Après « L’Archipel français » en 2019, « La France sous nos yeux » en 2021, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’IFOP, a sorti son nouveau livre « La France d’après » en octobre 2023, toujours au Seuil : 543 pages d’informations et d’analyses pertinentes appuyées par de nombreuses cartes.
« La France d’après », c’est celle d’après les années 1980 et surtout des deux dernières décennies. Impossible d’en faire un résumé. La première impression cependant est la perte d’identité. Pour l’auteur, de nombreux territoires, comme le grand Bassin parisien, ont perdu leurs anciennes couches culturelles. Pour lui, ils ne sont plus que des territoires hydroponiques, c'est-à-dire un substrat neutre et inerte (sable, pouzzolane, billes d’argile, etc.) irrigué par une solution contenant - artificiellement donc - des sels minéraux et des nutriments.
Il pousse la métaphore encore plus loin lorsqu’il parle du palimpseste alsacien (manuscrit constitué d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau). En Alsace aussi, différentes couches culturelles se sont superposées au cours des dernières décennies. Notamment la couche yankee qu’il mesure au nombre de clubs de danses country, et la couche orientale liée à l’immigration, qu’il mesure au pourcentage de prénoms arabo-musulmans et au nombre de kebabs. Le vote pour Emmanuel Macron le plus fort est notamment à Strasbourg, ville cosmopolite et européiste, et le long de la route touristique des vins d’Alsace. Le Rassemblement national fait le plein dans la partie plus reculée de l’Alsace qui a, paradoxalement, gardé sa plus forte identité.
Jérôme Fourquet fait ainsi des monographies régionales, des zooms très précis, mais tirant toujours des conclusions générales. Les paramètres d’étude sont variés : la part des décédés dont le lieu de naissance est situé à moins de 50 km, la densité de médecins généralistes, le prix de l’immobilier, les indices de boboïsation (magasins bio, enseignes de vêtements, galeries d’art…), le taux de cambriolages, le prix du gasoil.
Parmi les paramètres les plus parlant : la distance à partir du centre d’une métropole. Au second tour des élections présidentielles de 2022, à 10 km du centre, le RN monte à 30 % des voix, à 30 km à 47 % et à plus de 100 km, le vote se maintient à un plafond à 44 %. D’une façon très simplifiée, les mondialisés des centres villes pour Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon, les banlieues d’immigrés pour Jean-Luc Mélenchon, et les éloignés de la mondialisation pour Marine Le Pen.
Ce vote, lié à l’éloignement ou non des métropoles, a suivi le tri de population qui s’est opéré depuis les vingt dernières années : une classe aisée au centre, la fuite des classes populaires françaises des banlieues islamisées ou des trafiquants de drogue, le refuge des Français de catégories socioprofessionnelles moyennes dans les communes d’une large périphérie. Le changement de population en cours est désormais généralisé. A titre d’exemple nous pouvons citer la Loire-Atlantique où le pourcentage de prénoms arabo-musulmans donnés aux nouveaux nés était de 2,4 % en 2001 alors qu’il est monté à 12,1% en 2021.
Le vote du RN est globalement le vote des classes populaires, un électorat partiellement partagé avec LFI, 26 % des ouvriers ont voté pour LFI et 34 % pour le RN au premier tour des élections présidentielles de 2022. A noter que pour ces mêmes élections, le parti des damnés de la terre, le PCF, n’a recueilli que 1 % du vote ouvrier ! Concernant le profil des candidats aux élections législatives de 2022, Renaissance était constitué à 60 % de CSP + (catégories socioprofessionnelles supérieures), deux fois moins pour le LFI et le RN. LFI a recruté principalement chez les enseignants, les professions de la santé et du travail social, le RN également chez ces mêmes professions intermédiaires, mais aussi parmi les techniciens, les employés et les ouvriers.
Une des caractéristiques de ces deux dernières décennies est la concentration des services publics dans les métropoles et donc la perte de services publics ailleurs. Les chiffres sont édifiants : le nombre de maternités est passé de 742 à 478 en vingt ans ; les antennes du Trésor public étaient 3300 en 2004 pour 1500 aujourd’hui, la longueur totale des lignes ferroviaires était de 31 735 km en 1999 pour 26 895 en 2022.
Jérôme Fourquet constate un « processus de décivilisation » : « On peut faire l’hypothèse que cette couche de vernis civilisationnel qui avait été patiemment déposée au fil des siècles, s’est fissurée au cours des dernières décennies ». Et de citer le nombre de fonctionnaires de police blessés qui est passé de 3800 en 2004 à 5800 dix ans plus tard ; le nombre de pompiers agressés, 895 en 2008 et 3400 en 2018 ; le nombre d’agressions de médecins, 1077 en 2004 et 2253 en 2022, le nombre de voitures brûlée à la Saint-Sylvestre, 379 en 2003 et 874 en 2021, le nombre de cambriolages, 169 100 en 2008 et 210 500 en 2022, le nombre de détenus 48 594 en 2000 et 72 836 en 2022.
La délinquance explose en particulier en lien avec la vente de drogues - donc avec l’augmentation de la consommation -, avec 5 millions de consommateurs de cannabis en France dont 1,4 millions de consommateurs réguliers. La Bretagne est désormais bien gangrénée. Citons Jérôme Fourquet : « Le cas d’un département comme l’Ille-et-Vilaine est, de ce point de vue, assez parlant. Si Rennes recense une quarantaine de points de vente, le reste du territoire est également desservi avec des points de deal au plus près du consommateur dans des villes petites ou moyenne, comme Saint-Malo, Vitré, Fougères, Redon ou Dol-de-Bretagne, les communes satellites de Rennes n’étant pas épargnées avec, par exemple, des points de vente à Chantepie ou à Saint-Jacques-de-la-Lande, où le four (nom donné au point de deal par les trafiquants) est situé face à la mairie. » Vous voilà prévenus, consommateurs du monde entier, vous pouvez vous ravitailler en face de la mairie de Saint-Jacques-de-la-Lande !
Jérôme Fourquet décortique précisément les motivations des électeurs du Rassemblement national : la lutte contre la délinquance, contre l’immigration clandestine, contre le terrorisme pour le pouvoir d’achat. Nul besoin d’évoquer le camp du mal, l’extrême-droite, les odeurs nauséabondes, Jérôme Fourquet ne se drape d’aucune vertu, ne juge rien, il expose les faits, rien que les faits. Il suffit d’ouvrir les yeux ! La Bretagne est largement touchée par tous ces maux de la décivilisation qu’il analyse dans son livre. Le vote pour le second tour des élections présidentielles en 2022 a tout dit : à titre d’exemple, 37,20 % pour le RN à Ploërmel et 39,18 % à Carhaix. Les scores sont quasiment partout les mêmes, à hauteur de la moyenne française qui est de 41,45 %, hormis pour les métropoles et le littoral breton.
La solution et le bon sens ne seraient-il pas de prendre en compte les problèmes qui préoccupent objectivement les électeurs du Rassemblement national ? Ne pas tenir compte des données objectives du livre « La France d’après » serait pour le coup rester dans l’aveuglement d’aujourd’hui.
Emile Granville
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