« Dor An Enez »… La Porte de l’Île.
Après, « La Lune Noire » (1998), « Le Voyage Astral » (2013), « Dor An Enez », est le titre que Frédéric GUICHEN, remarquable accordéoniste diatonique breton, finistérien de naissance, devenu résident costarmoricain trégorrois, a donné à son 3ème album solo.
La porte suggérée par cette appellation est-elle un préalable ou un horizon possible ? Faut-il la pousser et la passer pour découvrir un univers de fort savoureuses et substantielles compositions originales résolument celtiques, ou, au travers d’une heure d’un voyage musical puisant ses sonorités bien au-delà de la Bretagne, arriver au seuil d’un « Tir na nOg », semblable à cette légendaire et celtique terre d’éternelle jeunesse ?
Au travers de ces 14 instrumentaux qui colorent de bourrasques, de sombres reflets et de lourds et pluvieux nuages persistants, mais aussi, et peut-être, avant tout, de liesses, de danses et de transes, ce pictural programme, vous ressentirez, tour à tour, ces deux aspects de franchissement ou de finalité, selon que vous passerez d’eurythmies bretonnes à celles plus, irlandaises, écossaises, voire galloises, ou que vous sortirez avec allégresse et apaisement de chaque séquence proposée.
Excepté pour 2 titres, « Ker Jouan » et « Koad Freo », arrangés à partir de traditionnels par Sylvain BAROU, Erwan MOAL… et Fred, les 12 autres compositions sont signées, exclusivement, de Fred GUICHEN.
Puisque nous venons de les citer, sachez que Sylvain BAROU, à la flûte traversière en bois et à l’Uilleann pipe et Erwan MOAL, aux guitares, entourent, dans ce disque, l’accordéoniste qui en assure la direction musicale.
7 autres musiciens s’unissent, conversent, parfois, soliloquent, au fil des morceaux qui s’alternent, entre pièces à écouter et mélodies à danser.
Nous retrouvons, ainsi, le légendaire Jacques PELLEN, aux guitares.
Est-il nécessaire de rappeler les grandes et belles lignes de son parcours ?
Créateur de la « Celtic Procession », Jacques PELLEN a, entre autres, joué avec : Kristen NOGUES, Riccardo DEL FRA, Dan AR BRAZ et l’héritage de celtes, Erik MARCHAND, et est, actuellement, membre créateur d’OFFSHORE Quartet (voir le site) .
Aux, bouzouki, guitare et bodhrán, c’est Dónal LUNNY, un musicien traditionnel irlandais, qui, depuis plus de quarante ans, est à l'avant-garde de la renaissance de la musique traditionnelle irlandaise. Vous vous souvenez, sans aucun doute, du groupe de musique folk irlandaise, Planxty !
Sonneurs de STARTIJENN (voir le site) , Lionel LE PAGE est au biniou, Youenn ROUE, aux bombardes.
Musicien compositeur, créateur des groupes LE PETIT COMMERCE, DJAWOEN et PERCEVAL, Pierre MULLER joue du banjo et mandoline.
Après avoir dirigé de 1997 à 2008 le fameux BAGAD DE LA KEVRENN BREST SAINT MARK, enseignant, actuellement, au sein du BAGAD DE CONCARNEAU, quand il n’est pas dans son magasin TI AR SONERIEN, la maison des sonneurs (voir le site) ou accaparé par PAKER Prod qui produit, entre bien d’autres, ce présent disque, distribué par COOP BREIZH, Yann PELLIET intervient, à la cornemuse écossaise, pour le solo final de l’album.
Manque de courtoisie, nous direz-vous, en ne citant, qu’en dernier, la seule femme présente dans cet enregistrement ? Aux violons, l’épouse de Fred, Sylvaine GUICHEN !
Loin de nous une telle muflerie, mais bien au contraire, une volonté de mettre en valeur ses arrangements et sa limpide présence pour l’interprétation de « Noces bretonnes » et, plus encore, sa symphonique intervention dans « Dor an Enez ».
Venant d’évoquer « Dor an Enez », titre éponyme, nous ne manquerons pas de souligner la magnificence de cette pièce, la plus étendue de l’album, puisqu’elle se décline sur plus de 8 minutes pour vous emmener dans un panoramique voyage où les vagues sonores viennent, lentement, s’échouer sur la grève nostalgique de l’accordéon.
Faisant suite, en tout début de morceau, à l’appel, répété en quasi écho de l’accordéon de Fred GUICHEN sur les superbes égrainements de la guitare de Jacques PELLEN, le violon de Sylvaine vient se glisser et créer ce mouvement itératif de mer qui va, inévitablement, vous envahir et vous emporter vers… l’île.
L’accordéon est puissant, mais nuancé, le violon est soyeux et la guitare, parfois hispanisante, apparait en cordes d’or.
Quel magnifique trio où l’équilibre des trois instruments est parfait. C’est, pour nous, l’instant majeur de l’album.
Si, sans exception, tous les morceaux ont séduit, nos oreilles, plus largement, nos sens, car il y a de la profondeur et de l’émotion, une autre plage a retenu notre attention : « Radiation Nevez ».
Comme son nom nous l'induit, c’est, indiscutablement, la pièce la plus prospective de l’album.
Sur une discrète nappe synthétique de FX et les sèches ponctuations de la 12 cordes de Jacques PELLEN, empoignant fiévreusement son accordéon diatonique, Fred GUICHEN se livre à un exercice entêtant, obsessionnel, très « transe » qui projette cet instrument traditionnel dans toute la modernité de la musique qu’il peut, également, véhiculer et, merveilleusement, servir, sans la moindre connotation ringarde.
Au travers de cette composition très contemporaine, on retrouve toute la dextérité, la vélocité et la créativité de l’accordéoniste.
L’album nous permet, également, d’apprécier à sa juste valeur et en « plan rapproché », le talent de Fred, puisque 4 soli, figurent au programme.
Nous avons, particulièrement apprécié, en plage 11, « Bezvenn - Part 1 », où l’accordéoniste, du plus profond des entrailles de son instrument fétiche, s’inscrit, avec sa spécifique tonalité, dans les sphères du bourdonnement et du chant de la cornemuse écossaise appréhendant un registre qui fascine Fred GUICHEN, le Piobaireachd
(Pibroc’h), une musique savante du nord des Highlands, une musique classique composée pour la grande cornemuse.
On mesure l’importance que revêt ce style pour l’accordéoniste, puisque ce même thème est, par ailleurs repris en conclusion de l’album, avec, cette fois, l’instrument original, sous le titre, « Bezvenn - Part 2 », interprété par Yann PELLIET virtuose de la cornemuse écossaise et de son répertoire le plus ancien, à qui Fred confie, le point final de son propre opus, de son voyage. Un altruiste signe d'amitié.
Si nos commentaires se sont, plus particulièrement, portés sur les morceaux à écouter, les plus nostalgiques, les plus profonds, il n’en demeure pas moins que nous avons été, bien évidemment, enthousiasmés par les « titres dansants » qui s’intercalent, judicieusement, tout au long du programme. Car ne l’oublions pas, Fred est le créateur, avec Jean-Charles, son frère guitariste, d’AR RE YAOUANK (1986) célèbre groupe qui, les années suivantes, rejoint par bombardes, biniou et basse électrique avec son énergie rock a redynamisé le fest-noz, fondamental de vie auquel Fred reste, viscéralement, attaché.
Ce sont, également, ces plages qui vous permettront de déguster, avec grand plaisir, les interventions de Sylvain BAROU et de sa chaleureuse et aérienne flûte traversière en bois, notamment dans l’introduction, en solo, de
« Ker Jouan » qui sent bon la lande bretonne.
Toujours dans la danse, mais Irlandaise, cette fois, Sylvain BAROU nous gratifie d’un Uilleann Pipe endiablé qui vient se mêler aux notes trépidantes des banjo, mandoline, accordéon et guitare pour une jig effrénée.
C’est « Son of Tipperary », en hommage à Shane MacGOWAN, punk, rock… et rauque, souvent sulfureux, le song-writter et leader des POGUES.
L’album « Dor an Enez » est présenté dans une élégante jaquette graphiquement conçue par Johan GUICHEN… le fils.
En façade, point de photo de l’accordéoniste, mais, sous les simples mentions du nom de l’artiste et du titre du disque, en dominante noir et blanc, celle d’un macareux moine posé comme une île au milieu d’une eau paisible.
Ce perroquet des mers sera, donc, votre repère, lorsque vous serez rendu devant le bac de votre disquaire.
A l’ouverture de ce sobre contenant, collé sur son pan interne, vous découvrirez un livret d’une vingtaine de pages au chromatisme harmonieux, exposant d’artistiques photos de tumultueux paysages, de vagues et d’ondes marines, des gros plans, géométriquement organisés en triptyques où mains et instruments ne font qu’un, ainsi que les portraits des musiciens, des clichés signés de Sàra VARGA.
Nous vous conseillons, vivement, ce disque pour la variété et la cohérence des paysages qu’il propose, entre douceur et exaltation, mélancolie et fête, racines et modernité, mais, toujours, avec intensité et passion.
Pour conclure notre chronique, nous laisserons la parole à Sylvaine GUICHEN qui préface, avec amour et conviction, ce très bel opus solo de Fred :
« On y retrouve la force de son jeu, léger et profond à la fois, nourri par une sensibilité extrême, où les ornementations spontanées, dispersées ici et là, coulent entre ses doigts avec délicatesse, comme à son habitude, comme sa signature ».
Qu’en termes choisis et, très largement partagés, ces choses là sont dites…
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : Fred GUICHEN - Album "Dor an Enez " : "Noces bretonnes" - Extrait de 00:54.
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie l'e-MAGazine : (voir le site)
Les titres du CD "Dor an enez" de Fred GUICHEN :
01 - Noces Bretonnes - 04:40
02 - Pors Nevez - 04:22
03 - Koad Freo - 04:16
04 - Call to Ireland - 01:39
05 - Son of Tipperary - 03:24
06 - Dor an Enez - 08:21
07 - Trinité - 05:42
08 - Sorry Tales - 02:56
09 - Koad Gwernaon – 01:23
10 - Ker Jouan - 07:19
11 - Bezvenn part I - 03:59
12 - Angelus - 03:33
13 - Radiation Nevez - 04’14
14 - Bezvenn part II - 03:50
CD "Dor an enez" - Fred GUICHEN
Parution : 13 avril 2018
Réf : 4016197
Edité chez PAKER Prod - www.pakerprod.bzh (voir le site)
Distribué par Coop Breizh - www.coop-breizh.fr (voir le site)
Le site Internet de Fred GUICHEN : (voir le site)
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