Donatien Laurent nous a quittés le mardi 24 mars 2020. La nouvelle m’a à la fois surpris et bouleversé car nous avions longuement conversé au téléphone la veille, le lundi 23. Il allait bien. Depuis qu’il y avait été accueilli, je ne passais jamais devant la maison de santé de Keraudren (à Brest) sans m’arrêter pour le voir. Mais depuis quelques jours, le covid19 s’était permis de restreindre nos rencontres. Je n’avais plus le droit d’entrer, nous ne pouvions que converser oralement, Donatien n’était pas assez habile en informatique pour user de Skype ou FaceBook.
Il était depuis quelques cinquante ans mon meilleur ami. Je l’avais connu en 1970 à Paris alors que je produisais sur l’unique chaîne de la télévision nationale le magazine scientifique Eurêka. J’avais organisé un numéro complet avec le Musée des Arts et Traditions Populaires (disparu depuis). L’une des séquences présentait le travail d’un ethnologue de trente-cinq ans, Donatien Laurent, sur une gwerz du Faouët qui disculpait un jeune homme pauvre faussement accusé d’un meurtre par des juges bourgeois. (J’ai ensuite refait un film plus moderne en couleurs sur le même thème pour France 3 Rennes. Et enfin un autre cinéaste a cru utile récemment de retraiter une troisième fois le sujet.)
J’ai fait plusieurs autres films avec Donatien, en français ou en breton à France 3 Rennes. Par exemple sur une gwerz contant le naufrage d’une population de goémoniers de l’Île-Grande revenant d’une campagne de récolte sur les Sept-Îles. Et un enregistrement complet de La Grande Troménie de Locronan, en 1977. Tous ces films sont classés à l’INA Atlantique.
Vers 1995, le directeur de France Culture Yves Jaigu (Costarmoricain d’origine) nous ayant commandé plusieurs émissions, nous avons parcouru ensemble les chemins du Trégor, puis réuni Tazie et Tanon Goadec et enregistré avec elles une version complète des fameuses « Vêpres des Grenouilles », Gousperoù ar Raned, une adaptation populaire du premier chant du Barzaz Breiz, « Les Séries ». Youenn Gwernig était également présent. Les deux sœurs avaient un véritable amour pour Donatien. Le résultat était extraordinaire, mais ce n’était que du son. Je me suis alors promis de refaire la même chose sous forme de film. J’y suis parvenu en décembre 2004, et la chanson magique a été chantée sur TF1, c’est-à-dire devant la France entière ! À la vérité nous avons frôlé la catastrophe car Tazie venant de perdre un petit-fils accidentellement, elle avait décidé de ne pas chanter, bien que l’équipe de tournage fût présente. J’ai alors proposé à Donatien de « répondre » lui-même en dialogue avec Tanon, ce qui fut fait : quel trésor que ce duo de la vieille chanteuse et de l’ethnologue ! À coup sûr un fabuleux document sur la culture bretonne et la menace de sa fin. Dans le même film, Donatien raconte sa découverte des carnets originaux de collecte de La Villemarqué, d’où est sorti le fameux Barzaz Breiz.
Pour France Culture nous avons aussi enregistré les deux ou trois heures de Zozébig et Merlin contées par Jean-Louis Rolland. Le succès fut tel à l’antenne que l’émission fut rediffusée quatre ou cinq fois.
En 1996 est paru sous nos deux noms et sous le titre La Nuit Celtique une introduction à la culture bretonne, publiée aux éditions Terre de Brume. Le livre se trouve toujours en médiathèque et même en librairie.
Kenavo Donatien : un personnage drôle, gentil et bien sûr très savant, qui a contribué à façonner la Bretagne d’aujourd’hui. D’autres que moi pourront évoquer son apport à la musique bretonne qui fut également essentiel.