Une toile contemporaine, horizontalement, balayée, badigeonnée, par de larges, orangés et rougeoyants coups de brosse. Dans le quart de l’espace supérieur droit de cet abstrait tableau, un aplat échevelé bleu nuit, apparaissant comme une trouée dans notre vision. Au centre de ce dernier, trois lettres orangées non normées, non typographiées ; c’est ainsi que se présente le parallélogrammatique visuel que nous devons à la graphiste Léna MAZILU (Voir site) créatrice de l’interpelant design de ce présent Digipack qu’elle transforme en conceptuel, attractif et pictural objet.
Les trois lettres précitées, forment un mot, en breton. C’est la seule notation armoricaine figurant sur la jaquette : « NIJ », comme « vol », « envol » !
NIJ est, aussi, le nom de ce duo de musiciens bretons bien connus et que nous avions, déjà et récemment rencontrés, sur nos pages en ligne, en compagnie de la remarquable violoniste Floriane LE POTTIER, lorsque nous vous présentions l’album « Mascaret », création du trio SkeeQ (Notre chronique) .
Il s’agit de Mael LHOPITEAU, à la harpe électrique et au chant et Tristan LE BRETON, à la batterie et aux sons additionnels.
NIJ publie « Les Orbes de Cristal ». Ne cherchez pas ce titre d’opus en façade de jaquette, celui-ci ne figure, que fort, discrètement sur la tranche du contenant cartonné, ou, plus ostensiblement, sur le pan central interne du triptyque constituant le Digipack, au dos, siglé Compagnie des Possibles, InOuïes distribution et Région Bretagne.
Malgré l’absence de toute connotation graphique, bretonne, celtique, c’est bien de la musique bretonne que vous allez entendre. Et même, de la musique à danser, puisqu’au cours de ces plus de 58 minutes, particulièrement originales, esthétiques et plus qu’agréables à écouter, à savourer, vous allez retrouver, Hanter-dro, valses, ridée, pilé menu, plinn, scottish, toutes originalement composées, par les deux compères.
Sur les 13 pièces, 7 d’entre elles, sont créées par Mael, 5, par Tristan, 1 étant co-composée par les deux complices.
Pour 2 compositions, la danse fera, même, quelques pas, en Scandinavie.
En piste 2, ce sera, titrée « Leda », une « Polska », danse de couple à trois temps originaire de cette région d’Europe du nord et, en clôture du disque, « Pasiphaé », une « Chapelloise », danse originaire de Scandinavie où elle était prenait pour nom
« Aleman's Marsj », avant d’être importée, voire adaptée, en Écosse, sous le nom de « Gay Gordons ».
Nous ne pouvons que comprendre la présence de ces deux belles incises musicales et dansantes d’origine scandinave, puisque, nous l’avions mentionné, dès l’orée de notre susnommé papier numérique consacré à « Mascaret » : « Depuis plus de dix ans, ils explorent, ensemble, la musique traditionnelle suédoise ».
Par ailleurs, résultant de riches échanges et partages avec d’autres musiciens tout aussi imprégnés du patrimoine de leur terroir, avec « Hégémone », la piste 6 sera consacrée à une mazurka d’Auvergne, la piste 10, avec « Pandia », à une bourrée du Poitou.
Le programme « Les Orbes de Cristal » alterne, assez systématiquement, 6 Instrumentaux et 7 chants, dont, en piste 9, pour « Calycé », un morceau « à effet vocal en phonographique porte-voix », plus que naturellement chanté. Toutes les paroles sont écrites en langue bretonne par Tristan LE BRETON ou Mael LHOPITEAU, le harpiste les interprétant, soulignons-le, dans un fort mélodique chant et rythmique phrasé, aussi traditionnel qu’incitant au pas dansé.
Nous regrettons, toutefois, que ces textes et leurs traductions n’aient pas été repris sur un livret inséré dans la jaquette.
Il est toujours intéressant, notamment pour les non locuteurs, d’en saisir le contenu.
En parcourant ce qui précède, vous avez dû remarquer que les quatre titres mentionnés sont loin d’être issus de noms bretons, celtiques.
Ce n’est pas en ajoutant dans cette énumération, nous aurions pu le faire pour les 13 titres attribués aux morceaux, Chaldémé, Ersa, Cyllène Amalthée… que nous lèverions l’énigme.
C’est en lisant la note d’intention rédigée par la production que nous avons compris tout le sens de ces appellations.
Nous citons, intégralement, cet éclairage rédactionnel :
Les bretons ont toujours été de grands voyageurs… Alors pourquoi ne pas rêver que dans un futur pas si lointain, des bals et festoù-noz seront organisés sur la Lune, Mars, ou encore Jupiter ?
Partant de cette idée, Mael LHOPITEAU et Tristan LE BRETON, deux jeunes musiciens explorateurs bien connus des scènes bretonnes inventent une musique à l’image de la cinquième planète du système solaire.
Puissante et éthérée, massive et légère à la fois, des sons venant du futur pour vous faire danser sur des rythmes ancestraux.
C’est donc, pour cette raison, que toutes les pièces du programme, que vous retrouverez, énumérées par ailleurs, après notre chronique, inspirés de la mythologie grecque et de sa généalogie, prennent, par ailleurs, pour nom celui donné à un satellite naturel de la 5ème planète du système solaire, rang attribué par ordre d'éloignement à l’astre lumineux et calorique… Jupiter.
L’abstraite jaquette du Compact-Disc semble, alors, prendre une possible signification : celle d’une vue planétaire depuis laquelle on distingue, parfaitement, le « satellite »… NIJ, vers lequel Mael et Tristan nous invitent à nous… envoler !
C’est, en quelque sorte, un bal/fest-noz planant nourri d’une musique à danser d’inspiration post-rock que NIJ nous propose.
Le bien apprécié caractère répétitif de motifs simples, allant parfois, jusqu’à la transe, marqueur des danses traditionnelles et qui peut se retrouver dans les formes musicales post-rock héritées des années 1970, a forgé ce choix stylistique de Mael et Tristan dont, comme ils le précisent, « l’énergie d’abord terrienne, enracinée, s’élève progressivement jusqu’à atteindre un envol puissant et cosmique ».
Nous y sommes, la danse, le rock, l’espace…
Mais comment retrouver la texture sonore, plus ou moins échevelée, la puissance, l’amplitude progressive, nous dirons, pour simplifier, la couleur originelle bien spécifique d’une formation initialement constituée en classique trio de rock guitare/basse/batterie, avec, pour seuls instruments, la harpe et la batterie ?
Grâce, notamment, aux effets de distorsion, de looping, appliqués à la harpe électrique et soutenus par les sons additionnels laissés à la main et au talent du batteur Tristan LE BRETON.
La harpe électrique de Mael, prend, aisément, comme, par exemple, dans des styles corolaires, on le sait des toutes premières et pionnières expériences d’Alan STIVELL (Notre dossier) , ou celles, d’Alice SORIA-CADORET et Nikolaz CADORET du duo DESCOFAR (Nos chroniques 1 - 2 - 3) , des sonorités de guitare électrique ou de basse.
NIJ concentre, parfaitement, ses registres électriques sur cette période de rock des années 70 où, assez fréquemment, celui-ci, suivant une lente progression, harmonique, d’amplitude rythmique et orchestrale, pouvait, même, se conjuguer avec un orchestre symphonique, les expériences dans ce cadre, à cette époque, ne sont pas rares.
Tous ces aspects se retrouvent, en particulier, à partir de la deuxième partie et jusqu’au final de « Leda » (piste 2), et dans les mêmes séquences musicales du morceau, dans « Pandia » (piste 10).
On perçoit un « rock-symphonique », allant jusqu’à l’ampleur des grandes orgues.
Ecoutez à bon volume, la qualité de l’enregistrement et du mixage réalisés par Tristan, ainsi que le mastering signé de Ronan CLOAREC d’INCISIVE Mastering Studio, le permettent ; c’est ample, parfaitement stratifié et chorégraphiquement, fort dansant !
Au fil de ce disque, « Les Orbes de Cristal », grâce, ajoutés à ceux de Tristan, aux multiples talents de compositeur et d’instrumentiste de Mael, vous écouterez, en quelque sorte, une harpe électrique dans tous ses états.
En ce qui concerne le registre, plus celtique, la véloce et cristalline électro-harpe évolue, tout à tour dans de limpides crescendos, comme, au cours d’« Harpalycé » (piste 4), avec de « chantantes et répondantes » cordes pour « Philophrosyne » (piste 5), ou, précédés et ponctués d’une chaude rythmique, au fil des spires d’enjôleurs déliés pincés qui s’épanouissent dans l’apesanteur d’un espace sonore, vaporeusement insufflé par les effets et sons additionnels, notamment distillés par Tristan.
Ne passez pas à côté de la mazurka « Hégémone », où la harpe de Mael apparaît, en quasi électro acoustique, non pas en constant solo mais en avant-plan, seulement, à mi-chemin, rejointe par les sons additionnels et, au dernier tiers, par la rythmique de la batterie. Peut-être le morceau le plus planant et éthéré de l’album. Vous décollerez jusqu’au derniers suspens de la harpe redevenue solitaire.
La texture granitique « rock » ressort, notamment, en piste 7, au cours du dernier tiers temporel de « Callisto », puis, encore plus franchement, à mi-chemin mélodique de « Pandia » qui se fait entendre en piste 10.
Il ne vous aura pas échappé que nous avions, déjà, évoqué, plus haut dans ce papier numérique, cette dixième pièce, à propos de l’aspect symphonique.
Cela traduit, que très habilement, tout au long de ce brillant opus les deux excellents compositeurs, musiciens et interprètes, ajoutent, fusionnent, fondent les différents styles et sonorités dans l’esprit intrinsèque de la mouvance des 70’s et de ce qui en a découlé, allant jusqu’à certaines colorations électro d’un Jean-Michel JARRE (Oxygène - 1976), dans « Ersa » (piste 3), ou, tout au long du programme, aux rythmiques et chorégraphiques compositions de René AUBRY.
Nos citations de titres ne sont, donc, que quelques repères loin d’être exhaustifs, puisque les treize morceaux agrègent, souvent, plusieurs composantes qui fondent la musique, bien spécifique de NIJ.
Tout ceci abouti à un disque passionnant et esthétique plus que fort plaisant à écouter et réécouter, tant sa kaléidoscopique architecture, finalement, presque paradoxale se décline, entre enracinement, volume, densité, mais spatialité, nuance et subtilité, produisant, in fine, un album riche et varié où, non pas, la musique à danser se révèle à être écoutée, mais l’inverse, le concert amenant au bal.
Avez-vous déjà essayé d'être ancré à la terre en même temps que de vouloir voler ?, précise la page consacrée à NIJ sur le site Internet de la Compagnie des Possibles.
Avec une certaine simplicité d’écriture, un sens de la sobriété, de l’essentiel, Mael LHOPITEAU et Tristan LE BRETON nous permettent ce possible et virtuel élan vers d’autres sphères.
Pour favoriser ce voyage interplanétaire qu’ils ont imaginé pour conceptualiser « Les Orbes de Cristal », ces deux brillants et fusionnels complices composent et écrivent originalement, en respectant scrupuleusement les codes spécifiques de chaque terroir et en « sonnant », remarquablement, des danses créées selon les structures traditionnelles, parfois même, d’ailleurs, mais, principalement de Bretagne, où Dieu sait si l’on s’ancre en terre en frappant fermement du pied, tout en gardant la tête dans les étoiles…
« Les Orbes de Cristal » de NIJ, une autre vision, aussi novatrice que respectueuse, de la musique bretonne à danser et à écouter, à insérer dans vote discothèque.
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : NIJ - "Chaldéné - hanter-dro" - Extrait de 01:03.
La page de NIJ sur le site de la Compagnie des Possibles (Voir site)
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
Les titres du CD de NIJ - "Les Orbes de Cristal" :
01. Chaldéné - hanter-dro - 04:26.
02. Leda - polska - 04:32.
03. Ersa - valse à 5 temps - 04:29.
04. Harpalycé - ridée - 04:21.
05. Philophrosyne - pilé menu - 05:25.
06. Hégémone - mazurka - 05:26.
07. Callisto - ton simpl plinn - 04:23.
08. Cyllène - bal plinn - 02:54.
09. Calycé - ton doubl plinn - 04:16.
10. Pandia - bourrée à 2 temps - 04:52.
11. Amalthée - scottish - 04:11.
12. Eurydomé - valse à 3 temps - 05:24.
13. Pasiphaé - chapelloise - 03:31.
Durée totale : 58:10.
CD de NIJ - "Les Orbes de Cristal".
Parution : 7 juin 2024.
Production : La Compagnie des Possibles (Voir site)
Distribution : InOuie Distribution (Voir site) .
Réf : CP0011.
© Culture et Celtie
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