L’exposition “Celtique ?”, qui présentait l’identité celtique comme un mythe, était apparue délibérément orientée. La polémique allant croissant, la directrice des Champs libres avait annoncé que les textes de l’exposition seraient corrigés au cours de l’été. C’est chose faite, ces textes ont été revus et devraient être affichés prochainement au Musée de Bretagne. Mais, le problème de fond, qui avait été soulevé, ne semble malheureusement pas avoir été convenablement pris en compte.
Les textes de l’exposition “Celtique ?” étaient particulièrement tendancieux, ainsi que cela avait été mis en évidence, tout d’abord par le musicien Alan Stivell[1], puis par le sociologue Ronan Le Coadic[2], et, enfin, par l’auteur du présent article[3], si bien que la Direction de l’éducation et des langues de Bretagne du Conseil régional de Bretagne avait ensuite été alertée[4]. Après quoi, conformément à ce qui avait été annoncé[5], ces textes ont été récemment corrigés et sont actuellement en attente d’impression[6]. Selon Ouest-France, la première version de l’exposition avait « été validée par un comité scientifique réunissant quinze experts de haut niveau »[6]. Cette dernière information peut, cependant, être mise en doute, car les textes ne semblent pas avoir eu l’aval de certains membres du comité scientifique de l’exposition, comme ces derniers l’ont fait savoir[7].
Le but de l’exposition a été expliqué par une membre de son conseil scientifique. Cette dernière indique, en effet, en fin de vidéo de présentation de l’exposition[8], située à la page d’accueil du site de l’exposition[9] : « C’est tout l’enjeu de l’exposition que d’expliquer comment cette image a été construite, par qui et pourquoi ». Seulement, l’exposition s’est avérée incapable de répondre avec un minimum d’objectivité à ces questions, puisque les sources avaient été soigneusement sélectionnées de manière à aller dans le sens de la conclusion définie par avance, à savoir que l’identité celtique des Bretons était une construction des Bretons eux-mêmes. Manon Six, la commissaire de l’exposition, avait d’ailleurs indiqué clairement que cette conclusion relevait d’un parti pris : « Notre parti pris est véritablement, en effet, d’insister sur le caractère de la construction de ce message et de cette identité celtique. »[10] Et Laurence Prod’homme, responsable de la recherche au musée, n’a fait que confirmer : « Nous avons voulu montrer en quoi tout ça est une construction, un récit qui s’est construit au fil du temps ».[6]
Comme le site Internet de l’exposition, dans sa première version, reflétait fidèlement le contenu de l’exposition présentée au Musée de Bretagne, il est raisonnable de penser qu’il en va de même pour la deuxième version, qui est d’ores et déjà en ligne[9]. Or, cette nouvelle version révèle que le procédé manipulatoire n’a pas réellement été remis en question. L’épilogue focalise toujours sur une construction volontaire de l’identité celtique : « L’image de la « Bretagne celtique » a été l’objet d’une longue construction. »[11] Les données allant à l’encontre du message qu’ont voulu faire passer les personnes à l’origine de l’exposition, comme Manon Six et Laurence Prod’homme, ne sont pas vraiment pris en compte dans la conclusion, quand il ne sont pas tout bonnement absents de l’exposition. Plusieurs exemples peuvent être donnés.
Premièrement, il n’est toujours pas fait référence à la littérature franque, puis française. Ainsi, le contenu de l’exposition n’évoque toujours que le discours des intellectuels bretons sur l’identité celtique en Bretagne, sans faire figurer à aucun moment, que les Bretons ont été qualifiés de Celtes, et de manière dévalorisante, depuis le haut Moyen-Âge par les auteurs francs puis français, ainsi que Ronan Le Coadic l’a mis en évidence, alors que les deux phénomènes sont évidemment liés, puisqu’il s’agissait pour les Bretons, selon le sociologue, « d’inverser le stigmate »[2].
Deuxièmement, les historiens français ne sont pas non plus mentionnés. Bernez Rouz a pourtant mis en avant que « c’est […] un des plus grands historiens français, Augustin Thierry qui assoit le concept de Bretagne et de Gaule celtique » et que « ses travaux au début du XIXème siècle ont un écho immédiat en Bretagne [où] se créent 8 sociétés savantes, regroupant 500 membres actifs qui remuent notre terreau historique hors des sources grecques et latines »[12]. Cela contredit clairement l’idée que fait passer l’exposition d’une construction identitaire qui serait à attribuer aux seuls intellectuels bretons, puisqu’ils n’ont fait que se baser sur les connaissances historiques de leur temps et qui n’étaient pas de leur fait.
Troisièmement, il n’est pas fait non plus état de la recherche allemande sur les Celtes, et des conséquences de cette recherche en Bretagne. Or, Bernez Rouz note que « c’est en Allemagne très en avance sur les études celtiques [que l’ethnologue parisien Henri Gaidoz] prend conscience de la nécessité de faire dialoguer les savants intéressés par la permanence des éléments celtiques en Europe », et que « la revue Celtique est née en 1870 à l’initiative [de ce dernier] »[13]. La mise en place d’une revue scientifique sur les questions celtiques par un Parisien, lui-même influencé par des travaux allemands, contraste, là encore, avec « un récit particulier […] répondant tout à tour à des objectifs politiques, stratégiques, culturels… »[14] L’identité celtique en tant qu’objet de recherche répondant à un intérêt scientifique est donc clairement négligé.
Quatrièmement, l’existence d’un héritage celtique remontant à l’Antiquité n’est toujours pas abordée sérieusement, alors qu’un certain nombre de travaux et ouvrages ont été cités par Ronan Le Coadic, dans son premier article sur l’exposition tout d’abord[2], et dans son deuxième article sur le sujet ensuite[15]. Et l’impact de cet héritage celtique ancien sur l’identité culturelle reste minimisé, comme le montre la sentence suivante : « Plus que la continuité avec une civilisation lointaine, c’est le regard que les sociétés portent sur leur héritage et ce qu’elles en font au présent qui est déterminant dans la construction d’une identité culturelle. »[11] Sur quelle étude peut bien se baser une telle déclaration ? Mystère… En réalité, cette affirmation montre que l’exposition confond allègrement l’identité culturelle, en tant que système d’expression, de représentation et de valeurs, dont les ressorts sont généralement inconscients, le sentiment d’identité et le discours identitaire conscient, propre à un individu ou à une communauté donnée.
Cinquièmement, les besoins psychologiques humains semblent également ignorés. Les textes de l’exposition font à présent valoir que « la volonté de se rattacher à un passé précis relève à la fois de la fabrique politique d’un territoire mais aussi de phénomènes de construction culturelle »[11]. La recherche de vérité, ou, à défaut, d’explications, sur le passé et sur les origines constitue pourtant une constante chez l’homme, que cette recherche concerne le passé ou les origines de l’individu, du groupe, de l’homme, de la vie, de la Terre, du système solaire ou de l’Univers… Pour en rester à l’humain, la philosophe Simone Weil déclarait : « Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu’à l’avenir. C’est une illusion dangereuse de croire qu’il y ait même là une possibilité. L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle même. Mais pour donner, il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé. »[16] La tendance à ne présenter que des objectifs politiques, stratégiques et culturels tend à rattacher les apports des scientifiques, historiens ou ethnologues à des desseins particulièrement douteux, et montre ainsi que la nouvelle version de l’exposition n’a pas su se départir entièrement de l’idéologie de départ.
D’autres critiques faites précédemment restent entièrement valables, comme celles concernant l’arbre des langues[3], qui n’a subit aucune modification dans la nouvelle version de l’exposition[17], ou la surestimation des flux migratoires[3], la Bretagne restant décrite comme « le résultat du brassage constant de populations […] à travers les siècles »[11]. Pour compléter ce dernier point, il pourrait être ajouté que Paol Mingant, en se basant sur la paléogénétique et les données d’Eupedia[18], note qu’« aujourd’hui, la répartition de [la mutation] R1b-L21 correspond parfaitement avec l’aire des langues celtiques »[19].
Et sans doute serait-il utile de rappeler que l’aspect particulièrement dommageable de l’exposition réside dans la dévalorisation d’une identité vivante auprès de ceux qui se reconnaissent en elle, particulièrement lorsque ceux-ci sont des enfants ou des adolescents. Or, il s’agit bien là d’un public ciblé par l’exposition, ainsi que le prouve l’existence du dossier pédagogique à leur attention[20]. Mais ce dernier n’a, à l’heure actuelle, nullement été réécrit ; toutes les remarques le concernant ayant pu être formulées[3] restent donc entièrement d’actualité.
Enfin, si le contenu de l’exposition a, de toute évidence, été grandement édulcoré dans sa nouvelle version, cela reste insuffisant pour donner un caractère objectif à l’exposition. La présentation « pour la première fois, des découvertes récentes des archéologues de l’Inrap » datant de l’Âge du Fer, quelle qu’en soit l’importance[6], ne justifie aucunement que des informations soient présentées dans l’objectif de soutenir une opinion trouvant sa source dans une idéologie politique, quand bien même cette dernière serait frappée du sceau de l’officialité ou serait celle de l’appareil d’État.
Article publié le 17 août 2022 sur le site Justice pour nos langues ! : http://justicepournoslangues.fr/actualites/2022/une_version_edulcoree_de_l_exposition_celtique.html
Notes :
[1] « Musée de Bretagne à Rennes, exposition « Celtique ? ». Je retire mon parrainage », par Alan Stivell, Facebook, 20 mai 2022, 11 h 35.
[2] « Une manipulation idéologique au musée de Bretagne à Rennes », par Ronan Le Coadic, Le Club de Mediapart, 29 juin 2022.
[3] « La stigmatisation de l’identité bretonne via l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2022, modifié le 1er août 2022.
[4] « La Région Bretagne résolue à se renseigner sur les pratiques du musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 2 août 2022.
[5] « La Bretagne, pas celtique ? Polémique autour d’une expo », Le Quotidien, 3 août 2022, 5 h 00, mis à jour le 2 août 2022 à 18 h 52.
[6] « Le Musée de Bretagne révise son exposition « Celtique ? » », Serge Poirot, Ouest-France, 16 août 2022, 14 h 36.
[7] « Le musée de Bretagne contraint de revoir le contenu de l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 4 août 2022, modifié le 6 août 2022.
[8] Bretagne celtique ?, réalisé par Arnaud Géré, Musée de Bretagne, Rennes, 2022.
[9] Page d’accueil du site Celtique ? L’expo.
[10] Podcast – C comme celtique avec Manon Six, Bretagne Culture Diversité, Becedia.
[11] « 5. Épilogue », sur le site Celtique ? L’expo.
[12] « Bretagne celtique ! Quand les historiens français confirment le caractere celtique des Bretons et font des émules en Bretagne », Bernez Rouz, Le Trésor du breton écrit – Teñzor ar brezhoneg skrivet, 3 juillet 2022.
[13] « 1870 : La Revue Celtique donne une assise scientifique aux travaux sur les langues l’histoire et les traditions des pays marqués par l’empreinte celtique », Bernez Rouz, Le Trésor du breton écrit – Teñzor ar brezhoneg skrivet, 10 juillet 2022.
[14] « La construction d’un récit », sur le site Celtique ? L’expo.
[15] « Exposition « Celtique ? » : de la partialité à la post-vérité ? », par Ronan Le Coadic, Le Club de Mediapart, 10 août 2022.
[16] Weil, Simone : 1949. L’enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain. Paris : Gallimard.
[17] « 3. Breton, langue celtique ? », sur le site Celtique ? L’expo.
[18] « Haplogroupe R1b (Y-ADN) », par Maciamo Hay, Eupedia, mis à jour en janvier 2014.
[19] Mingant, Paol : 2022. « Keltiek ? ». Ya!, no 888, 17 juin 2022, p. 9.
[20] Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré, par Céline Morvan, Musée de Bretagne – Les champs Libres.
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