Sortir un sondage comme un lapin de son chapeau
On peut dire avec les sondages tout ce qu'on veut, tout dépend de la façon dont on pose la question. Ainsi Ouest France avait soulevé une vive réaction parmi les militants bretons il y a juste un an en posant des questions tordues sur la réunification de la Loire-Atlantique à un échantillon de 184 personnes seulement : (voir le site)
Une autre tactique est de concocter des sondages bidons. Il suffit de ne pas citer la source «un sondage dit que...». C'est ce que fait Libération dans un article paru le 21 septembre écrit par une certaine Françoise Morvan. En tout cas, même si ce sondage existait et ça reste a prouver, il est démenti par tous les autres qui démontrent que les Bretons veulent une plus grande autonomie. Le soi-disant donnerait 3 % des Bretons seulement en faveur de l'autonomie.
Le gouffre entre sondages et élections
De toute évidence cette conclusion est basée sur la fausse assumation qu'il y a une connexion entre les scores électoraux des partis autonomistes et indépendantistes bretons - qui sont généralement en dessous de 5 % - et les idées d'autonomie ou d'indépendance. Comme preuve du contraire, Dominique Voynet et les Verts ont fait moins de 2 % à la présidentielle et aux législatives.
L'idée ne viendrait à personne d'affirmer que les Français ne se sentent pas concernés par l'environnement. En fait, la majorité l'est, comme la majorité des Bretons l'est aussi pour la décentralisation et même elle est pour l'octroi de véritables institutions régionales en Bretagne.
Les modes de scrutin français, l'absence de proportionnelle, les verrouillages via le clientélisme des deux grands partis, les caisses noires de ces partis qui leur permettent justement d'échapper aux règles imposées aux petits partis, font qu'en France il y aura toujours un saut quantitatif entre les élus et l'opinion citoyenne, entre la politique et les sondages.
Rappelons que, dans ce pays, les députés ne représentent pas des circonscriptions ou collectivités mais la nation dans son ensemble (article 64 de la Constitution).
Lire entre les lignes
Un sondage Ouest France-IFOP, aussi contesté d'ailleurs, donne seulement 48 % des Bretons favorables à la décentralisation. Cela ne veut pas dire que la majorité est contre l'autonomie, loin de là, mais seulement que beaucoup sont contre la façon dont la décentralisation de Raffarin a été menée et en particulier l'augmentation des impôts qui s'ensuivit, sans parler de l'absence des simplifications administratives souhaitées puisque 68 % des Bretons souhaitent la disparition des départements.
Le même sondage IFOP montre clairement le désir d'autonomie des Bretons
(voir le site) ou directement en PDF : (voir le site)
Noyer le poison dans l'eau
On notera que, dans ce sondage, les questions sur les régions sont noyées dans celles sur les autres collectivités et les questions gênantes sont carrément éliminées. Ainsi, page 24 du document, la case pour la question sur la réunification pour le département de la Loire-Atlantique, est simplement indiquée candidement par NP (non posée), on aurait pu dire « censurée ».
En lisant entre les lignes on comprend toutefois que 83 % des Bretons sont favorables aux référendums décisionnels dans les collectivités - y compris la région et surtout la région - puisque, dans une autre question, ils ont répondu vouloir supprimer les départements !
Donc 83 % des Bretons souhaitent une démocratie directe comme en Suisse ou en Californie. 79 % souhaitent que la région ait un pouvoir réglementaire et 74 % souhaitent que les collectivités - y compris la région et surtout la région - puisse lever des impôts et recevoir une partie des impôts locaux. Pour ceux qui n'auraient pas compris, cela veut dire que 77 % (la moyenne des 3) des Bretons sont pour l'autonomie.
Poser la question une fois en 4 siècles ou les lents progrès de la démocratie éclairée par l'État
En ce qui concerne les sondages, il faut saluer le courage du journal Le Télégramme, pour avoir commandité en 2002 au CSA un sondage clair et net, sans ambiguïté sur l'indépendance, l'autonomie et la réunification (voir le site) . C'était courageux de leur part. Et sur les 5 départements.
Il semblerait que cela soit la seule fois en 400 ans que l'on ait demandé leur avis aux Bretons. En 2002 donc, 18 % des Bretons des 5 départements étaient pour l'indépendance de la Bretagne dont 24 % dans le 44 seulement. Il est tout à fait raisonnable de penser que ce chiffre a dépassé maintenant les 20 %. Tout simplement parce que c'est la tendance des régions européennes de même type. Que ce soit en Écosse, en Belgique ou en Espagne, les tendances indépendantistes vont en s'accentuant et il n'y a aucune raison de penser que ce ne soit pas le cas pour la Bretagne. On espère qu'il ne faudra pas attendre encore 4 siècles pour que l'on repose la question aux Bretons.
Philippe Argouarch