ABP : Mona Braz, notre monde contemporain souffre d’un étiolement de la spiritualité. On parle d’ailleurs de néo-paganisme pour englober les tendances qui vont de la sorcellerie aux pratiques ésotériques de toutes sortes (parfois extra-européennes). Le druidisme se retrouve noyé dans ce mélange des genres, dans ce marché mondial de la spiritualité, et est victime d’individus à la recherche du merveilleux plus que celle du sacré, en attestent les nombreux ouvrages fantastiques et pseudo ésotériques qui remplissent les rayons de la Fnac... Comment faire pour éviter de tomber dans cet écueil ?
Mona Braz : En effet, chacun y va de son mélange… Or, il s’agit de ne pas tomber dans le piège de la celtomanie jusqu’à en devenir « celtopathe »… Pour ma part je considère qu’il est indispensable de se baser sur les travaux d’historiens, d’archéologues ou de linguistes pour comprendre ce qu’est le druidisme dans son essence et comment le vivre au XXIè siècle sans en trahir l’esprit. Les universitaires Christian Guyonvarc’h et Françoise Le Roux disaient eux-mêmes : « La rhétorique est romaine, la philosophie est grecque et la tradition est celtique ». La proximité antique des Celtes et des Grecs, des pythagoriciens et des druides, invite à rapprocher philosophie et tradition.
En raison de la transmission orale de la Tradition, le druidisme est dépourvu de textes sacrés et, partants, d’écrits dogmatiques figés. Pour autant, grâce aux textes qui nous sont parvenus (Triades, Barddhas, Mabinogion, etc…), même s’il n’existe plus en l’état, le druidisme antique évite l’écueil d’une rupture totale avec le druidisme contemporain. Il préserve, pour cette même raison, une connexion avec le monde de la Tradition et du mystère sous le registre de la fluidité, la classe sacerdotale qu’il incarnait ayant disparu avec la romanisation et la christianisation de la société celtique telle qu’elle était organisée
Ainsi, toute la matière est là, disponible à qui veut bien s’en donner la peine et y consacrer du temps, et les découvertes continuent (citons Yvan Guéhennec, Philippe Jouët, Bernard Sergent, Gérard Poitrenaud, Barry Cunliffe, etc…).
Mais il faut travailler pour comprendre et se réapproprier nos textes anciens. Rendez-vous compte : les druides étudiaient 20 à 30 ans… Cela équivaut à un parcours de la maternelle aux études supérieures aujourd’hui ! Sauf que l’approche spirituelle, sacerdotale et cosmogonique y est inexistante.
L’étude est donc primordiale. Mais elle ne suffit pas. Si l’on suit les exemples de Yves Berthou, de Pêr Loisel, de Michel Raoult, et d’autres, je dirais que le fait de baigner dans une culture populaire d’origine celtique, bretonne pour ce qui nous concerne, est le point de départ principal. Pour ma part j’ai vécu dans ce monde breton, bretonnant, rural. Puis militant : j’ai eu la chance de connaître cette fantastique période du « revival » alors que j’étais au lycée. Alan Stivell, Skol an Emsav… Les luttes sociales et environnementales aussi : le Joint Français, les ouvrières de chez Doux, Plogoff, les marées noires…
Il n’existe pas de tradition primordiale universelle : il y a DES traditions, chacune enracinée dans un territoire qui peut être vaste, certes, et donc toucher une civilisation entière ou des sociétés. Pour être dans le druidisme, il faut donc s’enraciner dans le celtisme, dans l’interceltisme et le panceltisme.
Enfin : pourquoi aller chercher ailleurs ce qui existe chez nous ? Les druides sont passeurs d’une cosmogonie, d’une vision du monde. Le druidisme permet d’éviter le piège de l’exotisme, d’aller pratiquer ce que je qualifierais de « pillage spirituel » auprès d’autres cultures ; sans pour autant se sentir désaltéré ou apaisé.
Nous pouvons trouver dans le patrimoine celtique, la base de l’ édification du renouvellement de la tradition celto-druidique : cette voie spirituelle qui nous guiderait à construire nos vies autour du principe de l’immortalité de l’âme autour de quoi tout s’organise.
ABP : Le druidisme est donc à relier à une terre, à des origines et à une culture ?
MB : Nos racines sont celtiques et indo européennes. On sait cependant que les druides n’étaient pas enchaînés à leurs territoires et ont beaucoup échangé avec les Grecs, les pythagoriciens, les brahman… Sans chercher à convertir, mais plutôt dans une dynamique d’enrichissement mutuel par la confrontation des idées.
Une personne qui viendrait en Bretagne et qui apprendrait les us et coutumes des Bretons, se plongerait dans notre culture pourrait très bien prétendre à s’engager sur la voie du druidisme ; nous sommes enracinés mais pas fermés, au contraire, c’est parce que nous sommes bien enracinés que nous sommes ouverts au monde et à la diversité, dans la confiance. L’arbre de la tradition est bien enraciné dans les terres celtiques. Mais les branchages s’étendent et permettent à ceux qui les respectent d’y nidifier.
ABP : Aujourd’hui, beaucoup de personnes fantasment sur le druidisme et ses valeurs. Pourtant, bien que la voie sacerdotale soit complexe et requiert, a priori, un long travail, on assiste, dans certains cas, à une folklorisation et un manque de sérieux chez certaines personnes. Quelles sont selon vous les qualités indispensables sur lesquelles travailler pour pouvoir se réclamer druide, et comment reconnaître les profils sérieux ?
MB : Il y a deux points : l’adhésion à une certaine vision du monde, dont la recherche de la connaissance, et la reconnaissance par ses pairs, la filiation.
Premièrement, un druide est pour moi une personne convaincue par la doctrine druidique, qui parle de métempsychose et donc de l’immortalité de l’âme. Nous sommes des êtres vivants, vivant une expérience humaine, que l’âme quittera ensuite comme un vieux vêtement. L’important est ce que l’on va réaliser dans cette incarnation, en suivant la triade « Honore les dieux et les déesses, ne fais pas le mal, sois courageux ».
La recherche de la connaissance doit guider ses pas. Mais attention : car au-delà d’une accumulation de savoirs, il y a ce que l’on en fait. Si ceux-ci ne deviennent pas de la connaissance, qui améliore le comportement de la personne dans sa vie quotidienne, alors cela ne sert à rien. On entend souvent cette citation, inscrite sur le temple de Delphes (dédié à Apollon, lui-même d’origine hyperboréenne par sa mère, ndlr) : « Connais-toi toi-même ». Ironiquement, la plupart des gens en oublie la moitié. La voici dans sa version complète : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers entier et les dieux ».
Beaucoup de druides ou de druidisants sont restés dans la conception du monde vu par le prisme judéo-chrétien : ils sont soit à côté, soit au-dessus, soit en dessous du monde, mais certainement pas faisant partie intégrante du monde ! Or, c’est précisément cela qui nous anime. Nous ne partageons pas la vision d’un créateur à côté ou au-dessus de sa création. Nous considérons que la force créatrice est en toute chose. Le tout est dans le particulier, et le particulier est dans le tout.
Deuxièmement, méfiance vis-à-vis des druides auto proclamés… Plus leurs pratiques sont délirantes, moins elles sont enracinées dans la tradition. Il est donc nécessaire de se rattacher à des clairières officielles.
Bien entendu, il ne s’agit pas de rejoindre obligatoirement la Gorsedd de Bretagne. Beaucoup d’autres clairières sérieuses existent, s’inscrivant dans lignée de Iolo Morganwg (Edouard de Glamorgan en gallois, à l’origine du néodruidisme ndlr). Mais une personne qui se revendique druide doit être reconnue par ses pairs et s’inscrire dans une généalogie de transmission. Il ne devrait rien y avoir de secret là-dedans : chacun devrait être en mesure de citer la personne de qui il a reçu l’initiation, car qui dit tradition dit transmission et lignée.
Heureusement que des clercs chrétiens ont retranscrit une partie du savoir qui peut être diffusé aujourd’hui. C’est sur ces ressources que se base l’essentiel de nos connaissances. Mais, de mon point de vue, prétendre que nous descendons directement et totalement des druides antiques est en revanche complètement impossible.
Enfin, par rapport à cette curiosité qui se manifeste chez des personnes de plus en plus nombreuses au sujet du druidisme, je recommande souvent aux personnes intéressées de bien observer les druides, de garder leur discernement, de développer leur esprit critique vis-à-vis de ce que représente un druide : y-a-t-il alignement entre ce que la personne dit et prône dans le druidisme et son mode de vie ? Parce que le merveilleux et la capacité à l’émerveillement ont quitté la vie de beaucoup de personnes, ces dernières vont chercher du merveilleux magique ou miraculeux ou exotique déconnecté du miracle de la simplicité et de la vie quotidienne. On nous prête parfois des pouvoirs complètement délirants ! Le terme « mage » dont on nous qualifie parfois doit être compris dans le sens de « sage ». On ne provoque pas de miracle et nous n’avons pas de baguette magique !
ABP : Quelle place entrevoyez-vous demain pour le druidisme ?
MB: Je suis intimement convaincue que le druidisme est une tradition vivante qui peut apporter son regard singulier dans la gestion des questions écologique, anthropologique et spirituelle contemporaines.
Quelle que soit la définition que nous lui donnions ou dans laquelle certains voudraient l’enfermer, le druidisme nous rappelle douloureusement que, dans ce monde essentiellement matérialiste, nous nous sommes coupés du Sacré et du Divin ; et, par conséquent, d’une partie de nous-mêmes. Dès lors, il devient nécessaire et urgent de privilégier une démarche holistique pour la résilience de la planète Terre dont l’humanité fait partie.
Le druidisme nous rappelle que nous sommes coupés, que nous avons été coupés ici en Bretagne, de nos racines celtiques par un pouvoir central parisianisé et monolithique qui est essentiellement jacobin.
Historiquement parlant, les druides étaient aussi conseillers des rois, parfois diplomates, ils s’occupaient donc de politique. Ce qui devrait suffire à rendre évidents les propos politiques que je tiens en réponse à cette question.
Je disais que la Bretagne et ses habitants, entre autres peuples, colonisés à l’intérieur de l’Hexagone, sont victimes d’un système essentiellement jacobin hérité de la Révolution française. « Au commencement était le crime », écrivait Hannah Arendt. Effectivement, il y a eu une violence parfois criminelle propre à la Révolution et à la Terreur (volonté prométhéenne de créer un Homme nouveau en réponse à l’image du paysan superstitieux, pieux et dévot, invention et usage intensif de la guillotine, abominations de la guerre de Vendée, etc…). Cette violence s’est ensuite retournée contre tout ce qui ne correspondait pas à l’image de cet Homme nouveau qui bien sûr parlait français et honorait la déesse Raison en réponse à la regrettable omnipotence de l’Eglise. Vision jacobine de l’uniformisation sous couvert d’égalité pour consolider une République française dont le territoire est construit sur une suite d’annexions et de colonisations, y compris des esprits.
Malgré l'ouvrage de Jean-François Gravier, « Paris et le désert français », paru en 1947, qui avait provoqué une réelle onde de choc dans l'opinion. Malgré le rapport « Décoloniser la province » de 1966 dont le préambule commençait par cette formule équivoque : « Le socialisme est d'abord une lutte contre toutes les formes de domination de l'homme sur l'homme », y compris domination culturelle et linguistique ; malgré le seul véritable acte de décentralisation, celui de Gaston Defferre en 1982 ; malgré l’émergence de forces politiques autonomistes régionales organisées , etc… malgré ces louables efforts et avancées, les Jacobins mènent toujours la danse. Y compris dans ce refus de reconnaître à l’Hexagone ses racines celtiques. Un refus qui va se fourrer dans les contenus pédagogiques et scolaires, dans la place donnée à ces racines à l’université et dans les médias, jusque dans des expositions construites pour déconstruire (sous couvert de caution scientifique des commissaires d’exposition) l’identité des Bretons et des autres !
Or, nous vivons en direct des fins de cycles plus ou moins longs qui rejoignent la vision de succession des ères qu’avaient aussi les druides, en lien avec les ères cosmiques, et les cycles des étoiles dans le ciel en lien avec les cycles des humains sur la Terre. Eglise finissante avec la fin de l’ère des Poissons, fin du cycle de la Révolution, fin du cycle de l’économie libérale et thermo-industrielle fondée sur les énergies fossiles et la prédation des ressources, etc…
Dans ce contexte mouvant générateur d’inquiétudes existentielles et de quête de sens, le druidisme pourrait être une voie de décolonisation des esprits, en lien avec la décolonisation des peuples.
Le druidisme pourrait alors être une voie de reconquête et de reconstruction, dans un double mouvement fécondant et fertile, individuel et collectif.
Reconquête ? Il s’agirait de reconquérir notre autonomie individuelle et aussi l’autonomie des peuples dans une interdépendance équitable, libérés du joug de la domination des uns sur les autres. Il s’agirait de reconquérir notre culture, notre langue, nos racines, notre vision du monde, notre histoire si différente de l’histoire de France. Et, la Bretagne, pays celtique n’en déplaise à certains, y retrouverait une nouvelle vitalité.
Reconstruction ? Ces reconquêtes risqueraient d’être vaines si elles n’étaient pas sous-tendues par le renouvellement de notre tradition celtico-druidique, a contrario de la construction de l’Homme nouveau des révolutionnaires, Homme nouveau coupé de ses racines, véritable pâte à modeler pour tout système totalitaire. Il s’agirait dès lors de reconstruire une société humaine autour de la notion de communauté, elle-même construite autour de la notion des communs. Les communs, cette possible nouvelle voie d’épanouissement pour l’humanité dans toute sa diversité et dans la proximité sacrée des communautés humaines avec le territoire où elles vivent. Là aussi en interdépendance avec tout le vivant.
« L’antique pasteur attendait avec impatience et saluait avec joie l’apparition de la Chèvre/Capella qui, à cette époque annonçait le retour du printemps ; tandis qu’aujourd’hui, l’homme a oublié qu’il est un citoyen du ciel, s’occupe peu de sa patrie et ignore absolument ce qu’il est, où il est et où il va », nous dit poétiquement et tristement en 1902, Lucien Bosc, membre de la Société astronomique de France. Je partage cette tristesse devant l’oubli de cette appartenance première et ce grand sommeil de la conscience qu’est l’ignorance de notre nature essentielle… Encore faut-il ne pas confondre cette nature stellaire qui se plie à l’ordre du cosmos, et vouloir briller comme une star qui n’en fait qu’à sa tête… Or, le druidisme a vocation à retrouver son rôle de boussole pour nous guider en tant que citoyens du ciel et de la Terre, sur ce chemin d'éveil. Êtres spirituels, nous sommes pareils à des apatrides dans un monde matérialiste et aveugle aux mondes invisibles mais perceptibles à qui y est sensible.
Les Triades XXIII et XXIV nous disent, pour la première, que les destins de l'Homme est déterminé mais ouvert (Trois obligations-de-nécessité d'Homme : supporter, changer, choisir. Et de pouvoir choisir, on ne sait rien des deux autres avant l'échéance), et pour la seconde, que le choix de l'Homme participe à l'équilibre universel (Trois participations d'Homme : Abred et Gwynfyd, Angen et Rhyddyd, Drwg et Da. Le tout est en équilibre. Et le pouvoir pour l'Homme de s'attacher à l'un ou l'autre terme qu'il voudra.) Nous voyons combien est grande notre liberté de choisir malgré les conditionnements et les déterminismes. Soyons dignes de cette liberté d'être !
« La dernière heure nous est cachée », était-il inscrit sur des horloges bretonnes des siècles passés, rappelant l’importance de chacune des vingt-quatre heures d’une journée.
Aussi, n’attendons pas la dernière heure pour regretter de n’avoir pas agi, de n’avoir pas participé, de n’avoir pas accompli notre part de cette reconquête et de cette reconstruction, à partir de la vision du monde des druides, on ne peut plus d’actualité.
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