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Dix ans après, toujours rien sur la mort suspecte d'André Rigault à Indret
Le 12 janvier 1998, il y a dix ans, on retrouvait le corps sans vie d'André Rigault, âgé de 43 ans, sur son lieu de travail à l'arsenal d'Indret, près de Nantes. On découvrit le corps d'André vers 20 heures, sous la passerelle de béton qui sert à soulever et tester les systèmes de propulsion de navires. L'enquête fut menée sur place par la gendarmerie de l'arsenal. Elle conclut rapidement au suicide. André se serait pendu avec une corde qu'il aurait attachée à la passerelle. La corde se serait cassée lors de sa chute (...) Aucune police civile n'est venue sur les lieux ni aucun commissaire de police criminelle.
Par Philippe Argouarch pour ABP le 20/01/08 19:34

Le 12 janvier 1998, il y a dix ans, on retrouvait le corps sans vie d'André Rigault, âgé de 43 ans, sur son lieu de travail à l'arsenal (DCNS) d'Indret, anciennement DCN ou Direction des Constructions Navales près de Nantes. On découvrit le corps d'André vers 20 heures, sous la passerelle de béton qui sert à soulever et tester les systèmes de propulsion de navires.

L'enquête fut menée sur place par la gendarmerie de l'arsenal qui a un poste permanent à Indret. Elle conclut rapidement au suicide. André se serait pendu avec une corde qu'il aurait attachée à la passerelle. La corde se serait cassée lors de sa chute, d'où la position du corps sur le sol dix mètres plus bas. Le rapport note effectivement la présence d'un sillon autour du cou.

La seule enquête qui ait jamais eu lieu fut celle de la gendarmerie. Aucune police civile n'est venue sur les lieux ni aucun commissaire de police criminelle. La DST serait bien venue le lendemain. Elle a fouillé la voiture d'André. Elle n'a jamais remis un rapport quelconque, ce n'est d'ailleurs pas dans ses fonctions. Donc il y eut uniquement une enquête interne. À aucun moment la police nationale n'a pénétré sur les lieux de l'accident ou du crime. André était pourtant un ingénieur civil.

Les choses sont dès le début pour le moins surprenantes, mais elles deviennent très vite suspectes. À 21 heures, seulement une heure après la découverte du corps, le substitut du procureur de la République à Nantes, décide qu'il n'y a aura pas d'autopsie alors que le médecin du SAMU, qui examine le corps, signifie qu'il y a obstacle médico-légal (c'est-à-dire qu'il demandait une autopsie). Par « malchance », André avait donné son corps à la science. Il disparut ainsi à tout jamais, disséqué et formolé dans les labos de la fac de médecine de Nantes. Le procureur aurait fait cet aveu étonnant (*) : « Dans le cas d'un suicide bien établi par l'enquête, on ne pratique pas d'autopsie, même si le lieu du drame est particulier ». Étonnant, car chacun sait que dans le cas d'un suicide, c'est justement l'autopsie qui est le cœur, la partie determinante de l'enquête - surtout quand le décédé n'a pas laissé de mot d'explication.

Le corps fut transporté par véhicule militaire à la morgue de Nantes et Annick Le Saux, la compagne de longue date d'André Rigault, fut avertie qu'elle pouvait s'y rendre. Elle s'y rend le soir même vers 22 heures, mais là on lui dit que c'est trop tard et que c'est fermé. Annick est contrariée en plus d'être choquée et incrédule. Elle doit donc revenir le lendemain matin, le 13 janvier. Accompagnée de sa sœur, elle remarque une chose : André avait un œil au beurre noir. Il était aussi recouvert de sa chemise, délicatement posée sur son torse — très propre, dit elle - une chemise trop propre pour quelqu'un tombé de dix mètres de haut. La chemise remontait jusqu'au cou. Paralysée sous l'émotion et le chagrin, elle n'a pas osé faire ce qu'il aurait fallu faire : soulever la chemise pour s'assurer qu'il y avait bien une trace d'étranglement autour du cou.

"On était des gens ordinaires, on était heureux, on n'avait pas de problèmes" — Annick Le Saux.

André Rigault est né dans la Sarthe à Marolles-les-Braults, le 18 février 1956. Breton par sa mère qui venait de Plouezec dans les Côtes-d'Armor, il vécut une partie de son enfance heureuse à Plouezec où la famille passait les vacances d'été. Il a travaillé d'abord comme technicien à Puiseaux dans le Loiret chez Thomson. Il a fait ensuite une école d'ingénieur : l'École Nationale Supérieure de Mécanique à Nantes (ENSM). André avait un BTS, un DEUG et un diplôme d'ingénieur. Il travaillait sous contrat à la DCN d'Indret depuis sept ans.

"Bien qu'il eût préféré travailler pour le civil, il s'était accommodé du statut de civil travaillant pour la Marine. Surtout, il était passionné par son travail. Il était devenu un chercheur. Il travaillait dans des secteurs sensibles où il faut être certifié et confirmé à un niveau de sécurité élevé... Il était très bon à son travail, doué même. Les maths, c'était sa passion avec le bugle et la trompette" avoue Annick... "À la maison, ses lectures de chevet étaient principalement des ouvrages de mathématiques et de physique." Annick, avec qui il vivait depuis 18 ans, affirme qu'ils n'avaient pas de problèmes. Ils avaient un garçon et venaient d'acheter une maison. Les choses se passaient plutôt bien.

Les cadavres dans les placards de la DCN ou beaucoup de chutes de mât de misaine...

À Indret, André aurait été impliqué dans un projet majeur : le MESMA qui consiste à développer des sous-marins classiques à longue durée de submersion grace à des moteurs qui consomment très peu d'oxygène. D'après son CV, André était responsable de la simulation et de la modélisation mathématique des systèmes de propulsion y compris du contrôle des bruits et des vibrations. Il est donc directement impliqué dans le projet MESMA.

Comme ces activités sont le plus souvent classées, rien n'est certain sur ce qu'il faisait vraiment. On sait toutefois que le projet MESMA a été vendu aux Pakistanais un mois après le décès d'André. Le Pakistan a acheté trois sous-marins de classe Agosta 90B à la France. Le contrat comprenait des transferts de technologie importants puisque deux des sous-marins devaient être construits au Pakistan. Onze techniciens envoyés par la DCN au Pakistan pour travailler sur ces sous-marins ont été tués en 2002 dans un attentat d'Al Qaîda. Douze autres furent gravement blessés.

L'autre projet d'Indret à l'époque était SAWARY2, la construction de frégates pour l'Arabie saoudite. Les mêmes frégates qui furent vendues à Taïwan avec le milliard d'euros de rétro commissions empoché par les dignitaires taïwanais et on le sait, des dignitaires français. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères, a avoué que 500 millions de dollars étaient partis dans les caisses taïwanaises du PFP (premier parti du peuple) et du KMT (parti nationaliste chinois). Il n'a pas dit quelle somme était partie dans les caisses des grands partis français...
Il y a eu beaucoup de chutes mortelles autour de la vente des frégates à Taiwan et des retro commissions. On est en droit de se demander s'il n'y a pas un rapport entre la mort d'André Rigault en 1998 — survenue juste après la vente d'une frégate à l'Arabie saoudite (en 1997 pour 1,5 milliard d'euros) et juste avant celle d'un sous-marin au Pakistan — et ces ventes.

Une enquête bâclée et une affaire étouffée : ABP rencontre Annick Le Saux

ABP a rencontré par deux fois Annick Le Saux. Cela fait huit ans qu'elle se bat pour comprendre, pour essayer de savoir. La première chose qu'elle a tenu à dire c'est qu'elle n'a jamais cru au suicide de son compagnon. « Personne n'a cru qu'il s'était suicidé » dit-elle. Ses collègues de travail par contre seraient restés muets comme des portes de prisons. Annick a toujours eu l'impression que le meurtre de son compagnon était programmé, qu'un scénario avait été mis au point pour faire croire au suicide . Elle a lu l'enquête de la gendarmerie et n'est absolument pas convaincue. Elle pense que sa veste bien pliée que l'on aurait retrouvée sur les bords de la passerelle de béton a été mise là pour faire croire au suicide. Cette mise en scène ne correspond pas du tout à l'homme qu'elle a connu.

D'après Annick, les syndicats CGT et CFDT ont été indifférents à cette affaire. "Ils ne m'ont pas défendue, pire ils ont même affirmé que la mort d'André faisait du tort à la réputation de l'établissement ! Les militaires, les syndicats, et même les collègues de travail d'André ont pensé à leurs intérêts d'abord - la vérité a été sacrifiée" dit-elle. Et d'ajouter "Le juge m'a traitée comme une criminelle et s'est acharné à essayer de trouver dans notre vie privée de quoi alimenter sa version des faits : considérer la mort d'André comme un fait-divers… sans aucun lien avec son activité professionnelle..."

La gendarmerie aurait fait courir des rumeurs mensongères sur des problèmes conjugaux imaginaires qui auraient été la cause du « suicide » d'André : "Ce sont des mensonges..." dit-elle. Quinze jours après le décès, Annick et sa soeur furent invitées à Indret. Au poste d'entrée, les gendarmes leur montrent un bout de papier avec griffonné dessus, les mots Dorine, le 12 janvier. Annick, comme si André avait eu une affaire secrète. Annick Le Saux trouve cela grotesque et ces insinuations scandaleuses. Le bout de papier a disparu. Elle accuse la gendarmerie d'avoir sciemment détruit les pièces à conviction comme la fameuse corde qui se serait cassée lors de la pendaison. Annick affirme que justement "André en tant que féru de physique et de mathématiques n'aurait jamais choisi une corde trop mince pour se pendre. Il connaissait trop bien la résistance des matériaux. Il avait la manie de tout calculer."

"On m'a traitée comme si c'était moi qui avais assassiné mon mari ! Alors qu'on n'avait ni problèmes d'argent, ni problèmes de couple et que moi et notre fils, qui a aujourd'hui 23 ans et fait des études d'ingénieur comme son père, étions les biens les plus précieux d'André !"

Annick déclare que toutes ses tentatives légales pour rouvrir le dossier n'ont abouti à rien. En 2001 elle a porté plainte contre X pour assassinat. En 2002 la plainte fut rejetée. Il y a eu une ordonnance de non-lieu. Désespérée, elle tente alors, en 2004, de faire classer le décès d'André comme accident du travail. Car au moins elle aurait droit à des dédommagements...
Ce ne serait pas la première fois qu'un accident embarrassant est masqué en suicide. La marine américaine a bien prétendu, pendant deux ans, que l'explosion de la tourelle avant de son cuirassé Iowa (en 1989) était due à un suicide, avant d'être confondue. L'accident qui a tué 47 marins était en fait dû à des charges explosives défectueuses (âgées de plus de 50 ans) et à des procédures de tir inadéquates et dangereuses.

Quoi qu'il en soit la demande d'Annick fut rejetée par la cour d'appel de la Chambre de sécurité sociale de Rennes, mais elle va refaire un dossier. Elle a pris aussi un nouvel avocat.

"Je veux simplement savoir la vérité"

Annick est une bretonne têtue. Elle n'a certainement pas perdu courage. « Je veux simplement savoir la vérité » dit-elle. Elle est déterminée à aller jusqu'au bout... Devant le silence des autorités, une enquête bâclée et cloisonnée, une mise en scène évidente pour faire croire au suicide, le refus de l'autopsie, on est en droit d'échafauder des hypothèses. S'il est certain qu'André Rigault ne s'est pas suicidé, il est possible que sa mort ait à voir avec un refus de sa part de voir une de ses inventions ou son travail partir dans les mains des marines de régimes corrompus et dangereux y compris le Pakistan. Si on lui a demandé de partir au Pakistan, il a certainement refusé. D'ailleurs il voulait quitter la DCN. D'après Annick, on lui avait refusé sa demande de départ pour l'École des Mines de Nantes.

Quoi qu'il en soit, Annick le Saux a le droit de connaître la vérité sur la mort de son compagnon. Où est passée la corde qu'André aurait utilisée pour se pendre ? Pourquoi sa chemise était-elle si propre s'il est tombé de si haut ? Pourquoi André a-t-il acheté le matin de sa mort un carnet de tickets restaurants pour une semaine s'il avait l'intention de se suicider le jour même ? Pourquoi le procureur a-t-il refusé une autopsie ? Autant de questions qui restent sans réponses et qui confirment la légèreté avec laquelle les polices en France acceptent la théorie du suicide.

Rien dans la vie d'André Rigault ne laissait présager une quelconque fragilité. Il n'a jamais été diagnostiqué dépressif ou toute autre condition suicidaire. Il n'a jamais fait de dépressions. Tout au contraire, il avait une grande confiance en lui surtout qu'il avait commencé sa carrière comme technicien, puis poursuivi des études d'ingénieur et finalement il était de fait devenu chercheur - par son travail, son intelligence et l'amour de son métier. Il reste la possibilité très peu probable qu'André Rigault ait fait de l'espionnage pour une puissance étrangère. Même si cela avait été le cas, il avait droit à un procès équitable.

Le lendemain du décès d'André Rigault, Ouest France eut un entrefilet, Presse Océan fit un article, mais ce n'est qu'en 2001, à l'occasion de la plainte contre X qu' Annick Le Saux a déposée, que la presse va finalement parler du mystère André Rigault dans Libération, le Figaro Magazine et sur France 3 dans une émission intitulée “Les silences de l'arsenal”. Presse Océan vient de faire un article à l'occasion de ce triste anniversaire.

Si vous êtes en possession d'informations sur cette affaire, merci de contacter Annick Le Saux annick.lesaux (at) gmail.com

(*) Rapporté dans le Figaro Magazine du 13 avril 2001.

[Reprise et mise à jour de mon article publié sur ABP le 12 janvier 2006 ( voir notre article )

Philippe Argouarch

Cet article a fait l'objet de 2094 lectures.
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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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