Jeudi dernier une grève proposée par l’ensemble des syndicats maritimes a salué l’examen par le Sénat de la loi instaurant ce que d’aucuns appellent « le nouveau pavillon de complaisance français », le RIF ou Registre International Français. S’il est légitime que chacun défende ses acquis, il est impossible de contester la réalité du transport maritime international d’aujourd’hui. Les pavillons de complaisance représentaient 5% du tonnage brut en 1945, 30% en 1980 et atteignent aujourd’hui 64% (Michel Marchand. Annales des Mines). C’est la réalité qu’ont construite les armateurs avec la complicité des États, réalité à laquelle nous sommes maintenant tous confrontés. Les armateurs ont fait très fort, ils se sont arrangés pour que ce soit un organisme international qui régente leur activité. Les industriels privés réagissent et s’adaptent beaucoup plus vite que la structure inter-États qui définit, a posteriori, les règles du jeu. Ils étaient assurés d’avoir toujours et dans tous les domaines plusieurs longueurs d’avance sur la loi. Ils ne pouvaient trouver rien de mieux que l’OMI avec sa lourdeur organisée pour être tranquille dans leur pré carré. De plus, l’OMI produisant des conventions internationales, le citoyen de base, disposant de son droit national, ne peut que s’incliner. Bravo. Les États ont permis cela, laissant des opérateurs privés exercer leurs activités sans se soucier des dégâts collatéraux causés aux populations du littoral et à l’environnement. En février prochain, l’OMI débattra d’une convention sur les ballasts. Elle a été officiellement saisie de ce problème en 1988. Il lui a fallu 16 ans pour jeter les bases d’une convention qui n’entrera peut-être jamais en vigueur, qui, si elle entre en vigueur, ne sera peut-être pas appliquée, sachant qu’aucune sanction n’est prévue pour les États qui ne respectent pas les Conventions qu’ils ont signées. Tout est à l’avenant. Ce n’est pas étonnant que les immatriculations exotiques aient permis toutes les dérives et tous les abus. C’est regrettable mais c’est la réalité. Refuser la réalité cause certainement plus de dégâts que de s’y adapter. La moins mauvaise façon de lutter contre les pavillons de complaisance, type Panama, Libéria, Bahamas et les autres en fond de cale, est de mettre en place une nouvelle génération de pavillons où des bornes seront mises au libéralisme débridé qui sévit dans ce milieu. Il vaut mieux rapatrier les pavillons de complaisance en Europe, les contrôles seront mieux faits, les conditions sociales moins déplorables. Nul ne peut contester que le fait pour Malte et Chypre d’intégrer la Communauté européenne a poussé ces pays à faire le ménage dans leurs registres. Les navires battant pavillon RIF seront contrôlés par la France, ce qui est tout de même un gage de sérieux comparé aux inspections-fantômes des Bahamas ou du Libéria. Les armateurs sous pavillon RIF ne se permettront pas d’embaucher de pauvres hères payés 150 dollars par mois un mois sur trois. Aucun membre d’équipage ne pourra être embauché en-dessous des normes OIT, l’Organisation Internationale du Travail. Les pavillons bis, qu’ils soient norvégiens, danois, allemands, anglais ou français sont le (seul ) moyen de ramener dans nos pays européens la gestion de centaines de navires immatriculés aujourd’hui dans des lieux sans foi ni loi. Faire capoter la mise en place du RIF n’arrangera en rien la situation des navigants français. L’autre jour à Brest, on a beaucoup parlé du CMA CGM VOLTAIRE, un des fleurons du premier armement français. Seul le nom du navire est français, le Voltaire est libérien. Dur pour Voltaire. N’oublions pas qu’aucune loi n’oblige un armateur français à immatriculer son navire en France. Les citoyens n’ont pas pu empêcher le développement des purs pavillons de complaisance, ils ont la possibilité d’influer sur les règles des pavillons bis. Jo Le Guen