Pontcallec est entré dans la mémoire collective du peuple breton à travers de multiples versions d'une gwerz glorifiant le patriote breton supplicié avec ses trois compagnons sur la place du Bouffay à Nantes (voir photos, cliquer pour les agrandir), au soir du 26 mars 1720. Le “revival” breton des années 1970 a permis de le faire connaître à la jeunesse à travers les interprétations de Gilles Servat, de Gweltaz Ar Fur et des Tri Yann.
Joël Cornette, professeur à l'Université de Paris VIII et membre du comité de rédaction de la revue Histoire, apporte un éclairage nouveau sur la conspiration de Pontcallec dans un livre édité par les éditions Taillandier « Le Marquis et le Régent. Une conspiration bretonne à l'aube des Lumières ». C'est l'un des meilleurs spécialistes de l'Ancien Régime. L'historien, en confrontant, analysant et croisant les sources au plus près des archives, rend magnifiquement cette page de l'histoire de Bretagne et souligne la puissance de la construction identitaire de la « nation Bretagne » qui se nourrit de héros tragiques comme le marquis de Pontcallec. La rigueur scientifique de l'historien n'est nullement un frein à la lecture de ce gros livre qui se lit comme un roman.
L'affaire Pontcallec se déroule en six actes, bien distincts, qui correspondent aux six parties du livre. Le temps des doléances 1717-1718, l'entrée en scène de Pontcallec, le temps des conjurés dans lequel Pontcallec se met en scène comme chef de la résistance bretonne, l'État monarchique français entre scène : répression - procès – exécutions, la réflexion sur cette page de l'histoire commune à la Bretagne et à la France avec le rôle de l'Espagne dans la conspiration et enfin la place de Pontcallec dans l'imaginaire du peuple breton.
L'auteur met en perspective la conspiration de « L'Association patriotique bretonne » en la replaçant dans le contexte et les enjeux politiques, géostratégiques et diplomatiques avec le renversement des alliances en Europe qui voit en 1717 la France se rapprocher de la Grande-Bretagne et des Provinces Unies et s'engager dans une expédition militaire contre l'Espagne. Sur le plan breton, Joël Cornette souligne que la conspiration de Pontcallec entre 1717 et 1720, offre une véritable « radiographie », sociale, politique et idéologique de la Bretagne à l'aube du siècle des Lumières.
Pour le régent Philippe d'Orléans, tout en Bretagne semblait alors respirer « l'indépendance, l'esprit républicain, la sédition et la révolte ». Le mécontentement est d'autant plus fort qu'à la suite du règne de Louis XIV la Bretagne s'enfonce dans une décroissance économique, après avoir connu son Âge d'or commencé à l'apogée de l'État breton au XVe siècle. L'auteur parle de l'économie « extravertie » de la Bretagne, comparable à celle de l'Angleterre et des Pays Bas, victime de la politique du « Roi soleil », et souligne que l'annexion par la France « fut un rattachement douloureux et forcé » pour un pays qui était par ses ressources humaines et sa puissance économique « l'équivalent d'une Suède ou d'un Portugal ». On le voit, le contentieux entre la Bretagne et le pouvoir monarchique français est alors particulièrement lourd : malaise social, obstacles aux libertés d'entreprendre et de circuler, et attaques contre les libertés bretonnes issues du traité de 1532. On assiste à une lutte frontale des Bretons pour leurs « libertés » comme le dit Joël Cornette : « un mot investi d'une forte charge non seulement politique et émotionnelle et, pour beaucoup, quasi-mystique et sacré ».
En octobre 1718 le commandant en chef de « la Province de Bretagne » en grand conflit avec les Bretons, déclare « je n'ai pas encore pu pénétrer leur caractère, tant il paraît incompréhensible ; vous ne sauriez vous représenter l'esprit de cette nation ». À l'été 1719 on assiste à une monté en puissance de la grève fiscale à travers la Bretagne et plus particulièrement dans le pays de Guérande où elle est endémique. Les conjurés, qui rêvent d'une République bretonne, sont portés par les événements sans une réelle prise sur le terrain et encore moins sur leur allié espagnol qui les laissera bien seuls face aux dragons du régent et à sa justice.
Pour le régent et ses conseillers il fallait faire un exemple en instituant un tribunal d'exception « la chambre ardente » composée de juges venus de Paris, sans que le Parlement de Rennes ait son mot à dire. Entre le 21 novembre et le 30 décembre 1719, pas moins de 304 personnes vont être interrogées à Saint-Nazaire (1), dans le pays de Guérande et à Redon.
Les droits des accusés sont niés et la sentence sera exemplaire avec quatre condamnations à mort (2) : MM. de Pontcallec, de Montlouis, du Couëdic et Le Moyne de Talhouët. Pour parer à toute mobilisation populaire en faveur des suppliciés, six canons seront installés sur les remparts du château et pointés sur la ville. En ce 26 mars 1720, l'aube des Lumières se colorait du sang de fils de l'antique Armorique qui avaient rêvé d'une République bretonne. Si cet espoir de liberté était resté à quai, du côté de Santander avec l'Armada espagnole, la légende de Pontcallec ne faisait que commencer. Pour Joël Cornette, la brutalité de la sentence s'inscrit « dans la construction, l'affirmation et la légitimation d'une monarchie pleinement souveraine ».
Le pouvoir français est alors loin d'en avoir fini avec l'irrédentisme breton qui va prendre de nouvelles formes. Joël Cornette met ainsi en évidence l'influence de l'esprit des Lumières au sein de l'administration provinciale avec la mise en action des corps intermédiaires dans le champ administratif. À la fin du règne de Louis XVI, la Bretagne avait la maîtrise de pans entiers de l'administration publique. L'historien poursuit sa démonstration en épinglant la notion réductrice « d'absolutisme », mot inventé semble-t-il par Chateaubriand en …1797. Il considère « qu'un authentique libéralisme, sinon politique, du moins administratif et gestionnaire, qui se dessine ici à l'œuvre et en action ».
Pour l'auteur, la seule vie de Pontcallec, à travers les gwerzioù à sa gloire et les historiens du XIXe siècle romantique qui s'inscrivent dans le réveil des nationalités, « a contribué à fonder une part de l'identité et de la conscience vive de la Bretagne et des Bretons. À nourrir aussi sa part de rêve et d'imaginaire ».
Le livre est accompagné d'un CD réalisé par Dastum, qui, à travers 11 versions de la Gwerz Marv Pontkalleg, illustre à merveille le travail de l'historien. Une postface, signée Éva Guillorel, donne les clefs de cette page sonore.
476 pages, 25 euros.
Hubert Chémereau
1 — Pour ceux qui n'acceptent pas une certaine « histoire officielle » qui fait débuter l'histoire de Saint-Nazaire au XIXe siècle, ils apprécieront d'apprendre que les interrogatoires se déroulèrent à l'Auberge du Roi de Suède, dans le vieux bourg des pilotes de Loire, et que deux gentilshommes de la paroisse participèrent à la conjuration.
2 — Cette conspiration n'aura pas versé la moindre goutte de sang.
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Retrouvez Joël Cornette qui présentera Le Marquis et le Régent. Une conspiration bretonne à l'aube des Lumières :
À Nantes, l'auteur donnera une conférence en décembre. Précisions à venir.
(voir le site) de l'éditeur.
Erratum photo 1 La pierre n'est pas de granit poli, mais de comblanchien, calcaire dur – on en fait des escaliers très fréquentés dans des établissements publics... – mais tout de même un calcaire. Son nom vient de celui d'un village de la Côte-d'Or en Bourgogne.