Aujourd’hui 8 janvier, c’est l’anniversaire du mariage d’Anne de Bretagne et du roi de France Louis XII. Un mariage célébré au château des ducs de Bretagne à Nantes le 8 janvier 1499. Beaucoup d’évènements fatidiques autour d’Anne de Bretagne se sont déroulés au mois de janvier. La duchesse est née le 25 janvier 1477 à Nantes aussi au château des ducs de Bretagne. Le 7 janvier 1499, un contrat de mariage qui fait figure de traité international est signé entre la duchesse Anne et le roi Louis XII. Il spécifiait que le 2e enfant du couple, fille ou garçon, hériterait du duché et que ce duché redeviendrait souverain après la disparition du couple. La duchesse et reine décèdera le 9 janvier 1514 mais rien ne se passa comme prévu.
3. Item, et à ce que le nom et la principauté de Bretagne ne soit et ne demeure aboli pour le temps à venir, et que le peuple d’icelui païs seroit secouru et soulagé de leurs nécessitez et affaires, ci esté accordé que le second enfant masle, ou fille au defaut de masle, venant de leurdit mariage, et aussi ceux qui isseront respectivement et par ordre, seront et demeureront princes dudit païs, pour en jouir et user comme ont de coustume faire les ducs ses predecesseurs, en faisant par eux au Roi les advenances accoustumées ; et s’il avenoit que d’eux deux en ledit mariage n’issist ou vinst qu’un seul enfant masle, que cy-après issent ou vinssent deux ou plusieurs enfans masles ou filles, audit cas ils succéderont pareillement audit duché, comme dit est.__La clause 3 du contrat de mariage d'Anne et de Louis XII (traité du 7 janvier 1499)
Ce jour-là, sa fille Renée, âgée de 3 ans seulement, aurait dû être proclamée duchesse de Bretagne selon le traité de Nantes de 1499. La proclamation royale aurait dû être : « La duchesse est morte, vive la duchesse Renée ! ». Une ou un régent aurait dû être choisi par les Etats-de-Bretagne. Le nom du régent ou de la régente a pu être aussi dans le testament de la reine.
Les historiens comme Joël Cornette reconnaissent aujourd’hui que le testament de la reine a été détruit volontairement afin que le duché puisse être annexé définitivement au royaume de France.
Mais qu’il y avait-il dans ce testament ? Il est évident que la duchesse réaffirmait l’héritage de sa fille Renée. De plus en plus de preuves vont dans ce sens. On sait qu’elle avait confié Renée à son amie dévouée Michelle du Fresne, dite de Saubonne (1485-1549), et dame de Soubise. Michelle de Saubonne était d’ailleurs la gouvernante de Renée depuis sa naissance. Or, cette dame a défendu toute sa vie l’héritage de sa protégée y compris le duché. Elle a d’ailleurs vite été écartée de la cour par François 1er et Louise de Savoie, sa mère... seulement un an après la mort d’Anne de Bretagne. Elle est écartée en 1515, mais rejoindra Renée à Ferrare en 1528 suite à son mariage à 17 ans avec le duc Este de Ferrare et son exil en Italie. C’est sans doute elle qui expliquera à Renée qu’elle est en fait duchesse de Bretagne car la pauvre n’en n’avait jamais été informée et son contrat de mariage avait été écrit en latin. (1)
Un texte de l’historienne Caroline Zum Kolk est édifiant quant au mariage-exil de Renée de Bretagne, appelée à tort Renée de France. Caroline Zum Kolk est historienne, spécialiste de la cour de France et de la place des femmes dans les sphères du pouvoir (XVe-XVIIe siècles). Ses recherches sur Renée sont principalement basées sur l’historien de la Bretagne Dom H. Morice.
Le 18 mai suivant (1514), François épousa Claude, et le 27 octobre il reçut de Louis XII l’administration du duché de Bretagne au nom de sa femme, qui prit en même temps le titre de duchesse de Bretagne. Louis XII précisa néanmoins que ce don était fait « sans préjudice du droit que nostre tres-chere et très-aimee fille Renee de France a et peut avoir audit pays et duche ; lequel droict et tout ce qui peut lui en appartenir, nous lui avons reserve et reservons par ces presentes » [dans Dom H. Morice].Après la mort de Louis XII, les droits de Renée sur la Bretagne disparurent des documents. Le 28 juin 1515, sa sœur offrit la Bretagne à son époux François Ier « pour le rémunérer du don qu’il lui a pleu faire des duchez d’Anjou, Angoumois, comte du Maine, et se charger du mariage de sa sœur Madame Renée de France ». Claude joignit les comtés de Nantes, de Blois, d’Étampes, de Montfort l’Amaury et de Coucy à ce don ; et tout cela non pas « à vie » mais à perpétuité, « sans y rien réserver ni retenir ».
Le transfert de l’héritage maternel des filles d’Anne de Bretagne dans le giron de la couronne était ainsi accompli. François Ier n’ignorait pas que cette transaction s’était réalisée au détriment des droits de Renée et que celle-ci pourrait, une fois adulte, la contester et revendiquer sa part d’héritage. Si par malheur elle était mariée à un époux puissant, capable de soutenir les droits de sa femme, la situation pourrait s’avérer fort délicate pour la couronne. Le mariage de Renée avec Hercule d’Este permettait au roi d’écarter ce danger : un duc italien, maître d’une petite principauté, n’était pas en mesure de s’attaquer au roi de France.
Qui plus est, et conformément à la tradition, la jeune femme abandonnait officiellement avec son mariage ses droits sur sa part de l’héritage familial en échange d’une dot, dont le montant sera fixé par le roi. Suivons les avocats de Renée qui décrivent la manière dont François Ier avait « conclu mariage », en soulignant évidemment le tort fait à leur cliente.
Le roi avait chargé de la rédaction du contrat de mariage deux procureurs, Jean de Selve, premier président du Parlement de Paris, représentant Renée, et le chancelier Antoine Duprat, représentant de François Ier . Jean de Selve autorisa l’élaboration d’un contrat désavantageux pour sa protégée, « oubliant qu’il avait este serviteur du feu père de la Suppliante et honore par lui des premiers offices de ses parlements de Paris et Bretagne » . Renée dut ainsi signer un traité rédigé en latin, « langage à elle inconnu » et ne fut pas informée de ses droits, « ignorant entre autre chose les dits contrats dudit Louis XII, ensemble celui dudit Charles V Empereur » . Les avocats font ici allusion à un projet de mariage de Louis XII qui souhaitait conclure un mariage entre Renée et Charles du Luxembourg, le futur Charles Quint. En compensation à l’abandon de l’héritage familial, une dot de 600 000 écus d’or avait été envisagée à cette époque. Le projet, commencé en 1513, fut abandonné par François Ier.
En 1528, la couronne s’en sortit à moindre frais. Le contrat de mariage de Renée ne prévoyait aucun dédommagement particulier pour son héritage familial. En tant que fille de roi, elle eut le droit de percevoir sa dot sur le domaine et revenu de la couronne. Charles VI en avait fixé le montant à 200 000 écus d’or. Cette somme fut prise comme point de départ en 1528 et ne fut augmentée que de 50 000 écus d’or. En outre, seuls ces 50 000 écus devaient être payés au moment du mariage, le reste n’étant versé que sous forme d’une rente annuelle de 10 000 écus. Renée était ainsi traitée comme une simple fille de roi de France et non pas comme l’héritière de domaines particulièrement importants. Elle ne recevait que la dot traditionnellement fournie aux princesses depuis le règne de Charles VII.
Les avocats n’hésitèrent pas à juger sévèrement l’attitude du procureur et du roi : la procédure, autorisée
« par un prétendu Procureur d’une mineure en bas age, ne sachant et ne connaissant rien de ses droits, portant alienation de ses biens (…) pour et au profit de son tuteur, et pour si vil prix que le seul revenu d’une annee de ses droicts vault mieux que ce qui lui a este promis pour faire ladite renonciation et cession, voire que la seule coupe de la forest de Monfort l’Amaury (…) valoit plus que ce qui lui a este promis ».
En outre le contrat de mariage contenait une clause visant à empêcher Renée de France de faire un recours en justice contre l’aliénation de ses biens parentaux. Son beau-père Alphonse d’Este devait garantir qu’Hercule et Renée respecteraient la renonciation dans le futur, sous peine de perdre toutes les rentes que lui-même et le couple percevaient en France. Il devait aussi promettre de faire ratifier une renonciation par Renée quand celle-ci aurait atteint l’âge de vingt-cinq ans.
Ainsi déboutée, Renée se trouvait dans l’impossibilité d’intenter une action en justice pendant son séjour à Ferrare. Ce n’est qu’après le décès de son mari et son retour en France en 1560, qu’elle entreprit une procédure pour récupérer au moins une partie de ses biens parentaux. Son expédition traîna en longueur et s’achevait avec compromis, conclu le 23 décembre 1570 : Charles IX promit de récompenser Renée d’une « somme d’argent » sans indication du montant, et donna à Renée et à sa fille Anne d’Este les duchés de Nemours et de Montargis ; le premier de ces duchés fut élevé au rang de pairie. L’exécution du contrat se trouva par la suite bloquée par le procureur général de la couronne qui refusa son enregistrement. Renée ne vit jamais son achèvement puisqu’elle mourut en 1575, avant la fin du procès.
Son mariage avec Hercule d’Este correspondit ainsi pour Renée à la perte d’un héritage considérable. Sans parentèle et protecteurs pour veiller sur ses intérêts, la jeune femme ne pouvait échapper aux manœuvres de son tuteur. Après cette spoliation, elle quitta la France pour un pays dont elle ne connaissait ni la langue, ni les coutumes.
-Caroline Zum Kolk. Caroline zum Kolk, « Les difficultés des mariages internationaux : Renée de France et Hercule d’Este », in I. Poutrin et M.-K. Schaub (dir.), Femmes et pouvoir politique. Les princesses d’Europe, XVe – XVIIIe siècle, Bréal, Rosny-sous-Bois, 2007, p. 102-119. Article légèrement remanié publié en ligne sur le site Cour de France .
(1) Renée intentera un procès contre le roi de France Charles IX à son retour en France afin de récupérer son héritage. Les péripéties de ce procès ont été relatées par le Bon de Girardot
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