypothèse. L’impossibilité de l’ethnogenèse des Celtes a conduit à remettre l’idée d’une migration massive de ces peuples à l’échelle de l’Europe pour cette époque. En fait la genèse de (1) l’entité celtique est plus ancienne, de l’époque du complexe campaniforme de la seconde moitié du IIIe millénaire avant J.-C.
Enseignée comme une doxa, le modèle traditionnel repose sur un noyau central, identifié par le site archéologique de Hallstatt, - "le Westhallstattkreis" dans l’historiographie allemande -, d’où auraient rayonné les migrations en Italie et dans la région danubienne. C’est à partir de ce noyau initial que seraient partis les Celtes qui auraient ensuite progressé « à partir du VIe siècle avant J.-C., non seulement vers le sud et le sud-est, mais également vers l’ouest et le sud-ouest » (2) de l’Europe. A défaut de sources historiques ou de traces archéologiques suffisantes d’échelle suffisante pour attester de la diffusion des « civilisations » des sites éponymes de Hallstatt et La Tène, la linguistique proposait elle un modèle de l’origine avec des langues indo-européennes qui pouvait se révéler compatible. La réalité linguistique du concept des Celtes finissait par se diluer avec celle des Indo-Européens. Il était tentant d'en définir l’origine quelque part en zone tempérée, pour certains même dans sa partie septentrionale, dans les territoires qui s’étendent entre l’Inde et les Karpates » (3), entre Europe et Asie. Aussi le berceau indo-européen primitif a été imaginé à partir du XIXe s., de l’Inde au Nord de l’Europe et notamment la Germanie, en passant par l’Asie centrale et les steppes qui bordent la mer Noire.
La culture de Hallstatt, bien réelle, se caractérise par l’apparition de sites défensifs et d’une élite guerrière qui se réservait l’invention de l’utilisation du fer. En contact avec le monde méditerranéen, les princes de Hallstatt ont contrôlé le commerce du sel et de l’étain, dans le cadre de petites principautés, sans unité politique. Le déclin de cette culture pourrait découler d’un bouleversement des échanges marqué par le déclin des Etrusques face à la puissance montante de Rome. Cependant rien n’atteste pour cette époque de mouvements de population en dehors du bassin nord alpin. Les seules migrations attestées sont celles liées au complexe culturel de La Tène, qui était censé lui avoir succédé, à partir du Ve siècle avant J.-C. C'est le cas par exemple des Celtes relevant de la culture de La Tène qui arrivent en Italie et de ceux de la moyenne vallée du Danube ou les Balkans vers 400 avant J.-C (Tite-Live, Histoire, V). Pour autant, aucun mouvement n’est attesté pour cette époque, à la fois dans la péninsule ibérique et vers les îles britanniques (Patrice BRUN, 2019). Cette culture repose sur une aristocratie guerrière plus nombreuse et l’utilisation de la métallurgie du fer étendu à l’ensemble de la société avec l’outillage agricole en particulier. La qualité des armes, nettement supérieure à celle des Grecs ou des Romains, aurait fait alors d’eux, non seulement des fournisseurs d’armes mais aussi les mercenaires les plus recherchés. La question de l’évitement de la Bretagne continentale actuelle posée par l'archéologue Yannick Le Cerf se trouve dès lors singulièrement fragilisée.
Le contexte des migrations d’ampleur en Europe se révèle en fait plus ancien, de l’époque du de la genèse du complexe campaniforme au cours de la seconde moitié du IIIe millénaire avant J.-C., (Emile VOGT, 1956 ; Alain GALLAY, 1993, Patrice BRUN, 2006 et 2017, Venceslas KRUTA, 2006) et au-delà à l’aube de l’agriculture en Europe.
Parmi les hypothèses qui rendent compte de l’origine des langues indo-européennes, deux principales ont retenu l’historiographie de la seconde moitié du XXe siècle : l’hypothèse kourgane, et l’hypothèse anatolienne
Selon l’hypothèse « kourgane » développée par Marija Gimbutas, majoritaire au sein de la communauté scientifique, l’indo-européen viendrait d’un peuple semi-nomade ayant vécu dans la steppe située au nord de la Mer Noire, aux environs de l’actuelle frontière entre la Russie et l’Ukraine, au VIe et VIIe millénaire. Suivant ce scénario, les Indo-Européens, peuple de guerriers et de cavaliers conquérants, auraient entrepris de nombreuses migrations, permettant ainsi la diffusion de leur langue en Europe et en Asie. La culture Yamna aux IVe et IIIe millénaire av. J.-C. dans les steppes pontiques au nord de la Mer Noire (les plaines traversant l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan) représenterait le dernier stade de développement de la culture kourgane. Cette théorie qui présente les Indo-Européens comme un peuple spécifique a été largement critiquée par Jean-Paul Demoule dans son essai "Mais où sont passés les Indo-Européens ?", publié en 2014.
Dans l'hypothèse anatolienne de Colin Renfrew, l’indo-européen trouverait son origine en Asie Mineure à l’époque de l’apparition de l’agriculture dans cette région. Il considère que le seul mouvement d’ampleur des migrations a été la colonisation de l’Europe par des agriculteurs venus d’Asie Mineure dans le courant du VIIe millénaire avant J.-C. Il associe la diffusion de la langue indo-européenne au courant colonisateurs des agriculteurs danubiens durant le millénaire qui suit, cependant « il reste toutefois une partie non négligeable de l’Europe où les parlers de cette famille n’avaient eu aucune possibilité de s’implanter à la faveur de l’introduction de l’agriculture et où ils ont dû nécessairement être introduits ultérieurement : c’est notamment le cas de l’ensemble des régions qui bordaient l’Adriatique, la Méditerranée occidentale et l’Atlantique, ainsi que celui de l’Europe septentrionale.» .
La recherche actuelle tend à adapter ces modèles. Patrice Brun (4) relie l’apparition des langues celtiques au complexe culturel campaniforme du Chalcolithique récent dit des gobelets campaniforme (seconde moitié du IIIe millénaire avant notre ère) dont l’origine pourrait remonter à la culture pontique de Yamna porteuse d’une langue de la famille indo-européenne, 3000 avant notre ère. Il constate en effet aucune rupture typologique, artistique de l’âge du bronze ancien, (de -2200 à -1 600) qui marque, au premier âge de fer (-800 à -475) soit l’époque de la culture de Hallstatt (Patrice BRUN, 2019). « Le complexe nord alpin aurait évolué sans apport massif depuis 1600 BCE » (Patrice BRUN, 2019). Il serait contigu à d’autres foyers relativement stables et homogènes qui représentent autant de « complexes culturels » à échelle régionale de l’Europe, désignés comme atlantique, nordique, ibérique, italique dans l’ouest européen.
L’hypothèse campaniforme conforterait ainsi l’origine des Celtes et le processus de diffusion des langues celtiques. Patrice Brun considère que les langues au même titre que la culture matérielle, - le « paquetage campaniforme » composé « du poignard en cuivre, du brassard d’archer en pierre polie, des pointes de flèche à pédoncule et ailerons bien dégagés, du pendentif arciforme et du bouton à perforation en "V" » (5) en contexte funéraire [Stephen Shennan, 1986, Patrice Brun, 2017] dans les tombes tumulaires - constituent « autant de vecteurs d’échange que des moyens de distinction sociale. » (6) Les caractéristiques linguistique et matérielle évoluent selon les stratégies sociales dominantes qui sont d’abord le reflet de l’élite guerrière : « Il peut s’agir de stratégies d’expansion colonisatrice, d’extension des réseaux élitaires, de transferts de techniques agropastorales, artisanales, de transport, de combat et/ou encore de transmissions d’idées. (7) » Au sein du phénomène campaniforme, la différenciation des complexes culturels s’accélère vers 1600 avant notre ère, favorisant la permanence de foyers culturels homogène à l'échelle régionale en Europe, dont l’emprise géographique était variable. Parmi eux, le complexe culturel atlantique se singularise avec des vases funéraires caractéristiques dont le standard conduit à la piste portugaise vers 2700 (8) ». Ils sont identifiables à leur forme régulière en cloche, commune à l’aire campaniforme mais avec une couleur rouge brique caractéristiques, des décors géométriques faits de lignes simples et de bandes hachurées, un décor imprimé réalisé avec coquillages ou des peignes à dents multiples. Dans la série de vase collectés, la Bretagne totalise à elle seule 232 avec standardisés juste derrière l’Estrémadure portugaise qui en compte 291. L’ origine portugaise des vases campaniforme pourrait se révéler énigmatique. Elle l’est peut-être moins à considérer le vase comme un des objets d’échange qui circulaient à l’échelle de l’Europe de l’époque avec « l’ambre de la Baltique ou de la mer du Nord, les chevaux de la plaine hongroise, la technologie du cuivre de la zone méditerranéenne, la pratique de la tombe individuelle sous tumulus empruntée au complexe culturel de la céramique cordée dans la grande plaine germanique, etc… (9) » Les datations au carbone 14 attestent que le « le complexe du gobelet campaniforme se serait formé en Europe centrale, à partir de certains groupes de la céramique cordée, et il se serait répandu ensuite vers l’ouest et vers le sud, couvrant à peu près toutes les régions qui n’avaient été touchées ni par la vague danubienne ni par le complexe à hache de combat.(10) ». La diffusion de la tombe individuelle masculine sous tumulus qui apparaît aussi comme un emprunt à la culture de Céramique cordée s’accompagne du développement de la métallurgie du cuivre, apparue dans les Balkans « entre le milieu du Ve millénaire et le milieu du IVe millénaire avant J.-C. » (11) ».
Le lien du complexe campaniforme avec certains rites funéraires semble renvoyer à un contexte idéologique spécifique : « en Bohême, la position des corps inhumés est inversée par rapport aux usages des populations à céramique cordée : tandis que ces dernières disposaient leurs hommes, toujours en position fœtale, sur le côté droit, la tête au couchant et le visage tourné vers le sud, les femmes sur le côté gauche, la tête vers le levant et le regard tourné également vers le sud, les hommes des groupes campaniformes étaient couchés sur le flanc gauche, la tête vers le nord et le regard dirigé vers l’est, les femmes (mais également les hommes âgés, mutilés ou blessés) étaient disposées la tête au sud, sur le côté droit, regardant également vers le levant » (12). La corrélation entre les groupes sociaux du campaniforme et la formation d’un contexte funéraire bien différencié, au sein d’un réseau élitaire et d’échange se traduit progressivement par la constitution d’une culture archéologique particulière, soit « un système de connaissances, de techniques, de règles et de croyances communes (13) ». Elle pouvait se nourrir des « réceptions diplomatiques comme des banquets où étaient consommées des boissons alcoolisées dans les fameux gobelets (14). » La langue comme vecteur d’échange était aussi le marqueur d’un statut social. Patrice Brun situe l’apparition de la famille des langues celtiques à la mise en place de l’entité dite Culture des Tumulus du Bronze moyen, campaniforme vers 1600 avant J.-C. : « La population qui partageait « cette culture était probablement déjà locutrice d’une langue celtique. Dès cette époque, celle-ci pouvait être bien distincte des autres langues indo-européennes, à l’instar de la langue grecque parlée, au même moment, par les porteurs de la Culture mycénienne (15). » La pratique d’une langue celtique n’implique pas que les Celtes s’appelaient eux-mêmes initialement des Celtes : « L’important, c’est la reconnaissance mutuelle d’une homogénéité, de l’intérieur et de l’extérieur de la communauté en question (16). »
Les langues celtiques ont procédé d’emprunts mutuels selon le processus de créolisation (17), favorisé par une mise en relation active et accélérée de ces sociétés, dilatable à la mesure de la durée et du volume des échanges générés par les réseaux élitaires qui les génèrent. L’héritage des processus linguistiques de cette acculturation est perceptible dans l’Antiquité par les langues celtiques parlées sur presque toute la façade atlantique, que certains spécialistes (par exemple par Koch 1992) divisent en deux groupes : les langues P-celtiques, également appelées gallo-breton (le Gaulois : Ve siècle avant J.-C.- IVe siècle, le Brittonique : VIe ou Ve siècle avant J.-C., le Picte : IIIe siècle avant J.-C.- IXe siècle, le Lépontique : VIe-IIe siècles avant J.-C.) et les langues Q-celtique, goidélique et celtibère (le Gaélique primitif : VIe siècle avant J.-C., le Celtibère : IIIe siècle avant J.-C., le Tartésien : VIIIe-Ve siècles avant J.-C.) (18).
Le modèle de Patrice Brun a l’avantage de recouper avec les données de la génétique, cependant avec la limite que l’échantillon est encore peu représentatif : « les données archéologiques et génétiques [diffusion de l’haplogroupe R1b] concordent avec les données linguistiques qui laissent penser que les porteurs de la culture de Yamna parlaient une langue de la famille indo-européenne » au IIIe millénaire avant J-.C. : « Des descendants de la culture pontique de Yamna s’étaient avancés dans le bassin des Carpates où ils avaient trouvé un paysage steppique se prêtant bien au type d’agro-pastoralisme extensif initié dans les steppes ukrainiennes. Au cours du troisième quart du IIIe millénaire avant notre ère, des groupes installés le long du Danube moyen, en Hongrie actuelle, ont adopté des éléments du paquetage campaniforme. Il s’agissait notamment d’éleveurs de chevaux qui pratiquaient aussi probablement l’élevage extensif de bovins et d’ovins » (19).
L’importance du complexe campaniforme dans la diffusion des langues celtiques se retrouve aussi dans le modèle de Venceslas Kruta, qui le relie à l’aube de l’agriculture, en Asie Mineure par le courant danubien au VIe millénaire avant J.-C. (Venceslas KRUTA) : « Une indo-européisation cumulative de l’Europe en deux étapes, commencée par la colonisation danubienne du VIe millénaire avant J.-C., amplifiée et renforcée par l’action d’une deuxième vague, particulièrement dynamique, au IIIe millénaire avant J.-C (20) ». Pour Venceslas Kruta, la rupture du IIIe millénaire avant J.-C présente l’inconvénient de présenter l’arrivée en Europe de populations européennes dans « une période d’apparente stabilité dans la plupart des territoires concernés. On n’y connaîtra plus pendant longtemps de mutations de nature et d’amplitude telle que l’on puisse les associer à l’essaimage des parlers indo-européens à partir du noyau initial… (21) ». Il faudrait envisager l’adoption progressive des parlers indo-européens, « de proche en proche ou par l’action de petits groupes de migrants, à peu près imperceptibles par l’archéologie, qui auraient réussi à imposer ainsi ces langues aussi loin que dans la péninsule Ibérique, en Italie, dans les îles Britanniques ou le long des côtes de l’Atlantique (22) ».
Les deux modèles ont le mérite de faire coïncider le complexe campaniforme avec l’apparition de dialectes qui auraient existé dès le début du IIe millénaire avant J-C. Alors que Patrice Brun l’y associe au processus de diffusion des langues celtiques, Venceslas Kruta le relie à la famille des langues indo-européennes. Il reconnaît cependant que le complexe campaniforme correspond aussi aux régions où seront reconnues plus tard les populations celtique (23). Ces thèses s’inscrivent dans la sémiotique historique des langues. Elles confirment bien l’apparition des dialectes différenciés dès l’origine, beaucoup plus ancien qu’on ne l’avait supposé avant avec la théorie de l’ethnogenèse et des migrations des Celtes au VIe siècle avant J.-C.
Des analyses récentes issues de la génétique semblent confirmer le rôle du berceau de la culture Yamna dans la genèse des langues indo-européennes et son lien avec le complexe campaniforme, à l’origine du processus de diffusion des langues celtiques. Camille Gaubert pour la revue Sciences Avenir de 2022 précise les enjeux de cette recherche : « Le nœud du débat se situe notamment sur l’interprétation que font les auteurs des traces d’ADN des Yamnayas, cette tribu nomade occupant 3.000 ans avant J.-C. les steppes pontiques, retrouvées dans presque tous les peuples étudiés » (24) : « D'après les chercheurs, les migrations vers l'ouest et le nord à partir des hauts plateaux d'Asie occidentale (Caucase, au-dessus de l'Arménie) ont divisé une langue originelle proto-indo-anatolienne en branches anatoliennes (en Anatolie) et indo-européennes (dans les Balkans et en Grèce via les Yamnayas) » (25). Iosif Lazaridis, généticien de l’université de Harvard auteur de plusieurs études parues dans la revue Sciences précise : « Nous savions déjà que les Yamnayas ont joué un rôle très important dans la diffusion des langues indo-européennes, explique-t-il, cette famille mère de multiples langues européennes et asiatiques telles que le sanskrit (Inde), le grec ou le latin. Et effectivement, les analyses ADN de 777 individus ayant vécu entre le Néolithique (Il y a 12.000 ans) et la période médiévale (il y a 1.000 ans) autour de la mer Noire confirment une forte présence de l’ADN Yamnaya... Sauf en Anatolie ! » (26). La messe est-elle dite ? Si Jean-Paul Demoule juge la génétique tout à fait satisfaisante, à condition d’user de modèles sophistiqués, il met en garde les courants qui exploitent la génétique selon les modèles rustiques de la raciologie du XIXe siècle, l’équivalence de gènes et peuple. « Il n’y a pas de coïncidence entre culture matérielle et culture biologique » (27). Cet avis est partagé par Serge Lewuillon qui voit poindre « une nouvelle ethnogenèse liée au déterminisme biologique (28) ». Il est vain pour Jean-Louis Brunaux de rechercher un « gène de la celtitude ». L’ADN ne raconte pas la culture.
Cette version ne recoupe pas celle des chercheurs Indiens, dont Srikant Talageri (29), grand spécialiste du Veda pour qui les ancêtres des celtes seraient originaires d'Iran, connus en Inde vers - 4000 et avant, sous le nom de Asuras (êtres non matériels) rivaux des dieux (30). Selon l’historien Hervé Le Bévillon (31), aucune mention ne fait allusion à l'invasion aryenne en Inde qui serait à l’origine de la culture des Yamnayas, elle -même dérivée de celle des Kourganes dans le Rig Veda telle que décrite par David Reich (32). Tous ces modèles reposent sur une interprétation du premier traducteur Max Muller, un sanskritiste du 19e siècle qui, à son corps défendant, est en partie à l'origine du nazisme. Selon ce modèle, les Celtes descendraient des Asuras, plus précisément des Danavas (33), enfants de Danu, une démone. On retrouve cette divinité en Irlande sous le nom de Dana et en Bretagne sous le nom de Anna.
À la question posée par Vincent Charpentier dans l’émission le salon noir de France culture (34) le 25 novembre 2014 : « Le mot celte est-il encore utilisable ? Sommes-nous coupables de l’avoir utilisé ? » Jean-Louis Brunaux répond sans détour : « Si, nous sommes tout à fait coupables et j’espère que c’est la dernière fois qu’on l’utilisera ici » (…) « Cette notion sert à une idéologie trouble et on ne s’en dépassera pas ». De fait, il semble y avoir un hiatus chronologique entre la désignation des sites archéologiques comme « celtiques », au plus tard de l’époque de Hallstatt et l’origine des langues dites celtiques à les remonter au contexte campaniforme. Pour autant y a-t-il abus de langage à utiliser le terme de Celtes au-delà de la première mention d’Hécatée de Milet? Il est en effet difficile d’être aussi péremptoire que Jean-Louis Brunaux si on se rappelle que le terme de celtes n'a pas de racines latines ou grecques et qu’il pourrait bien s'agir de leur propre éponyme ou qu’il renvoie à un concept hérité de l’Antiquité. La réponse n’est-elle pas finalement dans la dialectique entre le « dire » et le « faire », ce qui relève respectivement de l’histoire, la linguistique et l’archéologie, par le discours que l’on a pu tenir et des vestiges qui ont été légués. L’interprétation que propose Patrice Brun vise à rendre les données, apparemment contradictoires de la linguistique et de l’archéologie. Le modèle ainsi défini suppose « de concevoir d’autres mécanismes de formation des identités » (35).
La définition qui en découle est celle de l’entité celtique au sens large reliée au complexe campaniforme telle que définie par Patrice Brun, celui de l’émergence des langues de la famille celtique ou proto-celtique. Elle s’inscrit dans une continuité culturelle, à la fois sur le plan immatériel, dans l’élaboration d’un système de croyances commun - non uniforme dans l’espace et le temps - et de l’archéologie, dans la définition d’un contexte funéraire spécifique à l’origine, celui des tombes individuelles masculines sous tumulus lié au paquetage campaniforme et au développement de la métallurgie du cuivre dont la postérité se traduit dans les legs qui en ont résulté à l’âge de fer. Ainsi peut-on comprendre la perpétuation des traditions architecturales de l’âge du Bronze atlantique au premier âge de fer (VIIIe-Ve siècle avant J.-C.) « tant dans les domaines domestiques que funéraires, avec l’usage des maisons circulaires comme à Kermat en Inzinzac-Lochrist (Morbihan) ou Saint Caradec (Côtes d’Armor) et, plus rarement d’enclos funéraires, circulaires, également » (36). Alors que « rien ne montre que les régions où l’on parle aujourd’hui celtique, à l’ouest, ont été celtisées après 1600 avant J.-C. (37) », « elles n’ont pu l’être [en conséquence] qu’avant (38) ». Dans le complexe atlantique, la présence de colliers à lunules atteste la présence de cette culture commune entre l’Armorique et le sud des îles britanniques durant l’âge de bronze. Le seau à banquets retrouvé à Trémuson dans un puits en 2019, aux côtés de la désormais célèbre statuette à la barbe du IIe siècle avant J.-C. apparaît comme le legs de ce lointain passé lié au complexe campaniforme. Son décor à entrelacs rappelle l'art laténien. Écho à l'époque campaniforme, ce seau, déposé en tant qu'offrande dans un contexte funéraire ou rituel a pu servir lors de banquets.
Mickaël Gendry
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Texte ajouté le 7 octobre 2022 :
Cette réflexion sur l’établissement de l’entité celte, du campaniforme au début de la romanisation à l’échelle de L’Europe et ses prolongements dans le premier Moyen Age dans les pays celtiques (La Bretagne continental, le Cornwall - Cornouailles anglaises - et la Domnonée en Bretagne insulaire, l’Irlande) tente de concilier les définitions de l’archéologie et la linguistique, « le typo-culturalisme suranné (39) » et « le localisme différentialiste actuellement en vogue (40) » selon Patrice Brun. Elle rend compte du schéma discursif de l’ethnonyme des Celtes légué par l’Antiquité grecque. Elle ne conduit pas à établir « un régime d’origination (41) », d’essence biologique ou endogamique. Comme le rappelle aussi cet historien : « Les ethnies ne sont que partiellement des formations biologiques, c'est-à-dire fondées sur une commune ascendance. Ce sont les mythes qui ont construit après coup une fiction dissimulant ces inclusions sous I'apparence d'un arbre généalogique. Il s'agissait de faire paraître naturel un processus éminemment culturel, afin d'en assoir la légitimité et ainsi préserver le lien social. (42) ». La formation de l’entité celte au campaniforme est d’abord celle d’une identité culturelle en mouvement perpétuel, non homogène dans l’espace et le temps, faite de contacts au gré des circuits d’échanges.
Mickaël Gendry
(1) Cet article fait suite à l’article : « Vous avez dit Celtique ? » publié sur le site Agence Bretagne Presse, le 07/09/2022
(2) KRUTA, Venceslas. « L'ethnogenèse des Celtes et son rôle dans la formation de l'Europe », Les Celtes aux racines de l’Europe, Actes du colloque tenu au Parlement de la Communauté française de Belgique au Musée royal de Mariemont les 20 et 21 octobre 2006, Musée royal de Mariemont, 2009, p. 13.
(3) Id., p. 15.
(4) BRUN Patrice, « L’origine des Celtes. Communautés linguistiques et réseaux sociaux », in D. VITALI (dir.), Celtes et Gaulois, l’archéologie face à l’Histoire 2. La Préhistoire des Celtes, actes de la table ronde de Bologne-Monterenzio (28-29 mai 2005), Glux-en-Glenne, Bibracte, 2006, p. 29-44.
(5) BRUN Patrice, La formation de l’entité celtique : migration ou acculturation ? in GARCIA D., LE BRAS H. (dir.) Archéologie des migrations, Paris : La Découverte – Inrap,2017, p. 142.
(6) Idem, 144.
(7) Idem, p. 144.
(8) SALANOVA, Laure, « Le rôle de la façade atlantique dans la genèse du Campaniforme en Europe », in: Bulletin de la Société préhistorique française, tome 101, n°2, 2004. pp. 223-226.
(9) BRUN, Patrice, « La formation de l’entité celtique : migration ou acculturation », La formation de l'entité celtique : migration ou acculturation », in Dominique GARCIA et Hervé LE BRAS (dir.), Archéologie des migrations, La Découverte-Inrap, Paris, 2017, p.144.
(10) KRUTA, Venceslas, « L'ethnogenèse des Celtes et son rôle dans la formation de l'Europe », 2006, ACTES DU COLLOQUE tenu au Parlement de la Communauté française de Belgique et au Musée royal de Mariemont les 20 et 21 octobre 2006 édités par Jacqueline CESSION-LOUPPE, p.24.
(11) BRUN, Patrice, « L’origine des Celtes », 2006, p.37.
(12) KRUTA, Venceslas, « L'ethnogenèse des Celtes et son rôle dans la formation de l'Europe », 2006, ACTES DU COLLOQUE tenu au Parlement de la Communauté française de Belgique et au Musée royal de Mariemont les 20 et 21 octobre 2006 édités par Jacqueline CESSION-LOUPPE, p.22.
(13) BRUN, Patrice, « L’origine des Celtes », 2006, p.37.
(14) Idem, p.36.
(15) Idem, p.35.
(16) Idem, p.34.
(17) BRUN Patrice, La formation de l’entité celtique : migration ou acculturation ? in GARCIA D., LE BRAS H. (dir.) Archéologie des migrations, Paris : La Découverte – Inrap, 2017, p. 145.
(18) Carte : Les langues celtiques de l’Antiquité, LE BIHAN, Hervé « Les origines de la langue bretonne », site BCD, 2016.
(19) Idem, p. 148.
(20) KRUTA, Venceslas, « L'ethnogenèse des Celtes et son rôle dans la formation de l'Europe », 2006, p.18.
(21) Idem, p.17-18.
(22) Idem, p.18.
(23) KRUTA, Venceslas. « L'ethnogenèse des Celtes et son rôle dans la formation de l'Europe », Les Celtes aux racines de l’Europe, Actes du colloque tenu au Parlement de la Communauté française de Belgique au Musée royal de Mariemont les 20 et 21 octobre 2006, Musée royal de Mariemont, 2009, p. 20.
(24) Idem
(25) Idem
(26) Idem
(27) « Indo-Européens : La génétique au secours de la linguistique », émission Hérodote, 11 juin 2008.
(28) LEWUILLON, Serge, « La mal-mesure des Celtes. Errements et débats autour de l’identité celtique de 1850 à nos jours », in, Celtes et Gaulois l'Archéologie face à l'Histoire, Actes de la table ronde de Leipzig 16-17 juin 2005, Rieckhoff, dir. 2006, p.172.
(29) « The Rigveda: A Historical Analysis by Srikant Talageri », éd. Talageri
(30) D., & Doniger, W. (1980). God, Demons and Men. The origins of evil in Hindu mythology (pp.57-212) (No. 6). Univ of California Press
(31) Merci à Hervé le Bévillon pour cette contribution au débat. Ces éléments reprennent sa réflexion en commenatire.
(32) David Reich Presse Universitaire Lausane.
(33) D. (1988). "Goddesses in Vedic Literature' Hindu Goddesses : Visions of the Divine Feminine in the Hindu Religious Tradition". (p.6-18), University of California Press
(34) Les Gaulois sont-ils des Celtes ? Les Celtes sont-ils des Gaulois ? Emission le Salon noir sur France culture avec Jean-Louis Brunaux, le mardi 25 novembre 2014.
(35) BRUN, Patrice, « L’origine des Celtes », 2006, p.31.
(36) VILLARD-LE TIEC, Anne, LE PUIL-TEXIER, Myriam, NICOLAS, Théophane « Les apports récents de l’archéologie sur les Gaulois, vus à travers les pratiques funéraires armoricaines », Congrès du Centenaire 100 ans d'histoire de la Bretagne, SHAB, 2022, tome C, vol. I, p.134
(37) BRUN, Patrice, « L’origine des Celtes », 2006, p.30.
(38) Idem.
(39) BRUN, Patrice, « Le complexe culturel atlantique : entre le cristal et la fumée », in OLIVEIRA JORGE S. (ed.), Existe uma Idade do Bronze atlântico ? Lisbonne : Instituto Português de Arqueologia, p.43.
(40) Idem, p.43
(41) MORVAN, Malo Morvan. « ”Régimes d’origination” et ”archéonymie” : des notions pour rendre compte de la resémantisation du terme ”Celtes” ? », Magali Coumert ; Hélène Bouget. Histoires de Bretagne 6. Quel Moyen-Âge ? La recherche en questions, CRBC, 2019, p p.337-354.
(42) BRUN, Patrice, idem, p.44
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