En cherchant dans les grands titres de la presse parisienne numérisés sur Gallica ceux qui parleraient d'Anne de Bretagne, soudain, une photo de coiffe bretonne attire l'oeil.
Source : Le Petit Parisien. Le plus fort tirage des journaux du monde entier, n° 11.628, samedi 22 août 1908, (voir le site) de Gallica, page de l'article, p. 4 col 5-6.
Un projet verrait bientôt le jour... au 21 de la rue du Cherche Midi (Paris VIe).
Mais le bâtiment actuel date de 1936.
Voici la copie de l'article dont l'auteur, qui ne signe pas, mériterait d'être connu.
Rubrique Les curiosités provinciales
Titre Un musée parisien de coiffes bretonnes
Il sera incessamment créé. On y verra également des objets, des meubles, et des produits de l'industrie armoricaine.
C'est une idée curieuse et toute séduisante qu'un Breton songe à réaliser. Il s'agit de créer au 21 de la rue du Cherche Midi, un musée de coutumes bretonnes. Mais pourquoi le choix de cette rue, de cet immeuble ? Au numéro 21 de la rue du du Cherche Midi (1) se trouve le siège social de l'Assistance bretonne (2), dont M. Paul Roué, l'organisateur du musée futur, est vice-président, et l'on ne pouvait dès lors choisir local mieux approprié aux objets que l'on se propose de grouper.
Ici la Carte postale de la collection Villard, Quimper : Coiffe bretonne : Jeune fille de Pont-Aven.
Dans les rares loisirs que lui laisse sa profession d'avocat, M. Paul Roué (3) s'occupe de la Bretagne avec ardeur. Il n'oublie pas, au milieu de l'incessante rumeur et la tourbillonnante activité de Paris, les calmes années qu'il passa sur les plages merveilleuses, dans les environs de Guérande et du Croisic. Et il y revient avec joie car il est un de ces « Enfants de la Loire-Inférieure » dont le groupe, toujours fidèle au souvenir des ancêtres, prend part aux grandes fêtes qui en font revivre les usages.
De nos jours, moeurs et traditions régionales se perdent. Tout aspect particulier à telle ou telle province semble sur le point de s'abolir. Les traits qui jadis caractérisaient la « petite patrie » tendent à disparaître dans la grande (4). Aussi faut-il les recueillir avec plus de ferveur. En garder trace, n'est-ce pas servir l'histoire et vivifier le passé ?
- J'ai écrit à mes amis, me disait hier M. Roué, pour leur demander de m'envoyer toutes les pièces du costume breton qu'ils pourront se procurer. Mais surtout je les prie de m'envoyer des coiffes de femmes...
Coiffures, dorures et parures
Rien de plus varié, de plus pittoresque qu'une série de coiffes bretonnes, ajoute-t-il en souriant... On ferait bien des découvertes attachantes si l'on pouvait suivre l'évolution de la coiffe aux diverses époques, dans toute l'étendue de la Bretagne... La forme change avec le temps, avec la région. Les femmes de deux villages, séparés à peine par un espace de quelques lieues, ne portent pas des coiffes de même genre... (5) Vous voyez que ces études comparatives sont capables d'attirer et de distraire même des esprits moroses... Avec les coiffes bretonnes, nous tiendrons un peu de l'histoire de l'Armorique dans nos vitrines... On pourrait en faire autant pour les autres provinces... Cette tentative répond aux mêmes aspirations que le « Groupement des associations départementales » installé au Musée social (6).
Tout en causant, M. Roué a pris dans sa bibliothèque un certain nombre de cartes et un volumineux album. Je lui demande si l'on peut établir une relation de cause à effet entre le degré de prospérité de telle ou telle région et la coiffure des femmes qui l'habitent.
- L'aspect de la coiffe est-il vraiment révélateur de la richesse ou de la pauvreté du sol ?
- Mais sans doute !... L'observation le prouve, en Bretagne, du moins... Lorsque le sol est fertile, qu'il n'exige pas trop d'efforts de la part des travailleurs, l'aspect du costume est plus joyeux, plus riche. Et l'on remarque que les coiffes de femmes sont plus étoffées, qu'elles encadrent les physionomies avec plus d'ampleur. La contrée est-elle revêche, dure aux habitants ? La coiffe n'a plus la même forme, elle se rétrécit, ne couvrant qu'une partie de la chevelure. J'ai déjà reçu des coiffes de différents points de la Bretagne, mais en trop petit nombre. Je reçois aussi des vêtements d'homme. Et le fondateur du musée met sous mes yeux un superbe gilet aux boutons dorés, aux broderies éblouissantes, où les ornements capricieux, le collet et les poches garnies de velours s'enlèvent en nuances vives sur un fond bleu de roi.
- Tenez !... voici un gilet sorti des mains d'un humble artiste local. Ce sont les paysans eux-mêmes qui confectionnent les vêtements de cette sorte. La terre bretonne est sous la neige durant trois mois d'hiver...
(col. 6) Ces longues journées on les passe au coin du feu et l'homme travaille à réparer ou à renouveler ses vêtements. Il faut bien trois mois pour faire un pareil gilet dont la valeur est d'environ 100 francs... Mais on perd de plus en plus l'amour du costume local...
- Aujourd'hui, continue mon aimable interlocuteur, on ne retrouve les vieux usages que dans les districts reculés... Ou peut le constater avec regret, surtout pour ce qui concerne les vêtements. Les anciens costumes avaient une autre allure que notre banal habillement moderne...
Et M. Roué me montre les photographies amoncelées sur la table. Il feuillette l'album où d’innombrables cartes illustrées mettent l'imprévu des figures et des paysages.
Il y a là des coiffes de toutes les provinces et l'on y trouve, au milieu des dessins venus du Morbihan ou de l'Ille-et-Vilaine, la coiffe ou barbichet des Limousines, ainsi que la coiffe des Sablaises et le joli costume de ces pêcheuses vendéennes en corsage blanc, à jupon court permettant les grandes enjambées sur la grève.
Mais des coiffes bretonnes dominent, et voici, dans toute leur diversité, la coiffe du Croisic qui se porte un peu rejetée en arrière ; la coiffe de Guéméné-sur-Scorff dont la dentelle retombe sur la nuque, la large coiffe de Pont-Aven avec des bouts flottants sur les épaules ; celles du pays nantais, la vieille coiffe de Blain qu'on appelle la Bline, celle-ci plus humble, plus familière, plus paysanne, dirait-on... Et encore des coiffes extrêmement légères, petites, de forme conique, portées sur le sommet de la tête qu'elles ne recouvrent qu'à demi ; les coiffes de Janzé avec des brides en dentelle, les coiffes de Grand-Fougeray, les coiffes de Bourg-de-Batz fixées sur la chevelure au moyen d'un rebord arrondi et rayé blanc et brun. Il en est de modestes, de joyeuses, de discrètes, les unes font montre d'une parfaite simplicité, d'autres sont élégantes, recherchées, complexes avec de candides replis et de singuliers enroulements...
Ce que doit être le Musée
Malgré les difficultés de l'entreprise, M. Roué compte pouvoir inaugurer le musée durant le prochain mois d'octobre [1908]. Et pour que la vie bretonne y soit représentée sous tous ses aspects, il y fera figurer aussi des lits-armoires, des huches, des binious, des bombardes (fifres), des penn-baz (casse-tête) etc. On y trouvera l'art, l'ameublement, l'industrie comme dans ces musées que l'on a créés en Suisse et qui permettent au voyageur séjournant à Bâle, à Zurich, à Berne, de se former une notion précise du degré de culture des Helvètes aux différentes périodes de leur histoire, tant leurs meubles, leurs armes, leurs instruments et jusqu'à leurs ustensiles de cuisine se trouvent fidèlement reproduits dans un cadre en harmonie avec l'époque.
Souhaitons donc bonne chance au fondateur du musée breton. En menant à bien son projet, il aura secondé les rechercher des folkloristes et mérité la gratitude de ceux qui s'intéressent passionnément à tout ce qui subsiste des traditions de nos vieilles provinces.
(1) Actuellement disparu...
(2) l'Assistance bretonne : plus de traces, l'immeuble date de 1936 (voir photos)
(3) Paul Roué, né à Blain (Loire-Atlantique) (1867-mort ?). Avocat à la Cour d'appel de Paris, directeur du journal L'Avocat. Il est l'auteur de 44 documents du fonds de la BnF (Bibliothèque nationale de France) : (voir le site)
(4) Cette remarque en trois phrases est encore très actuelle... Déjà en 1908...
(5) Ce n'est qu'en 1953 que les études de René-Yves Creston (1898-1964) commencèrent à paraître :
Les costumes des populations bretonnes, préf. de Pierre-Roland Giot, en 5 vol., Rennes, éd. Laboratoire d'anthropologie générale, 1953-1961.
tome I : Généralités (1953) ;
- tome II : La Cornouaille (1954) ;
- tome III : Le Léon, le Trégor, le Goëlo, la Bretagne médiane (1959) ;
- tome IV : Le Pays de Vannes, le Pays de Guérande, la Haute-Bretagne (1961) ;
- fascicule additionnel (1959) : Méthode pour l'étude des costumes populaires.
Ce qui déboucha sur l'édition posthume de son livre très connu :
Le costume breton, éd. Tchou, 1974 (retirage 1978).
(6) Le Groupement des associations départementales installé au Musée social est le Groupement des associations départementales d’aménagement des structures des exploitations agricoles et du développement local et pour des actions se rapportant à la politique d’aménagement des structures des exploitations agricoles et du développement local.
Le Musée social est une institution associative fondée en 1894 qui, aux yeux de nombreux historiens, doit être considérée comme le creuset doctrinal de l'État providence...
Une Américaine, Janet Horne, professeure à l'université de Virginie, vise à expliquer la genèse et l'évolution de cet organisme original.
Le Musée social sur wikipédia : (voir le site)
Le Musée social a été fondé en 1894, à Paris, 5 rue Las Cases, 7e arrondissement, sous la forme d'une fondation privée reconnue d'utilité publique. Le but était de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon d’Économie sociale de l’exposition universelle de 1889 mise en place et animée par Frédéric Le Play avec comme secrétaire Émile Cheysson.
Un grand nombre d'associations ou de coopératives y eurent leur siège social ou y tinrent de nombreux congrès.
Sa bibliothèque conserve environ 100.000 volumes (monographies et périodiques) et constitue le lieu de mémoire de l'action sociale, de l'économie sociale et de l'histoire sociale. Le fonds ancien (de 1894 à 1964) de la bibliothèque est classé Archives historiques depuis 2008.
(7) Date de la fondation du Musée des ATP (Bois de Boulogne) : 1937. Musée national des arts et traditions populaires Paris, 1937-2005.
Georges Henri Rivière, le fondateur, observe que la France est le seul pays européen à ne pas disposer d'un musée de folklore.
Le Musée national des Arts et Traditions populaires et le Centre d'Ethnologie française. Dans : L'Homme. 1968, vol. 8, n° 4, p. 125-127 est en ligne : (voir le site)
Extraits :
" Fondé en 1937 par Georges-Henri Rivière, dirigé depuis 1968 par Jean Cuisenier, le Musée national des Arts et Traditions populaires est un musée laboratoire d'anthropologie sociale, consacré à l'étude de la société française et des pays de culture française. Il dépend comme musée, du ministère des Affaires culturelles (Direction des Musées de France), comme laboratoire, du ministère de l'Éducation nationale (Centre national de la Recherche scientifique).
Le Musée et son Centre sont installés aux portes de Paris, dans le bois de Boulogne. Le bâtiment qui les abrite répond à ses différentes fonctions : conservation (galeries, salles de réserves, ateliers), documentation (salles de travail, bibliothèque, iconothèque, photothèque, phonothèque, archives), enseignement.
Une fraction seulement des collections sera exposée. Le Musée dispose en effet d'un fonds considérable : 82.145 objets inventoriés, 26.957 phonogrammes, 40.693 ouvrages, 1.841 périodiques, 132.530 documents photographiques inventoriés, des centaines de milliers de pièces d'archives documentaires et scientifiques ". Le gérant : Louis Velay.
Mais en 2005 ses collections ont été transférées au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée qui a ouvert le 7 juin 2013 à Marseille. Sans que ça ne fasse plus de bruit que cela. Nos collections de traditions sont maintenant enterrées dans des réserves du MUCEM à Marseille... (250.000 objets stockés dans des réserves), au lieu d'être réparties dans leurs provinces d'origine... : (voir le site) : du JDD qui titre Le musée naufragé du bois de Boulogne
Et fabula.org veut sauver la bibliothèque : (voir le site)