Le plus vieux site mégalithique n'est pas en Bretagne mais en Turquie, plus précisément au Kurdistan nord, qui fait partie de la Turquie actuelle dans cette zone aussi appelée "le croissant fertile" où l'agriculture et l'écriture auraient été inventées. Le site, entre le Tigre et l'Euphrate, est connu sous le nom de Gobekli Tepe mais le nom du lieu en kurde est Girê Mirazan dans la province kurde de Bakurê. Le site a aussi un nom arménien. La région dont la capitale est Urfa ou Şanlıurfa, l'ancienne Odessa, fut sous protectorat français après la Première Guerre mondiale.
Gobekli Tepe fut construit au néolithique entre 8000 et 9500 av J.C. alors que les plus vieux mégalithes en Bretagne et en Europe remontent à 4700 av J.C. pour le cairn de Barnenez. Donc Gobekli Tepe commence à être construit 3000 à 5000 ans, disons 4000 ans, avant le cairn de Barnenez et 6000 ans avant Stonehenge en Grande Bretagne, qui date de 3000 av J.C. Et bien avant les pyramides qui datent de 2500 av J.C. Un autre site, juste 20km plus loin, Karahan Tepe, semble encore plus ancien.
Les agriculteurs venus de Turquie, il y a 8 000 ans, sont venus à pied jusqu'en Irlande. Ont-ils apporté le cromlec'h puisque ils existaient en Turquie bien avant ? Pas uniquement, puisque les peuples des steppes qui ont migré en Europe de l'Ouest il y a 7000 ans semblent avoir apporté aussi le Kurgan, ces tombes funéraires mégalithiques. Le cairn de Barnenez ou celui de Saint-Michel dans le Morbihan sont juste des immenses kurgans collectifs. Les kurgans avaient aussi des entrées sous des amas de terre ou de pierres. Ces traditions ont pu se croiser pour donner ce formidable essor mégalithique atlantique.
Gobekli Tepe aurait été construit avant l'agriculture par des chasseurs-cueilleurs car il n'y a aucune évidence d'activité agricole dans cette région à l'époque de la construction du site. L'agriculture est apparue dans le croissant fertile (bien plus vert et fertile qu'aujourd'hui) un peu plus tard, mais certains pensent en même temps que sa construction. L'agriculture a ensuite migré vers l'Europe avec la fonte des glaces et le réchauffement climatique qui a suivi la fin de l'ère glaciaire alors que le croissant fertile, lui, est devenu de moins en moins fertile au fil des millénaires. Ce réchauffement continue encore aujourd'hui. Pour rappel, au néolithique, on pouvait aller à pied dans les îles britanniques, y compris en Irlande, en passant par le Cotentin ou le Pas de Calais. Il y avait juste un grand fleuve à traverser, genre Amazone, le Rhin, où confluaient Meuse, Seine et Tamise.
Gobekli Tepe remet en cause l'idée que la civilisation est née avec l'agriculture et la création de cités qui nécessitent l'organisation du travail.
Mais pourquoi des chasseurs cueilleurs auraient-ils construit un tel monument ? Les animaux sculptés en relief sur les piliers de Gobekli Tepe montrent un environnement de chasseurs : gazelles, lions, taureaux, sangliers, renards, ânes, singes, serpents, vautours at autres oiseaux, insectes dont des scorpions et même des léopards. Le temple semble dédié au monde naturel, à cette nature que ces peuples du néolithique craignaient, respectaient et qui les nourrissait. Ce sont de véritables animaux et non pas des animaux mythologiques.
Nous sommes ici probablement dans ce monde de shamans pré-druidique avec des clans totémiques qui devaient se rassembler à certaines périodes de l'année pour des rituels de purification et des procédés de communication avec ce monde naturel. On imagine des accords avec les esprits de ces animaux sanctifiés afin d'obtenir des faveurs, de bonnes chasses, de bonnes récoltes de ce seigle sauvage dont on a retrouvé des traces autour du site. L'iconographie en trois dimensions, restée intacte sur les piliers, montre que les dieux n'existaient pas encore pour ce peuple, mais que les esprits, des manifestations invisibles de ce monde naturel devaient être pour eux des réalités. Des animaux les incarnaient ? Nous ne serions pas loin du système de croyances des peuples premiers d'Amérique du Nord.
De leur côté les animaux représentés sur les mégalithes bretons sont assez limités, à part les baleines, des aurochs, des chèvres... Beaucoup de ces pictogrammes auraient disparu car contrairement à Gobekli Tepe enseveli pendant 10 000 ans, ils sont à l'air libre exposés aux intempéries. Il n'y a qu'à l'intérieur des allées couvertes comme à Gavrinis ou à la Table des Marchands que les pictogrammes sont restés intacts.
Les piliers de Gobekli Tepe comportent aussi des pictogrammes dont la signification n'a pas encore été établie. Une autre similitude avec les mégalithiques et les tombes funéraires en Bretagne comme Gavrinis. Il y a d'autres points communs comme la pratique de déplacer les sépultures ou l'architecture circulaire.
Gobekli Tepe est aligné nord-sud exactement, mais tous les enclos n'ont pas encore été excavés. Il y en aurait au moins 16 et seulement 4 ont été fouillés. Plusieurs alignements astronomiques ont été proposés, du moins pour la plus ancienne des structures. Deneb, Orion ont été rejetées. Sirius est contestée mais a surement joué son rôle. L'archéoastronome Giulio Magli a fait remarquer que, vers 9300 av. J.C., Sirius a commencé à apparaitre à l'horizon entre les deux piliers centraux alors que cette étoile était invisible à cette latitude depuis 15 000 av. J.C. mais d'autres ont fait remarquer que la magnitude de cette étoile était trop faible à cet endroit pour être visible juste avant le lever du soleil. Venceslas Kruta, a montré que le lever héliaque de Sirius signalait la fête de Lugnasad dans les pays Celtes. Bien sûr, Sirius était aussi au coeur du calendrier égyptien puisque son lever héliaque correspondait à la crue du Nil. Sirius, une étoile essentielle de la cosmogonie de l'antiquité, voire du néolithique.
D'autres ont fait remarquer que le pilier 43 avec les pictogrammes d'un cygne et d'un scorpion représente exactement la constellation scorpion au dessous de celle du cygne. Mais la sculpture ressemblerait plus à un vautour. D'autres y voient un calendrier et une grue représentant l'arrivée de l'hiver (un calendrier à deux saisons) qui correspondrait avec leur migration et leur arrivée dans cette région venant du nord de l'Europe. Beaucoup attendent sagement que tout le site soit exploré pour avancer des théories sur l'usage du site. Il peut s'agir de constructions en association avec un calendrier très précis qui corrélaient le retour annuel d'oiseaux ou d'animaux migrateurs, voire la germination de certaines plantes avec le lever héliaque de certaines étoiles.
Volontairement enfoui, ou victime de glissements de terrains, le plus vieux site mégalithique et le plus vieux temple du monde est resté caché des milliers d'années. Seulement quelques pointes de silex, et ce que l'on pensait être des pierres tombales affleuraient (le haut des piliers en forme de T). Le site a été repéré en tant que site archéologique en 1965 dans le cadre de recherches turco-américaines conduites par l'université d'Istanbul. La présence éventuelle de cimetières, dont la destruction est interdite dans la loi musulmane, a sans doute contribué à décourager les archéologues. Les Kurdes avaient aussi un arbre au sommet du tertre autour duquel les gens se rassemblaient au moment de l'équinoxe.
En octobre 1994, l’archéologue allemand Klaus Schmidt visite le tertre de Göbekli Tepe et se convainc que l'endroit recèle certainement d'importants vestiges. Dès lors, depuis 1995, le site fait l’objet de fouilles organisées par le musée archéologique de Şanlıurfa et l’Institut archéologique allemand. Klaus Schmidt dirige le chantier archéologique de 1995 à sa mort, en 2014. Les fouilles continuent en débit que le lieu soit devenu une destination touristique. Seulement 5% du site aurait été excavé à ce jour.
Contrairement aux alignements de Carnac et aux mégalithes du Morbihan, Göbekli Tepe a été inscrit au patrimoine mondial culturel de l'humanité en juillet 2018 par l’UNESCO.
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