Dans l'édition du journal "Le Monde" datée du 13 novembre 2013, Françoise Morvan attaque, comme elle sait si bien le faire, le mouvement populaire breton de ces dernières semaines. Croyant le désamorcer, ou l'éteindre, elle l'anime.
La dernière phrase de son article est la suivante : « la guerre ne fait que commencer ». Photo à l'appui : un jeune Breton, sac sur le dos, drapeau dans la main, défiant sagement un portique écotaxe gardé par une horde de CRS. Comme d'autres défiaient des chars, il y a une vingtaine d'années, place Tian An Men.
Qui déclenche « la guerre » madame Morvan ? Vos mots. Et votre étroitesse d'esprit. Le Dalaï-Lama rappelle que la réflexion est « une gymnastique de l'esprit » : il faut s'échauffer avant d'exercer, sinon on risque le claquage. A trop insister sur l'idée de « résistance » en Bretagne, Paris ne fait que nourrir son discours de toujours : belliqueux à souhait et empli de ressentiment.
Pour exemple, la radio "Europe 1" appelait encore la semaine dernière le maire de Carhaix à « désarmer ». Pour ne pas dire qu'elle lui sommait de le faire, et d'obtempérer. Pour ne pas dire non plus qu'elle lui « aboyait » cet « ordre ».
Mais où sont « les armes » ? Où est « la guerre » ? Où est « la haine » ? Nous ne sommes pas armés. Le monde entier l'a vu à Quimper le 2 novembre. Nous savons parler. Le problème est que nous ne sommes pas entendus.
Le problème, en l'occurrence, n'est pas que « les Bretons de Paris » n'aient pas une oreille pour le pays, mais qu'ils parlent trop, et mal.
Le ministre de la Défense nous rappelle par exemple que le terme « ultimatum » n'est pas « républicain », la ministre de la Réforme de l'Etat « que tout dialogue est désormais ruiné » et le premier ministre, qui affirme si bien « nous connaître », qu'il saura nous « punir ». Quand au conseiller spécial du président de la République, et maire de Quimper, il a la sagesse du silence.
A faire passer les Bretons pour des fous dangereux, le point de vue français sur les événements récents alimente un jeu, en effet, dangereux. Le soi-disant « rapport de force » révèle en réalité les Français (de Paris) dans toute leur splendeur : crispés, autistes et intransigeants, manifestant ainsi un manque total de réflexion, et donc de souplesse d'esprit. Exactement comme leur philosophe national : René Descartes, imbuvable à force d'avoir été empoisonné. Dans le texte comme dans le sang.
Il est fini le temps du « rationalisme parisiano-parisien ». On porte aujourd'hui des bonnets rouges en Alsace, à Nice et à Dunkerque. Les Français en ont assez d'être « des Français », parce que l'on est incapable de leur expliquer « en haut » en quoi cela consiste désormais. Alors les Bretons perdent patience : si « être Français » ne sert plus à rien et ne signifie plus rien, autant être soi-même. En toute sérénité.
Le discours de Françoise Morvan, appelant littéralement à « la guerre », est donc dangereux et, en vérité, affligeant. Elle construit son objet, comme elle sait bien le faire, pour ensuite nous l'imposer. Que la Bretagne lui reste "en travers de la gorge" est son problème. Il ne nous concerne en rien.
Elevons plutôt le débat et reconnaissons avec les intellectuels bretons Romain Pasquier et Yvon Ollivier que la France a intérêt, plus que jamais, à écouter la Bretagne.
Malheureusement, le problème est que la France est sourde, autiste et repliée sur elle-même. Elle demeure ce projet confisqué par Paris et dont le symbole suprême, totem ou tabou, le crâne de René Descartes (qui n'est pas le sien), est depuis le 19ème siècle « propriété de la nation », et donc « de l'Etat ». A-t-on vu ailleurs pareille absurdité ? Ils n'ont plus que l'autoritarisme pour pédagogie. Encore une fois madame Morvan, ce n'est pas « la guerre » qu'il faut faire, ou refaire, mais la philosophie.
Simon Alain